Commentary on Political Economy

Friday 3 December 2021

 « Il faut réguler les téléviseurs comme les smartphones, Google ou Amazon »

CHRONIQUE

auteur

Alexandre Piquard


La révolution des téléviseurs connectés est en marche, et leur système d’exploitation devient le nerf de la guerre. Si le législateur ne veut pas que les chaînes et les opérateurs téléphoniques perdent du terrain, il ferait bien d’intervenir, explique Alexandre Piquard, journaliste au « Monde », dans sa chronique.


Publié le 02 décembre 2021 à 06h00 Temps deLecture 3 min.



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Chronique. Acheter un téléviseur en 2021, c’est constater à quel point cet objet a changé. On ne pense pas, ici, à la taille de l’écran ou à la qualité de l’image – toujours plus grands – mais plutôt à l’accès aux programmes. On se voit d’abord proposé de connecter le poste à Internet par Wi-Fi. Puis de confirmer quelles applications apparaîtront sur l’écran d’accueil : la célèbre plate-forme de films et séries Netflix, ses concurrents édités par des plates-formes d’e-commerce Prime Video (Amazon) ou Rakuten TV, des services de groupes audiovisuels français comme Canal+, France.tv ou Salto (TF1, M6 et France Télévisions), la plate-forme de vidéos de Google YouTube, les assistants vocaux de Google ou Amazon, des offres audiovisuelles d’opérateurs téléphoniques comme Orange, Bouygues ou Free, etc.


A celles-ci s’ajouteront, une fois configuré le téléviseur – en l’occurrence un Samsung – un lien vers Samsung TV Plus, un bouquet de chaînes édité par le constructeur coréen. Enfin, sur la télécommande, on trouvera deux boutons d’accès direct vers les services Netflix, Prime Video et Samsung TV Plus.


Quel contraste avec la télévision linéaire classique. Bien sûr, l’habitude de regarder ses programmes en différé est déjà bien installée : sur les services de rattrapage des chaînes, sous forme d’extraits, souvent sur mobile, en vidéo à la demande… Mais une nouvelle explosion a lieu avec l’accès par Internet, « over the top », sans passer par les services régulés. Cela peut à terme remettre en question l’édifice créé en France depuis la loi sur l’audiovisuel de 1986 : le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) attribuait aux groupes audiovisuels des fréquences pour y diffuser des chaînes, avec une numérotation ordonnée, en échange d’engagements sur la qualité et la diversité des programmes, etc.


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Certes, note le CSA, l’actuelle TNT (Télévision numérique terrestre) n’est pas morte : 22 % des Français reçoivent encore la télévision par ce seul moyen. Et 60 % y accèdent via les décodeurs des fournisseurs d’accès à Internet, qui respectent la numérotation des chaînes pour la partie linéaire. Mais 81 % des Français possèdent un téléviseur relié à Internet, dont 40 % en direct (+ 7 points en deux ans).


Nouvel univers audiovisuel

Dans ce nouvel univers audiovisuel, les chaînes, voire les opérateurs téléphoniques, risquent de perdre du terrain. Comme sur les smartphones, un point crucial est désormais le système d’exploitation des téléviseurs. Les leaders sont les constructeurs Samsung et LG, ou Google, qui a installé Android TV (une version de son environnement mobile) sur les téléviseurs Sony, Philips, TCL, Thomson… Apple et Amazon briguent aussi une place, avec leurs boîtiers pour connecter des téléviseurs et accéder à des services de vidéos, Apple TV et Fire TV.


Les géants du numérique Google, Apple et Amazon ont l’avantage de bénéficier de riches magasins d’applications et de leurs propres assistants vocaux. Amazon a même un modèle de téléviseur maison. Google ou Apple, via l’iPhone, promettent, eux, une meilleure connexion entre le poste et les smartphones ou tablettes, voire, demain, les voitures connectées, dont ils équipent certains modèles.


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Face à cette évolution, il ne faut pas attendre des années pour agir. Il faut réguler les téléviseurs comme les smartphones, Google.com ou Amazon.com. Certains régulateurs en sont conscients : les députés européens ont introduit les « téléviseurs connectés » dans la liste des services concernés par le Digital Markets Act. Ce projet de règlement européen doit notamment interdire aux éditeurs de moteurs de recherche, d’environnements mobiles ou de sites d’e-commerce de favoriser leurs propres services sur leurs plates-formes, en s’accordant une mise en avant ou un accès à des données inaccessibles à leurs concurrents.


Dans le même esprit, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale vient de lancer une mission d’information « flash » sur « la configuration des télécommandes de téléviseurs et des pages d’accueil des box ». La loi audiovisuelle de 1986, réformée en 2020, prévoit, elle, que les interfaces de télévision accordent une « visibilité appropriée » aux services d’intérêt général comme France Télévisions ou Radio France. Mais ces propositions restent à confirmer, et leur application, à préciser. C’est le moment.


Alexandre Piquard

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