Commentary on Political Economy

Monday 28 February 2022

 Guerre en Ukraine : les sanctions économiques plongent la Russie dans une grave crise financière

Le rouble dévisse, une filiale européenne d’une banque russe a fait faillite. La banque centrale du pays a doublé son taux d’intérêt, à 20 %.


Par Eric Albert(Londres, correspondance)

Publié aujourd’hui à 13h56, mis à jour à 16h56 

Temps deLecture 4 min.


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Une file d’attente devant une agence de la Sberbank, à Prague, le 25 février 2022.

Une file d’attente devant une agence de la Sberbank, à Prague, le 25 février 2022. MICHAL CIZEK / AFP

Les sanctions économiques occidentales semblent avoir atteint leur objectif : lundi 28 février, la Russie connaissait une grave crise financière. Le rouble, qui était déjà en recul de 60 % depuis 2014, dévisse : dans la matinée, il avait perdu plus de 20 % face au dollar. Forcée de réagir, la banque centrale russe a doublé son taux d’intérêt, de 9,5 % à 20 %, portant un violent coup à l’économie russe.


A travers le pays, les habitants font la queue devant les distributeurs de billets, à la recherche de devises. Une inflation galopante et un soudain appauvrissement de la Russie semblent inévitables. Le début d’une panique bancaire se profile : la filiale européenne de Sberbank, la première banque russe, propriété de l’Etat, est en faillite, après le retrait massif des dépôts par ses clients.


Comment l’Occident a contraint la banque centrale russe ?

Les Occidentaux ont annoncé, samedi 26 février, des sanctions économiques sans précédent contre la Russie, en représailles contre l’invasion de l’Ukraine. Les Etats-Unis, la Commission européenne, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et le Canada ont, en particulier, décidé de geler les réserves de la banque centrale russe, touchant à son « trésor de guerre », selon l’expression d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. La banque centrale russe possède 630 milliards de dollars (562,3 milliards d’euros), selon ses propres chiffres, publiés en janvier. De quoi « couvrir vingt et un mois d’importations » de la Russie, affirmait-elle en janvier.


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Parmi cette somme, une partie (167 milliards de dollars) est en roubles, et vaut aujourd’hui beaucoup moins. Une partie est en or (132 milliards de dollars), dans des coffres en Russie, et elle n’est pas touchée par les sanctions. Mais une partie (95 milliards de dollars) est déposée auprès des grandes banques centrales occidentales, notamment la Réserve fédérale (Fed) américaine, ou la Banque de France, qui possède de 3 milliards à 4 milliards d’euros environ, en dépôts. Cet argent est aujourd’hui gelé.


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Concrètement, l’institution monétaire russe n’a plus la même puissance de feu pour défendre le rouble sur les marchés financiers. En cas de crise monétaire, elle peut normalement acheter des roubles pour enrayer la dévaluation. Elle est désormais limitée dans son action.


Comment les autorités russes réagissent-elles ?

La banque centrale de Russie avait annoncé, dès jeudi 24 février, alors que les premières sanctions occidentales avaient été prises, qu’elle intervenait sur les marchés pour assurer la stabilité financière du pays.


Lundi 28 février, elle est passée à la vitesse supérieure, doublant son taux d’intérêt directeur, de 9,5 % à 20 %. C’est une façon de défendre le rouble, en rétribuant mieux les dépôts dans la devise russe. Mais c’est aussi un coup de massue pour l’économie locale : pour les entreprises ou les particuliers, réaliser un emprunt devient prohibitif. « C’est nécessaire pour soutenir la stabilité des prix et la stabilité financière et protéger l’épargne des citoyens de la dépréciation [du rouble] », explique l’institution monétaire.


Le ministère de l’économie russe est aussi intervenu, en ayant recours à la coercition. Il a annoncé que toutes les entreprises russes doivent convertir en roubles 80 % de leurs revenus réalisés en devises étrangères. Pour ces dernières, cela revient à dilapider leurs ressources, alors que la monnaie russe est en chute libre.


Quelles conséquences pour la population ?

Une forte dévaluation de la devise renchérit mécaniquement le prix des produits importés. Or, la Russie est assez dépendante de l’étranger pour une partie de son alimentation et de ses produits de consommation courante. Sachant que l’inflation était déjà de 9 % avant le début de la guerre, un risque d’hyperinflation se profile.


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La Russie se prépare cependant depuis des années. En 2005, 40 % de sa viande était importée ; en 2013, ce n’était plus que 25 %. Puis, après les sanctions occidentales de 2014, Moscou a accéléré ce mouvement vers une plus forte autarcie. La production locale de viande a augmenté d’un tiers et celle de fromage d’un quart, selon le site Geopolitical Intelligence Services.


La Russie est-elle menacée d’une panique bancaire ?

Dimanche 27 février au soir, la Banque centrale européenne (BCE), qui supervise les établissements de la zone euro, a annoncé que la filiale européenne de Sberbank, située en Autriche, était en faillite. Cette banque publique russe, de loin la plus importante du pays, a souffert « des retraits significatifs de ses dépôts », explique la BCE. En clair, ses clients se sont rués pour mettre leur argent ailleurs. La banque va, « dans le futur proche, probablement être incapable de payer ses dettes ou ses créances », affirme la BCE.


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En Russie, les habitants cherchent de la même façon à retirer leur argent et à le convertir en devises étrangères. Cela explique les files d’attente devant les distributeurs d’argent. Max Seddon, chef du bureau du Financial Times, à Moscou, explique sur Twitter que sa banque vend des dollars à 166 roubles l’unité. En 2014, avant le conflit dans le Donbass, le billet vert s’échangeait à 25 roubles, six fois moins cher.

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