Commentary on Political Economy

Monday 7 March 2022

SHUT DOWN ALL CHINESE MEDIA NOW!

 La dernière émission en direct du réseau RT France en raison d’une décision de l’Union européenne après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 2 mars 2022, à Paris.

Les suspensions de diffusion (CNN, BBC britannique, CBC/Radio Canada) sur le territoire russe ou l’arrêt de la couverture des événements depuis Moscou (ARD et ZDF allemandes, RAI italienne) se multiplient chez les médias indépendants russes ou occidentaux depuis que l’adoption en urgence par Moscou, vendredi 4 mars, d’un texte punissant de prison (jusqu’à quinze ans) les auteurs et diffuseurs d’« informations mensongères sur l’armée ».

Cette « guerre de l’information » déclarée par le Kremlin, qui a bloqué Facebook et restreint l’accès à Twitter vendredi 4 mars, s’inscrit dans une logique en cours depuis plusieurs années, rappelle David Colon, professeur à Sciences Po et spécialiste de l’histoire de la propagande contemporaine (Les Maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse, Ed. Tallandier, 352 pages, 21,50 euros). Les médias d’Etat russes interdits par l’Union européenne (UE) mercredi 2 mars en étaient les chevaux de Troie.

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La décision de l’UE d’interdire la chaîne de télévision RT et l’agence de presse Sputnik a été interprétée, notamment par les syndicats professionnels de journalistes, comme un acte de censure. Qu’est-ce qui la justifie ?

Le bannissement de ces médias de propagande russe est une mesure d’exception, justifiée par la situation dramatique que nous traversons. Face à la menace immédiate que représentent les opérations de désinformation de la Russie, nous sommes confrontés à un état d’urgence informationnel qui ne dit pas son nom. Je suis évidemment attaché à la liberté d’expression, et il ne s’agit pas pour moi de légitimer une quelconque atteinte à l’Etat de droit. Mais au vu des circonstances, cet état d’exception peut paraître légitime si l’on considère que notre pays a été explicitement menacé de représailles.

RT en français, qui compte une centaine de journalistes dotés d’une carte de presse et qui bénéficie d’une convention signée avec l’Arcom (ex-CSA), n’a pourtant été mise en demeure pour manquement à l’honnêteté de l’information qu’une seule fois en quatre ans de diffusion…

D’abord, il faut rappeler que détenir une carte de presse n’est pas un vaccin contre la manipulation de l’information. Ensuite, il est aujourd’hui bien attesté que les propagandistes russes, dont RT, ont amplifié tous les mouvements sociaux ou antivax, et plus largement les théories du complot, par le recours à des trolls, à des bots (faux comptes automatiques diffusant de fausses informations). Outre la division, il s’agit de semer les graines de la défiance au sein des régimes démocratiques, d’affaiblir leurs institutions, de semer le doute quant à toute intervention qui pourrait être dommageable à la Russie. Il faut bien admettre que, sans souvent le savoir, nous étions l’objet d’une guerre de l’information destinée à saper les fondements de nos démocraties.

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De son côté, la Russie prive drastiquement ses citoyens de pluralisme. Pouvait-il en être autrement ?

Il y a bien longtemps que les Russes ont accès à une information contrôlée. Cette reprise en main s’observe autant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, avec notamment le groupe Russia Segodnia (Russia Today) créé en 2013, comme bras armé officiel. Il faut avoir en tête que le pouvoir russe estimait avoir perdu le contrôle de l’information à la fin de la guerre froide, lorsque les Etats-Unis ont imposé leur domination avec ce qu’on appelait à l’époque les autoroutes de l’information – CNN, la diffusion par satellite ou câble, Internet, puis Google, Facebook, etc. Les dirigeants russes ont vu dans la révolution géorgienne de 2003, dans la « révolution orange » ukrainienne de 2004, dans celle des tulipes au Kirghizistan en 2005, dans les printemps arabes en 2011 et bien sûr dans Euromaïdan en 2014 le produit d’une vaste entreprise américaine de déstabilisation de l’information.

Comment la Russie a-t-elle procédé pour reprendre le contrôle du « narratif » ?

En Occident, cette reprise en main se traduit depuis dix ans par l’exacerbation systématique par la propagande blanche, c’est-à-dire transparente, comme RT, Sputnik… et la propagande noire, qui avance masquée, de toutes les tensions ethniques, sociales, politiques, ou religieuses préexistantes. Ça a été le cas avec le Brexit, l’élection de Donald Trump, l’émergence de l’alt-right, les « gilets jaunes », les mouvements antivax, les QAnon. Qui sont aujourd’hui les plus grands défenseurs de l’intervention russe ? Steve Bannon et Nigel Farage, c’est-à-dire ceux qui ont directement bénéficié, ou collaboré, à cette entreprise de manipulation de l’information occidentale – en l’espèce, à des fins électorales.

La Russie, comme la Chine, ont limité autant que possible l’influence des réseaux sociaux occidentaux, notamment en créant les leurs

Prenez l’exemple de cet avion civil malaisien abattu au-dessus de l’Ukraine en 2014. Les conclusions de l’enquête judiciaire étaient claires : le MH17 a été détruit par un missile Buk acheminé par la Russie, tiré depuis la partie du territoire ukrainien contrôlé par les séparatistes. Mais du fait de la diffusion massive d’au moins treize théories différentes, l’immense majorité des citoyens russes est encore convaincue que les séparatistes n’y sont pour rien, et que la Russie est victime d’une campagne de désinformation venant de l’Occident.

A l’ère des réseaux sociaux, quel est l’impact de la fermeture de médias traditionnels ?

Dans la mesure où l’accès aux médias traditionnels se fait de plus en plus par les réseaux sociaux, leur fermeture diminue de fait leur impact. Chez eux, la Russie, comme la Chine, ont limité autant que possible l’influence des réseaux sociaux occidentaux, notamment en créant les leurs. Dans le même temps, ils ont instrumentalisé en Occident les outils numériques de microciblage publicitaire. Selon le renseignement américain, l’organisation de la manifestation de suprémacistes blancs armés devant un centre islamique à Houston [Texas] le 21 mai 2016 et la contre-manifestation antiraciste qui a suivi n’ont coûté que 200 dollars à un agent du renseignement militaire russe pour créer les faux comptes et les groupes prétendument à l’origine de ces deux événements.

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