Commentary on Political Economy

Tuesday 1 March 2022

 

En Ukraine, des exilés biélorusses s’engagent dans la défense des villes

Partis de Biélorussie pour fuir la répression, des réfugiés se trouvent confrontés à la méfiance de la population depuis l’implication de Minsk aux côtés de Moscou dans la guerre. Ce qui n’empêche pas certains de prendre les armes contre l’armée russe.

Par 

Publié aujourd’hui à 11h11 

Temps deLecture 4 min.

Article réservé aux abonnés

Des soldats de la Garde nationale ukrainienne arrêtent une voiture à un point de contrôle mobile  à Kharkiv, en Ukraine, le 17 février 2022.

Quand la guerre a éclaté, Vladimir, qui n’a pas souhaité donner son nom, a d’abord pensé à quitter l’Ukraine. « Le premier jour, j’avais même commencé à faire mes bagages », raconte-t-il, indifférent à la sirène d’alerte annonçant un bombardement qui résonne dans les rues de Lviv, la grande ville de l’ouest du pays. « Mais ensuite j’ai réfléchi et je me suis dit que je ne pouvais pas tout le temps fuir. » Agé d’une vingtaine d’années, cet ex-militaire avait fait défection dans son pays, la Biélorussie, après la réélection controversée d’Alexandre Loukachenko, en août 2020. Comme des milliers de ses compatriotes, il avait fui la répression politique menée par le régime pour trouver refuge en Ukraine, un pays voisin.

Suivre notre direct : Un convoi militaire russe d’une soixantaine de kilomètres se dirige vers Kiev

Le voici à nouveau confronté à un dilemme : résister ou partir. Face à l’invasion russe lancée le 24 février, Vladimir a pris la décision de combattre aux côtés des Ukrainiens. Il espère être enrôlé au sein de la « défense territoriale », une branche de l’armée ukrainienne constituée d’engagés volontaires, chargée de défendre les villes. Il pourrait être déployé à Lviv, sa cité d’accueil depuis son départ de Biélorussie, sept mois plus tôt, où ailleurs dans le pays. « Je pense qu’il faut arrêter les Russes, leur montrer qu’on n’a pas peur d’eux, dit-il. Je veux aussi prouver aux Ukrainiens que tous les Biélorusses ne sont pas leurs ennemis. En ce moment notre président [Alexandre Loukachenko] nous fait passer pour des ennemis. »

« Goûter à la liberté »

Pour accéder à Lviv, il faut traverser de nombreux checkpoints tenus par des hommes chargés d’arrêter les « saboteurs », des agents russes infiltrés pour mener des opérations de reconnaissance ou initier des attaques. La ville, située à 70 km de la Pologne, est devenue une étape incontournable de la route de l’exode vers les frontières occidentales de l’Ukraine. Elle accueille de nombreux réfugiés de guerre, et des ambassades, contraintes de quitter Kiev.

Privilège abonnés
COURS DE GÉOPOLITIQUE AVEC ALAIN FRACHON
Du 11-Septembre à la crise ukrainienne, retour sur 20 ans d’histoire(s) des Etats-Unis.
Bénéficier de 10% de réduction

Une importante communauté biélorusse y est également installée depuis les événements politiques d’août 2020. Le « centre de crise », une organisation qui fournissait une assistance aux Biélorusses réfugiés en Ukraine, a changé d’activités du jour au lendemain. « Depuis cinq jours, nous évacuons des personnes, nous cherchons des logements pour les réfugiés à Lviv et pour ceux qui ont décidé de se porter volontaires et de s’engager dans la défense territoriale », explique Aliakseï Frantskevitch, son directeur.

Lire aussi  Article réservé à nos abonnés A la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, l’enfer des migrants

« Je me suis engagé car les Russes agissent de manière injuste en refusant d’accepter l’indépendance de l’Ukraine et de la Biélorussie », lâche Sergueï Boulba, un homme d’affaires biélorusse installé à Lviv, prêt à se battre lui aussi. L’homme de 53 ans s’implique depuis plusieurs années dans la politique ukrainienne. En 2014, il participait à la révolution de Maïdan, à Kiev, qui avait mené à la chute du président prorusse Viktor Ianoukovitch. Quelques mois plus tard, il se rendait sur le front de la guerre du Donbass opposant les autorités ukrainiennes et les séparatistes, soutenus par Moscou, pour « apporter des trousses de premiers secours ».

Il estime qu’à l’époque « entre 200 et 300 » Biélorusses se battaient aux côtés des Ukrainiens. Depuis le début de l’invasion russe du 24 février, « ces gars qui ont de l’expérience ont été les premiers à monter au créneau », affirme-t-il. « En plus de ceux qui sont arrivés après les manifestations d’août 2020, eux aussi sont prêts à goûter à la liberté et à défendre l’Ukraine. »

Défiance

Depuis le début de l’offensive russe, le territoire biélorusse est utilisé par les troupes de Moscou comme base arrière. Dimanche 27 février, un missile Iskander russe y a été lancé afin de toucher l’aéroport militaire de Jytomyr, à l’ouest de la capitale ukrainienne. Dans un communiqué publié lundi soir, les autorités ukrainiennes affirmaient que certaines unités des « forces armées de Biélorussie ont commencé à se déplacer vers la frontière de l’Ukraine, en direction de la Volhynie », dans l’ouest de l’Ukraine. « Si Poutine dit à Loukachenko d’envoyer ses hommes, il le fera, affirme Vladimir. Il n’a plus le contrôle du pays. »

Lire aussi  Article réservé à nos abonnés Guerre en Ukraine : à l’ouest de Kiev, les habitants de Jytomyr organisent la résistance

La participation tacite de M. Loukachenko dans l’invasion ukrainienne a un impact sur la réputation des Biélorusses en Ukraine. « Si, avant cela, les Russes étaient les seuls agresseurs, maintenant les Biélorusses sont dans le même bateau », s’inquiète Palina Brodik, une activiste réfugiée en Pologne depuis la guerre, qui aide à évacuer Biélorusses et Ukrainiens de la capitale ukrainienne. Aux postes-frontières, « les gens qui ont des voitures avec des plaques d’immatriculation biélorusses sont constamment attaqués verbalement », affirme-t-elle. Même chose aux checkpoints du pays, tenus par des hommes en armes, qui se sont multipliés sur les routes. « Parfois, ils ne sont même pas autorisés à passer. »

Vitali Saviuk, exilé en Ukraine depuis octobre 2021 pour des raisons politiques, se souvient que les autorités ukrainiennes étaient défiantes à lui donner des armes aux premiers jours de la guerre. « Lorsqu’ils ont vu mon passeport biélorusse, ils ont refusé de nous en donner », explique l’homme, joint par téléphone, depuis Kiev. Cela n’a pas affecté son envie de se battre. « Les Ukrainiens meurent, et nous considérons ce peuple comme nos frères », déclare Vitali Saviuk qui fait désormais partie d’un groupe de combattants biélorusses basé dans la ville de Jmerynka. A Kiev, avant la guerre, il accueillait les nouveaux réfugiés biélorusses et organisait des manifestations. Depuis, beaucoup de ses amis sont partis se battre dans différentes villes du pays. Le groupe pourrait encore s’élargir : « Nous sommes en contact avec des gens prêts à venir de Pologne et qui avaient eux aussi fui pour des raisons politiques. »

No comments:

Post a Comment