Commentary on Political Economy

Sunday 20 September 2020

 

Amnesty International dénonce l’exportation vers la Chine de technologies européennes de surveillance

Des visiteurs regardent des caméras de reconnaissance faciale lors d’une exposition à Pékin, en Chine, en octobre 2018.
Des visiteurs regardent des caméras de reconnaissance faciale lors d’une exposition à Pékin, en Chine, en octobre 2018. NICOLAS ASFOURI / AFP

Plusieurs entreprises européennes ont doté la Chine de matériels de surveillance, notamment de reconnaissance faciale, dénonce Amnesty International dans un rapport publié lundi 21 septembre. L’ONG y évoque le géant français Idemia, l’un des leaders mondiaux du secteur de la biométrie – avec 15 000 collaborateurs et 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires revendiqués.

Amnesty met aujourd’hui en cause Idemia pour la fourniture d’un système permettant de détecter et de reconnaître des visages sur une bande-vidéo au bureau de sécurité publique de Shanghaï. Cette vente, dénonce l’ONG, a été réalisée en 2015 par Morpho, une ancienne filiale de Safran, qui a fusionné avec Oberthur en 2017 pour former Idemia.

« De graves risques pour les droits humains »

Deux autres entreprises sont épinglées par Amnesty : Axis communications, basée en Suède, qui a remporté plusieurs marchés depuis 2012 pour ses caméras numériques de vidéosurveillance – ses produits, écrit Amnesty, « sont activement utilisés dans les projets chinois de surveillance de masse » – et la néerlandaise Noldus Information Technology, qui a vendu à plusieurs organes proches de l’appareil de sécurité chinois des dispositifs de captation vidéo destinés à mesurer les émotions, à analyser les comportements et dans certains cas, le genre, l’âge et l’ethnicité des personnes filmées.

A ce jour, la Chine a maillé son territoire de plus de 200 millions de caméras de vidéosurveillance – qu’elle prévoit de connecter entre elles – et faisant de plus en plus appel à des technologies de reconnaissance faciale, utilisées comme nulle part ailleurs dans le monde. C’est particulièrement le cas dans la province du Xinjiang où, sous couvert de lutte contre le terrorisme, le régime a placé la population ouïgoure sous une surveillance implacable qui permet sa répression à grande échelle.

Cette fourniture de matériels à un pays qui « abuse de son système de lutte contre la criminalité » et met en en place « de la surveillance massive et indiscriminée » fait peser, selon Amnesty, de « graves risques pour les droits humains ».

Noldus Information Technology et Axis communications ont, selon l’ONG, vendu certains de leurs produits à des entités dans la province de Xinjiang.

« Jamais déployé »

Sollicitée par Le Monde, une porte-parole d’Idemia affirme que le système vendu en 2015 était destiné à des bandes-vidéo préalablement enregistrées et ne pouvait « être utilisé pour une surveillance en temps réel »« A notre connaissance, le système n’a jamais été déployé », précise Idemia, qui a donné les mêmes réponses à Amnesty.

Une réserve qui ne convainc pas l’ONG. « La vente d’une technologie de reconnaissance faciale permet au client de se familiariser avec la technologie. Les bureaux de sécurité publique, en Chine, ont pour tâche de déployer des systèmes de surveillance de masse », note Merel Koning, qui a rédigé le rapport. « Quand vous vendez au bureau de la sécurité publique de Shanghaï, il est très naïf de penser que vous pouvez le contrôler », insiste la chercheuse.

De son côté, Idemia affirme aujourd’hui qu’elle se refuse à vendre tout « système d’identification aux autorités chinoises » et dit « condamne[r] fermement l’utilisation de technologies de reconnaissance faciale à des fins de surveillance de masse ». Cela n’a pas toujours été le cas chez Morpho : une page de l’ancien site Internet de l’entreprise, antérieure à la fusion avec Oberthur mais dont des copies subsistent, se vante d’avoir fourni des « systèmes de reconnaissance faciale » à des forces de police des villes de Tianjin, Canton et Wenzhou ainsi que des provinces de Heilongjiang, de Jilin et de Jiangxi.

Si Amnesty « salue » l’évolution de l’entreprise et se réjouit qu’elle ait, « depuis quatre ans, identifié les risques liés à l’exportation de technologies de surveillance », cela reste insuffisant pour l’ONG : « Idemia devrait complètement arrêter la vente de reconnaissance faciale », tranche Merel Koning.

Un cadre légal jugé insuffisant

La société Noldus Information Technology s’est défendue directement auprès d’Amnesty de fournir des outils de surveillance, arguant que ses produits n’étaient employés qu’à des fins de recherche et ne pouvaient être utilisés en conditions réelles.

Axis Communications a, de la même manière, expliqué avoir respecté toutes les procédures légales et n’avoir, à l’époque des transactions, « eu aucune information indiquant que nos produits allaient être utilisés à des fins contraires aux droits humains ». L’entreprise dit avoir depuis pris des mesures pour mieux sélectionner ses clients.

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Pour Amnesty, ce rapport sert à entretenir le débat sur le cadre européen en matière d’exportation de matériels de surveillance, jugé insuffisant. Il « ne permet pas de limiter les risques posés par de nouvelles formes de technologies de surveillance » comme la reconnaissance faciale, écrit l’ONG. Ce débat se concentrait jusqu’ici sur les logiciels espions, vendus à des fins de lutte contre le terrorisme ou la criminalité, mais souvent détournés par leurs acheteurs pour surveiller opposants ou journalistes.

Amnesty tente d’élargir la question à la vidéosurveillance et à la reconnaissance faciale, alors qu’une réforme de ce mécanisme est à l’étude à Bruxelles. L’ONG appelle, dans ce contexte, à ce que la reconnaissance faciale soit davantage contrôlée.

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