Commentary on Political Economy

Sunday 2 January 2022

HINDUISM THE NEW DANGER

 En Inde, les appels à la haine sont devenus monnaie courante

Le premier ministre indien Narendra Modi lors d’un rassemblement à Allahabad, en Inde, le 21 décembre 2021.

Le premier ministre indien Narendra Modi lors d’un rassemblement à Allahabad, en Inde, le 21 décembre 2021. SANJAY KANOJIA / AFP

Quelques jours plus tard, un appel au génocide des musulmans a fait le tour des réseaux sociaux. « Si nous sommes cent d’entre nous prêts à tuer deux millions d’entre eux, alors nous serons victorieux et ferons de l’Inde une nation hindoue », lance une femme, identifiée sur l’une des vidéos comme Pooja Shakun Pandey, du Hindu Mahasabha, un groupe ultranationaliste. Dans ce clip, elle appelle également à prier pour Nathuram Godse, l’assassin du Mahatma Gandhi, père de la nation, qui prônait, lui, l’harmonie entre les religions.


Malgré la gravité des menaces, le premier ministre, Narendra Modi, issu des rangs des nationalistes hindous du Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), est resté silencieux. « Ces idées sont très anciennes, mais elles sont désormais énoncées en toute impunité, sans qu’aucun membre du parti au pouvoir les condamne et avec le soutien tacite du gouvernement », souligne Gilles Verniers, professeur de science politique à l’université privée d’Ashoka, dans la banlieue de New Delhi.


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Sentiment d’impunité

Ces discours de haine interviennent alors que plusieurs élections régionales-clés doivent avoir lieu début 2022. C’est le cas en Uttarakhand, où s’est déroulé cet événement, mais aussi en Uttar Pradesh, où Narendra Modi fait activement campagne pour le chef de gouvernement sortant, le moine fanatique Yogi Adityanath, lui aussi régulièrement épinglé pour ses remarques contre la minorité musulmane qui représente quelque 200 millions de personnes dans cet Etat.


« A chaque élection, le BJP pense qu’il ne peut gagner qu’en polarisant la société, et les discours du premier ministre ne sont qu’une version plus sophistiquée des grossiers appels à la haine prononcés par les religieux d’Haridwar », observe Dhirendra K. Jha, auteur de plusieurs ouvrages sur les groupes extrémistes hindous. Ce spécialiste en veut pour preuve le discours de Narendra Modi à Varanasi (Bénarès), en Uttar Pradesh, le 13 décembre, dans lequel il a conspué l’empereur musulman Aurangzeb, qui régna de 1658 à 1707. « Ici, si un Aurangzeb arrive, alors un Shivaji se lève », avait-il lancé, en référence à ce chef militaire hindou, fondateur et dirigeant de l’empire marathe (1630-1680).


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Face au tollé suscité par les vidéos d’Haridwar, la police a finalement ouvert une enquête le 24 décembre, soit quatre jours après la fin de l’événement. Contacté par Le Monde, Prabodhanand Giri a réitéré ses propos. « Les musulmans veulent assassiner des hindous, et chaque hindou doit se défendre », a-t-il affirmé. Interrogé quant à des poursuites légales, il a assuré ne rien craindre. Signe du sentiment d’impunité dont jouissent les auteurs de ces propos, ils ont été filmés, le 28 décembre, riant aux côtés d’un policier qui, selon eux, sera « de leur côté ».


Le 31 décembre, cinq anciens chefs des forces armées et plus d’une centaine d’autres personnes ont cependant adressé une lettre ouverte au premier ministre et au président Ram Nath Kovind, au sujet des « appels au génocide de musulmans indiens ». Ils estiment que le gouvernement doit prendre des mesures urgentes ». « Nous ne pouvons tolérer une telle incitation à la violence », écrivent-ils dans leur missive.


Inaction de la police

« Les propos qui ont été tenus sont particulièrement choquants, mais il est important de reconnaître que cette tendance à la légitimation de la bigoterie et de la haine n’a fait que s’accroître depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, il y a sept ans », rappelle Harsh Mander, ancien haut fonctionnaire indien et éminent défenseur des droits humains. En 2018 déjà, la chaîne d’information locale New Delhi Television avait recensé les propos haineux des élus indiens, tombant sous le coup de la loi, et conclu qu’ils avaient augmenté de 500 % depuis l’arrivée au pouvoir des nationalistes hindous, par rapport au précédent gouvernement. Et 90 % de ces commentaires incendiaires émanaient d’élus du BJP.


La radicalisation s’est encore accentuée après la réélection des nationalistes hindous à la tête du pays, en 2019. Une série de mesures, s’inscrivant dans l’idéologie de l’hindutva, qui défend l’idée de la suprématie hindoue, ont alors été prises. Le gouvernement a commencé par abroger l’autonomie constitutionnelle du Cachemire, seul Etat à majorité musulmane du pays, avant de recouvrir la région d’une chape de plomb pendant des mois. Il a ensuite fait adopter la très controversée loi sur la citoyenneté qui facilite l’obtention de la nationalité indienne pour les personnes ayant fui les pays voisins, à condition de ne pas être musulmanes.


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Les musulmans ne sont pas les seules cibles. Cette année, les fêtes de Noël ont été perturbées par des radicaux hindous à travers le pays, qui attaquent désormais les chrétiens (2,3 % de la population). Entre janvier et octobre, plus de 300 agressions contre la minorité religieuse et ses lieux de culte ont été perpétrées par des extrémistes hindous, selon plusieurs organisations de défense des droits humains.


« Une poignée de responsables politiques seulement osent encore défendre le modèle laïque indien et, en ce sens, le BJP a déjà gagné sa guerre culturelle en imposant l’hindouisme comme la seule religion légitime à s’exprimer et à être défendue », conclut ainsi Gilles Verniers. Et quels que soient les scores électoraux des nationalistes hindous à l’avenir, la société indienne risque d’en porter longtemps les stigmates.

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