Commentary on Political Economy

Friday 28 January 2022

 

L’UE saisit l’OMC pour défendre la Lituanie contre la Chine

Pékin multiplie les mesures de rétorsion contre Vilnius pour des raisons politiques

Pour l’Union européenne (UE), cela a valeur de test grandeur nature. En saisissant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre la Chine, « en raison de ses pratiques discriminatoires à l’encontre de la Lituanie, qui frappent également [le] marché unique de l’UE », a annoncé la Commission, jeudi 27 janvier, Bruxelles soumet à l’épreuve des faits l’unité des Vingt-Sept et sa capacité de s’imposer sur la scène internationale.

Ces derniers mois, les relations entre Vilnius et Pékin se sont dégradées. La Chine n’a pas apprécié que la Lituanie quitte le forum « 17+1 », ce maillon essentiel des « nouvelles routes de la soie » qui réunit l’empire du Milieu et dix-sept pays d’Europe centrale et de l’Est (dont douze membres de l’Union). Elle s’est énervée lorsque le petit Etat balte a laissé Taïwan ouvrir sur son sol un bureau de représentation officiel à son nom, alors que Pékin ne reconnaît pas le statut d’Etat à cette île.

Le 25 novembre 2021, la Chine a annoncé qu’elle ne délivrait plus de visas aux Lituaniens. Dans la foulée, elle a interrompu ses importations vers la Lituanie, et elle a arrêté de dédouaner les marchandises lituaniennes dans ses ports, invoquant des failles dans son service informatique. Pour Vilnius, la situation restait gérable : certes, ses exportations vers la Chine ont chuté de 91 % en décembre 2021 par rapport au même mois de 2020, mais la Lituanie réalise moins de 1 % de ses échanges commerciaux avec Pékin.

Pourtant, ce qui était au départ une affaire bilatérale est devenu un sujet communautaire. Certains Etats membres, notamment en Europe de l’Est, « se sont dit que ce qui arrivait à la Lituanie pouvait leur arriver », confie un fonctionnaire européen. Qui plus est, Pékin ne s’est pas contenté de mettre des bâtons dans les roues à des entreprises lituaniennes. Divers industriels européens utilisant des composants lituaniens ont perdu des commandes ou se sont vu empêcher d’exporter en Chine.

« En Finlande, en Allemagne ou en Suède, des chaînes de valeur ont été affectées », poursuit cette source. Et le sacro-saint marché intérieur s’en est trouvé perturbé. Dès lors, un pays comme l’Allemagne, qui avait tendance à considérer que Vilnius ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même dans cette histoire, a commencé à voir les choses autrement. Dans ce contexte, la Commission a reçu un soutien unanime des Vingt-Sept quand elle a évoqué la possibilité de saisir l’OMC, jugeant les pratiques de Pékin « discriminatoires et illégales » au regard des règles du commerce multilatéral.

« La dimension symbolique de cette plainte est importante, analyse Sébastien Jean, chercheur associé au Centre d’études prospectives et d’informations internationales. Cela revient à accuser la Chine de détourner et de manipuler le système de l’OMC. » Pékin, qui ne cesse de proclamer son attachement aux principes multilatéraux du commerce mondial, n’hésite pas à utiliser les sanctions commerciales comme une arme diplomatique. 

En 2020 et 2021, le pays a bloqué ou restreint les importations de charbon, d’orge ou de bœuf australien, lorsque Canberra lui a reproché à sa politique répressive à Hongkong ou a exigé une enquête internationale sur les origines du Covid-19. L’Australie a ensuite porté plainte à l’OMC contre certaines de ces mesures.

A l’heure où la Commission se veut géopolitique et où les Vingt-Sept insistent sur leur volonté de construire une Europe plus souveraine, l’UE ne pouvait laisser faire Pékin sans réagir. « Après l’échec de plusieurs tentatives de résolution du problème, nous ne voyons pas d’autre solution que de demander des consultations de règlement des différends à l’OMC avec la Chine. (…) Nous poursuivons en parallèle nos efforts diplomatiques pour désamorcer la situation », a expliqué jeudi Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission chargé des questions commerciales.

Instrument « anticoercition »

« Affirmer que la Chine exerce une prétendue coercition contre la Lituanie ne repose sur aucun fondement », a déclaré jeudi Zhao Lijian, un porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères. « Le problème entre la Chine et la Lituanie est d’ordre politique, pas économique », a-t-il poursuivi, assurant que jamais Pékin n’avait bloqué la moindre exportation lituanienne. Avant de conclure : c’est un problème « bilatéral » avec ce pays, « pas une affaire entre la Chine et l’UE ».

L’action lancée par la Commission devant l’OMC n’aboutira pas avant plusieurs années, les contentieux étant longs à résoudre. Pendant ce temps, les Européens espèrent se munir d’instruments qui lui permettront de se défendre contre des attaques de ce type. En décembre 2021, la Commission a présenté un instrument dit « anticoercition », qui doit lui permettre de répondre à ce genre de situation, quand un Etat tiers adopte des mesures économiques afin d’influencer des politiques européennes.

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