Commentary on Political Economy

Saturday 1 June 2019

I took several photos of this in Freedom Square, Taipei, yesterday. Le Monde has just done the same!

Trente ans après Tiananmen, la bataille de la mémoire fait rage

Entre frustration et activisme, les anciens de Tiananmen et les historiens du mouvement démocratique se sont réunis lors d’une conférence historique à Taipei.
Par   Publié hier à 09h23, mis à jour hier à 22h28
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Le square de la Liberté, à Taipei (Taïwan). Une sculpture gonflable symbolise l’intervention des chars contre les manifestants pro-démocratie sur la place de Tiananmen en juin 1989.
Le square de la Liberté, à Taipei (Taïwan). Une sculpture gonflable symbolise l’intervention des chars contre les manifestants pro-démocratie sur la place de Tiananmen en juin 1989. Chiang Ying-ying / AP
Ancien leader étudiant du mouvement de Tiananmen, aujourd’hui en exil à San Francisco, Feng Congde vit un jour des étudiants de Chine lui demander pourquoi, en 1989, lui et les autres animateurs de la contestation avaient si cruellement tué des soldats de l’armée populaire. Il les orienta sur son site, 64memo.com, qui archive depuis des années des témoignages et des documents écrits, visuels ou sonores, sur le printemps de Pékin.
Quand ils le recontactèrent peu après, ils avaient découvert que les choses s’étaient passées autrement.
« Ils étaient furieux que la propagande leur ait menti. Nous sommes engagés dans une bataille de la mémoire avec le régime chinois, c’est une bataille qu’ils ont lancée, qu’ils mènent en Chine et étendent désormais au reste du monde », a-t-il expliqué le 19 mai à Taipei, lors d’une grande conférence académique.
Les organisateurs avaient choisi la capitale taïwanaise pour réunir pour la première fois une quinzaine de participants et témoins directs des événements – dont une grande partie des ex-dirigeants étudiants en exil à travers le monde – aux côtés des principaux historiens et chercheurs sur le sujet, ainsi que des intellectuels ou militants chinois en exil. Ils furent au terme de la conférence reçus par la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, un geste politique inédit.
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Impossible d’accéder aux archives

Trente ans après, la bataille de la mémoire dont parle Feng Congde est loin d’être gagnée. « Les nouveaux travaux de recherche sur Tiananmen sont rares. Il est difficile, voire impossible, d’avoir accès à des archives en Chine sur le sujet », explique l’expert en politique hongkongais Joseph Cheng, l’un des co-organisateurs de la conférence. M. Cheng anime, avec l’ancien leader étudiant Wang Dan, la New School for Democracy, une plate-forme Internet de cours d’histoire et de politique sur la démocratie.
« Les anciens leaders étudiants restent des figures symboliques importantes. Si un jour le verdict officiel sur Tiananmen est renversé et que la Chine s’ouvre aux réformes, ils seront là. Hors de Chine, leur rôle est secondaire. Et les financements étrangers se sont évaporés. »
L’ex-leader étudiant Zhou Fengsuo, cadre dans la finance aux Etats-Unis, se félicite que, sur la vingtaine de figures phares du mouvement, seules deux ont renié leur passé afin de faire des affaires en Chine. « On a peut-être tous des opinions différentes, mais nos objectifs sont restés les mêmes. Et beaucoup d’entre nous s’impliquent encore dans le combat pour la démocratie », explique-t-il au Monde.
« Le dernier prisonnier de Tiananmen a été libéré en 2016. Nous n’arrivons pas à le localiser tant la surveillance est étroite. »
La raison principale pour laquelle aucune organisation politique crédible en exil n’ait vu le jour après Tiananmen tient, selon lui, à la cooptation intensive des communautés chinoises à l’étranger par Pékin. « Ce soutien est essentiel pour qui veut agir de l’étranger. Or, les Chinois de l’étranger sont terrorisés à l’idée de nous aider ou d’être vus avec nous », poursuit-il.
Zhou Fengsuo dirige une ONG discrète, Humanitarian China, au côté de l’ex-étudiant Fang Zheng, qui a perdu ses jambes sous les chenilles d’un char. Ils ont aidé les Mères de Tiananmen, qui ont identifié 303 noms de victimes, mais aussi les prisonniers politiques, leurs familles – et les militants pro-démocratie de ces dernières années. Jusqu’en 2011. « Presque tous ceux qu’on a soutenus sont allés en prison », reconnaît-il. Le verrouillage sécuritaire chinois est devenu un obstacle majeur. « Le dernier prisonnier de Tiananmen, Miao Deshun, un ouvrier catégorisé comme émeutier, a été libéré en 2016. Or, nous n’arrivons pas à le localiser tant la surveillance est étroite », dit-il.

Grève de la faim

Beaucoup d’ouvrages, d’articles de journaux et de travaux de chercheurs en Occident ont, depuis trente ans, décortiqué les événements et publié des témoignages de victimes. Les étudiants avaient commencé à manifester le 15 avril, après la mort de Hu Yaobang, l’ancien secrétaire général perçu comme l’incarnation de l’ouverture politique.
Le 26 avril, un éditorial du Quotidien du peuple, l’organe de presse officiel du Comité central du Parti communiste chinois, condamne les manifestations comme anti-parti, poussant un grand nombre de citoyens ordinaires à soutenir les manifestants. Le 13 mai, les étudiants lancent une grève de la faim, qui recueille un large soutien populaire. La loi martiale est proclamée le 20 mai, sur ordre de Deng Xiaoping.
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En investissant Pékin dans ces dernières semaines de mai, les troupes, composées de 200 000 hommes, suscitent l’hostilité croissante des protestataires et des habitants, indignés que l’armée de libération soit prête à utiliser la force contre le peuple. La reprise en main militaire, qui aboutira à l’usage de balles réelles et de tanks contre les manifestants dans la nuit du 3 au 4 juin, est le domaine d’investigation de l’historien Wu Renhua, aujourd’hui âgé de 62 ans. Jeune professeur de l’université de droit et de sciences politiques de Pékin en 1989, il avait pris activement part aux manifestations dès le tout début, et fut le témoin direct de la tuerie.

2 600 morts selon la Croix-Rouge, 300 selon Pékin

Parti en exil en 1990, il a consacré sa vie à enquêter sur les troupes militaires, en s’immisçant dans les forums d’anciens combattants pour identifier les noms des soldats et des officiers, le parcours des troupes, leur comportement.
« Les 19 régiments qui sont entrés dans Pékin ont agi de manière différente. Certains ont tiré sur les citoyens, d’autres en l’air, d’autres encore ont temporisé », explique-t-il.
Ses recherches, publiées dans trois ouvrages majeurs en chinois à Hongkong et Taïwan, ont confirmé les hésitations et l’opposition de certains hauts gradés. « Le 38e régiment a fait le plus de morts, en grande partie parce qu’il avait été placé sous la supervision d’un vice-commandant zélé après la défection de son chef »,explique-t-il.
M. Wu a également identifié les trois sites qui firent le plus de victimes à Pékin – tous en dehors de la place Tiananmen proprement dite (où il comptabilise avec certitude trois morts). Le chercheur ne juge pas crédibles les estimations de dizaines de milliers de morts en provenance de diplomates étrangers – répercussion à chaud des rumeurs qui circulent alors.
Le gouvernement chinois, lui, n’a pas varié de son bilan de 300 morts. Les enquêtes de Wu Renhua, réalisées à partir des données de 80 hôpitaux pékinois, l’amènent aujourd’hui à confirmer le bilan donné alors par la Croix-Rouge, de 2 600 morts. Seuls 15 soldats, d’après ses recherches, ont péri.

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