Commentary on Political Economy

Monday 7 February 2022

 En Suisse, les bonnes affaires de l’olympisme

LETTRE DE GENÈVE


Le quartier général du Comité international olympique à Lausanne, en Suisse, le 8 mars 2021.

Le quartier général du Comité international olympique à Lausanne, en Suisse, le 8 mars 2021. FABRICE COFFRINI / AFP

Seuls les mauvais esprits y verront un symbole, alors qu’il ne s’agit que du hasard de l’affectation des parcelles. A Lausanne (Suisse), le siège du Comité international olympique (CIO) jouxte la station d’épuration. En lisière d’un vaste parc centenaire, le CIO dispose depuis quelques années d’un nouveau bâtiment de verre et d’acier face au lac Léman. Conçue par le cabinet d’architectes de Copenhague 3XN, la structure incurvée a plus que triplé les 5 000 mètres carrés de la vieille demeure patricienne de Pierre de Coubertin à laquelle elle est venue s’accoler. Coût des travaux, 145 millions de francs suisses (128 millions d’euros), de quoi accueillir confortablement les quelque 500 salariés de l’institution.


Le même nombre de manifestants s’est réuni, jeudi 3 février, devant cette « maison olympique » avant d’engager une marche de trois kilomètres sur les quais en direction du Musée olympique. Des Tibétains, venus de toute l’Europe pour dire à la veille de l’ouverture des Jeux olympiques (JO) d’hiver de Pékin leur écœurement des « Jeux de la honte et du génocide ». Pour l’artiste Loten Namling, réfugié en Suisse depuis trente-deux ans, « il ne faudrait jamais octroyer leur organisation à des meurtriers de masse et des dictateurs ».


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Thomas Bach n’a pas pu les entendre derrière la baie vitrée de son bureau, et pas seulement parce que celui-ci est insonorisé. L’ancien escrimeur allemand, président de l’institution olympique, se trouve en effet à Pékin où il a déclaré « ouverts », vendredi 4 février, la XXIVe olympiade d’hiver aux côtés du leader chinois Xi Jinping.


Des Jeux au cours desquels les athlètes helvétiques espèrent aussi rafler une moisson de médailles – ils en avaient remporté deux, mardi 8 février au soir –, surtout en ski alpin, discipline dans laquelle le pays se partage de toute éternité les honneurs avec le grand rival autrichien.


Tout un écosystème qui irrigue le tissu local

Mais quels que soient les résultats des courses en Chine, la Suisse a déjà gagné. Elle abrite en effet la quasi-totalité des grandes fédérations sportives internationales, et les retombées économiques qu’elles génèrent sont de plus en plus importantes.


Entre 2014 et 2019, elles ont rapporté plus de 1,7 milliard de francs suisses par an (1,5 milliard d’euros), en hausse de 57 % par rapport à la période de cinq ans précédente. Selon une étude récente de l’Académie internationale des sciences et techniques du sport de Lausanne (AISTS), le canton de Vaud est le principal bénéficiaire de cette manne : quarante-six des cinquante-trois fédérations installées en Suisse y ont élu domicile, dont quarante à Lausanne même. Elles assurent aussi plus de 3 300 emplois dans le pays, dont 1 840 sur le canton de Vaud : le CIO à Lausanne, l’Union des associations européennes de football (UEFA) à Nyon, l’Union cycliste internationale (UCI) à Aigle, la Fédération internationale de basketball (FIBA) dans le village de Mies, etc.


Autour de chacun de ces pôles gravite tout un écosystème qui irrigue le tissu local, à la grande satisfaction du conseiller d’Etat (ministre) vaudois Philippe Leuba, chargé de l’économie et des sports : « Cela représente 870 millions de francs suisses de dépenses annuelles, en chambres d’hôtel, en restaurants, en taxis, ou encore en études d’avocats, par exemple. » Le tourisme d’affaires lié à ce secteur représente 45 000 nuitées par an en Suisse – et s’il a été mis entre parenthèses depuis le début de la pandémie, nul ne doute qu’il ne devrait plus tarder à redémarrer.


Pour expliquer l’attractivité de son canton, Philippe Leuba évoque « la forte sécurité juridique du système suisse, un atout extrêmement important dans le monde du sport aujourd’hui ». La fiscalité zéro ne serait pas un argument, puisque « l’exonération d’impôts des fédérations sportives internationales n’est pas une spécificité vaudoise, mais une règle valable partout sur la planète », comme l’expliquait à la radio publique RTS Info le maire socialiste de Lausanne, Grégoire Junod, qui compte attirer de nouvelles fédérations dans la « capitale olympique ».


Absence de régulation

Et le risque pour la réputation du pays ? L’opacité financière de ces organisations, qui ne publient pas leurs comptes, encore moins leurs bénéfices, est rarement évoquée. Tout au plus chaque cas est-il traité de façon séparée, comme les démêlés récurrents avec la justice du patron du football mondial, Gianni Infantino. Ils expliquent sans doute pourquoi ce dernier s’est installé avec femme et enfants au Qatar, comme le révélait récemment le journal Sonntags Zeitung. A Zurich, l’inquiétude grandit de voir la FIFA quitter un jour la métropole alémanique pour Doha ou pour Paris, qui lui fait du pied.

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