Commentary on Political Economy

Friday 4 September 2020

 

Le basculement du monde vers l’Asie, avec la Chine au centre, n’aura pas lieu

La pandémie a révélé les limites internes du régime chinois. Dans le combat pour le leadership mondial, ce sera peut-être l’Europe et les valeurs humanistes qui l’emporteront, affirment les deux experts en géopolitique

La fin de l’Occident et de son modèle libéral semblait une évidence dominant les débats sur l’avenir du système planétaire. En dépit de son ralentissement, la croissance chinoise demeurait forte, masquant les lacunes du régime, dont des inégalités abyssales entre les privilégiés, souvent membres du Parti communiste au pouvoir, et les laissés-pour-compte.

Le modèle chinois et ses « nouvelles routes de la soie » semblaient devoir s’imposer inéluctablement, jouant de capacités d’investissements en apparence illimitées. Idéologiquement, la stratégie « America first » de Donald Trump, ses critiques contre les alliés les plus proches des Etats-Unis, de l’Europe à l’Asie, donnaient du crédit à ceux qui, plaçant sur le même plan les ingérences américaines et une menace chinoise en apparence très lointaine, ne voyaient dans la guerre commerciale avec Pékin que la manifestation d’une rivalité pour dominer le monde.

Place ultra-dominante

La crise due au Covid-19 impose toutefois de remettre en cause cette analyse. Le basculement du monde vers l’Asie, avec la Chine au centre, n’aura pas lieu. Cette pandémie apparue en République populaire de Chine pour des raisons liées à la nature même du système a révélé les limites internes du régime, incompatibles avec son statut de deuxième puissance mondiale.

La corruption, l’absence de transparence et de système légal sont rendues plus délétères encore par la place ultra-dominante que la Chine a prise dans les échanges mondiaux.

Mais la pandémie a aussi révélé les faiblesses externes d’un système totalement focalisé sur l’objectif étroit de maintien au pouvoir du Parti communiste par n’importe quel moyen, dont le repli idéologique et l’hypernationalisme. Alors que la crise faisait rage, on a vu Pékin se lancer dans une course aventuriste aux provocations les plus contre-productives, de la frontière indienne à la mer de Chine, de Hongkong au Xinjiang. Les « loups combattants » de la diplomatie chinoise ont multiplié les déclarations agressives, ruinant l’image positive de la Chine auprès de ses plus fidèles soutiens. L’Union européenne, pourtant traditionnellement prudente, a multiplié les déclarations de méfiance à l’égard d’un régime au comportement incompréhensible.

Dans ce contexte, les discours chinois sur le « multilatéralisme » ont considérablement perdu de leur crédibilité. Et il ne suffit plus à Pékin de promettre des avancées sur le climat pour satisfaire Paris. Le Japon lui-même, pourtant de meilleure volonté, est confronté à des provocations renforcées dans ses eaux territoriales, les forces navales chinoises multipliant les incursions pour des durées de plus en plus longues. Même l’Afrique renâcle, dont, pour la première fois, les ambassadeurs ont publié une lettre ouverte demandant un meilleur traitement de leurs ressortissants en Chine.

Rapport de force

Surtout, la Chine est aujourd’hui confrontée à une crise économique et sociale majeure et ses marges d’action financière sur la scène internationale – sa seule véritable source de « soft power » – sont plus contraintes. A un autre niveau, on découvre que la « superpuissance de l’innovation » demeure – en dépit d’investissements considérables – totalement dépendante de technologies occidentales dont la source se tarit sous la pression des Etats-Unis, menaçant les plus beaux fleurons de la high-tech chinoise.

Quels que soient ses défauts, Donald Trump – ou ses conseilleurs – a compris qu’avec un régime chinois essentiellement léniniste derrière les références culturalistes à l’harmonie et aux valeurs confucianistes, seul le rapport de force s’imposait. En Asie, c’est le modèle occidental, et les valeurs de la démocratie, dont l’universalité est pourtant systématiquement contestée par Pékin, qui l’emporte idéologiquement jusque dans le monde chinois. Hongkong et Taïwan sont là pour en témoigner.

Au-delà de la Chine, le Japon a pris aussi le risque d’écorner son image de puissance douce, et de remettre en cause les efforts accomplis depuis 2012 pour placer l’Archipel au cœur de la réflexion stratégique globale. Son discours sur les valeurs communes et un espace indo-Pacifique libre et ouvert s’est en effet vu remis en cause par le choix surprenant d’une fermeture totale en partie motivée par les risques épidémiques, mais qui a fait du Japon une exception parmi ses partenaires du G7. Les incertitudes qui pèsent sur les Jeux olympiques semblent avoir freiné l’enthousiasme de ceux qui ambitionnaient de voir Tokyo jouer un rôle mieux reconnu sur la scène internationale.

La pandémie laissera des traces partout, mais ce qu’elle a révélé, c’est que le basculement du monde vers une Asie dominée par la Chine n’était pas une fatalité et encore moins une option souhaitable, et s’il doit y avoir un gagnant dans ce combat mondial, ce sera peut-être l’Europe – qui a su s’emparer d’enjeux stratégiques nouveaux à la faveur de la crise – et les valeurs humanistes qui l’emporteront.

Walter Lohman est directeur du Centre d’études asiatiques de la Heritage Foundation, Washington DC Valérie Niquet est responsable du pôle Asie, Fondation pour la recherche stratégique, Paris

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