Commentary on Political Economy

Friday 7 February 2020

Coronavirus : les usines chinoises à l’arrêt, l’industrie européenne s’inquiète

Pharmacie, automobile, électronique… la crise du coronavirus rappelle l’extrême dépendance de l’économie mondiale à la Chine.
Par  ,  ,  ,  ,  et   Publié aujourd’hui à 11h32, mis à jour à 14h53
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Des magasins fermés en raison de l’épidémie due au coronavirus à Wuhan, dans la province du Hubei, en Chine, le 7 février.
Des magasins fermés en raison de l’épidémie due au coronavirus à Wuhan, dans la province du Hubei, en Chine, le 7 février. Stringer . / REUTERS
Apple, Fiat Chrysler, Adidas… Le ban et l’arrière-ban de l’économie mondiale sont aujourd’hui touchés par la paralysie de la Chine, où l’épidémie due au coronavirus a déjà fait 638 morts et contaminé plus de 31 000 personnes depuis fin décembre 2019.
Après le choc de la demande, voici donc venu le choc de l’offre. Les entreprises européennes qui doivent faire face à une chute de la consommation en Chine pourraient voir leur production sérieusement perturbée par des problèmes d’approvisionnement. « Avec l’hyperspécialisation des chaînes de valeur, il devient de plus en plus difficile de remplacer un fournisseur par un autre », explique Ludovic Subran, chef économiste du groupe d’assureur allemand Allianz.
Au fil des ans, la Chine est devenue l’un des centres névralgiques de l’économie internationale pour en devenir l’atelier du monde. « La part de l’Europe dans les chaînes de valeur mondiales s’est amenuisée au profit de la Chine, ajoute Alicia Garcia-Herrero, chef économiste pour la région Asie-Pacifique chez Natixis. Le pays concurrence même l’Allemagne dans la vente de produits intermédiaires en Europe. »
L’arrêt de la production dans certains sites et l’apparition de goulots d’étranglement pour le transport de marchandises à l’entrée et à la sortie du pays, en cas de réduction d’activité portuaire risque de pénaliser les industriels. Selon le cabinet Euler Hermès, les pays les plus touchés en Europe seront les Pays-Bas et la Hongrie dans les secteurs de l’automobile, de l’électronique ou encore du textile.
C’est un nouveau coup dur pour le Vieux Continent, déjà pénalisé par l’accord commercial signé entre Pékin et Washington en janvier. La Chine s’est engagée à acheter lors de ces deux prochaines années pour 200 milliards de dollars (182,4 milliards d’euros) de produits américains supplémentaires, notamment agricoles et manufacturiers, au risque de diminuer ses importations en provenance d’Europe.
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  • La France risque-t-elle de manquer de médicaments ?
La Chine n’est pas seulement l’usine du monde, elle est aussi sa pharmacie. Si l’Europe fabrique encore une bonne partie des médicaments qu’elle consomme, elle importe la grande majorité de ses ingrédients d’Asie. La dernière usine de paracétamol européenne, qui se situait dans l’Isère, a fermé en 2008, et la Chine représente désormais 60 % de la production mondiale. Le constat est identique pour la majorité des molécules courantes : le monde dépend ainsi des usines chinoises pour 90 % de sa pénicilline, un antibiotique courant, et 50 % de son ibuprofène, un antalgique commercialisé sous différentes marques comme Advil ou du Nurofen.
Les fabricants de principes actifs pharmaceutiques n’anticipent pas de répercussions dans l’immédiat « mais si cela devait se prolonger plusieurs mois, nous aurions des problèmes », estime Vincent Touraille, président du Sicos, le syndicat des industriels de la chimie fine. « Cette crise ne fait qu’exacerber les difficultés liées à notre dépendance », ajoute ce chef d’entreprise qui plaide pour une relocalisation des usines en Europe.
Les laboratoires pharmaceutiques se veulent eux rassurants dans l’immédiat : « Nous suivons de près la situation pour nous assurer que nous n’avons pas de discontinuité dans l’approvisionnement. (…) En général, nous avons plusieurs fournisseurs pour nos matières premières clés afin de limiter le risque de rupture », indique Sanofi.
Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, en temps normal, 15 % des ruptures de stocks sont déjà liées à des difficultés d’approvisionnement en matières premières. Interrogée sur le « plan B » de la France en cas de difficultés d’approvisionnements liée à la situation en Chine, la direction générale de la santé (DGS) n’a pas été en mesure de répondre.
  • Un caillou dans la chaîne logistique mondiale de l’automobile
La crise sanitaire perturbe un secteur marqué par la complexité de sa chaîne logistique et le rôle central qu’y joue la Chine, premier marché automobile au monde, exportatrice pour 55 milliards d’euros de produits. Les usines chinoises n’ont pas redémarré le week-end du 1er et du 2 février comme elles auraient dû après les congés traditionnels du Nouvel An, bloquant la production pour le pays mais aussi pour l’exportation de pièces à destination des usines du monde entier.
« Certains constructeurs comme Volkswagen perdent 100 000 voitures par semaine de retard de production, explique un cadre d’un groupe tricolore. Le gouvernement chinois va-t-il autoriser le redémarrage de la production dans les jours qui viennent comme prévu ? Si c’est le cas, le blocage aura eu des conséquences minimes, si non, les constructeurs vont devoir faire face à des défis majeurs en matière de réorganisation de leur système industriel. » La reprise du travail dans les usines chinoises est programmée entre le 9 février (Michelin, Vollkswagen…) et le 14 février (Renault, PSA…).
Premier touché hors de Chine, le constructeur sud-coréen Hyundai a indiqué, mercredi 5 février, avoir suspendu toute sa production en Corée du Sud où il fait tourner sept usines, le virus ayant perturbé l’approvisionnement en composants de câblage. Fiat Chrysler a indiqué jeudi au Financial Times que l’un de ses sites européens pourrait devoir arrêter sa production dans deux à quatre semaines. Volvo, Toyota s’inquiètent aussi.
Côté français, PSA fait savoir dans un communiqué adressé au Monde que « s’il y a des tensions logistiques », le groupe n’anticipe « aucun impact à très court terme sur les usines d’assemblage de PSA à travers le monde. » Même son de cloche chez Renault, les stocks actuels permettant de faire face dans les jours qui viennent. Mais l’inquiétude est là. Selon l’agence de presse sud-coréenne Yonhap, l’usine Renault-Samsung de Busan en Corée du Sud pourrait devoir fermer deux à trois jours la semaine prochaine. « Ce n’est pas confirmé à ce stade » dit-on chez Renault.
Pour les grands équipementiers français, très présents en Chine, pas d’inquiétude apparente. Michelin possède trois usines à Shanghaï et Shenyang et a besoin d’un composant, le silane qui vient à 80 % de Chine. Mais la firme de Clermont-Ferrand estime que cette dépendance n’a pour le moment aucun impact sur ses approvisionnements. Chez Valeo, un porte-parole explique que « la quasi-totalité de notre production en Chine est destinée au marché chinois. Nous ne voyons pas de rupture significative dans la chaîne d’approvisionnement. »
  • La tech mondiale touchée en son cœur
Que ce soit pour la fourniture de composants ou l’assemblage des produits finaux, les principaux acteurs de la technologie dépendent pour tout ou partie des usines chinoises. A lui seul, le pays assure 70 % de la production mondiale de smartphones et abrite le premier producteur d’écran (BOE). La fermeture temporaire des usines imposée par Pékin place tous les fabricants de produits électroniques dans une position délicate. A commencer par ceux qui dépendent des chaînes de montage du géant Foxconn à Shenzhen. Le groupe qui assemble notamment les iPhone ne prévoit pas un retour à la normale avant la fin du mois de février, selon une source citée par l’AFP.
A l’occasion de l’annonce de ses résultats, le 6 février, Nokia a d’ailleurs signalé un risque de « perturbation temporaire, en particulier dans [sa] chaîne d’approvisionnement » lié à la situation sanitaire en Chine. Alors qu’il fait produire une grande partie de ses ordinateurs portables à Shenzhen, le français Thomson mise pour l’instant sur une réouverture des usines le 13 février, soit dix jours de retard de production. Si la situation devait perdurer, ses clients distributeurs pourraient se trouver rapidement en rupture de produits. Ayant peu de stocks, la société se sait « plus touchée que ses concurrents qui peuvent écouler des vieux produits », explique son patron Stephan Français.
  • L’aéronautique stoppée en plein vol
Air France a annoncé, jeudi 6 février, qu’il prolongeait jusqu’au 15 mars la suspension de ses 26 vols hebdomadaires à destination et en provenance de Pékin, Shanghaï et Wuhan. La Chine représente 4,5 % de son chiffre d’affaires. A l’instar des compagnies aériennes, avionneurs et équipementiers de l’aéronautique prennent aussi des mesures pour faire face à l’épidémie. Airbus, qui emploie près de 1 900 salariés en Chine, a annoncé, mercredi, la fermeture de son usine d’assemblage final (FAL) de Tianjin, dans la grande banlieue de Pékin. Celle-ci assemble six moyen-courriers A320 par mois depuis la fin de 2019. Le site est à l’arrêt au moins jusqu’au 10 février.
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De son côté, Safran (environ 2 500 salariés en Chine), doit à la demande des autorités prolonger la fermeture de certains de ses sites jusqu’entre le 9 février et le 13 février, a indiqué le directeur général, Philippe Petitcolin. Les employés de bureau sont invités à rester à leur domicile et faire du télétravail. Pour le moment, ces fermetures « n’ont pas d’incidence » sur l’activité assure le motoriste.
  • Textile et beauté paient leur sino-dépendance
Adidas l’a admis, mercredi 5 février. Le fabricant allemand d’articles de sport a estimé que l’épidémie aura « un effet négatif » sur ses activités. Le groupe y exploite 500 magasins en propre et 11 500 franchises. Beaucoup sont fermés. La moitié des boutiques de Nike le sont aussi. Sans en dévoiler l’impact, la marque américaine a averti mardi qu’elle serait touchée. Capri Holdings qui détient les marques Jimmy Choo, Versace et les sacs Michael Kors estime, lui, que le manque à gagner pourrait atteindre 100 millions de dollars, sur le dernier trimestre de son exercice clos fin mars. En France, les fabricants refusent d’avancer des chiffres. Mais, dans ce secteur par nature sino-dépendant, il est fort probable que toutes les entreprises soient touchées. Car les unes y écoulent leurs productions. Et les autres s’y fournissent. Vivarte qui détient notamment l’enseigne La Halle admet ainsi que l’approvisionnement de ses magasins est compliqué. Ses collections du printemps-été 2020 seront livrées avec un mois de retard.
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