Guerre en Ukraine : la Chine reste prudente dans son soutien économique à la Russie

Les relations commerciales entre les deux pays peuvent compenser en partie les sanctions imposées à Moscou.

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Publié hier à 12h00, mis à jour hier à 15h35 

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Le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue chinois, Xi Jinping, à Pékin, le 4 février.

Opposé aux sanctions économiques contre la Russie, Pekin n’a ni les moyens ni, peut-être, la volonté de permettre à Moscou de les contourner totalement, mais au moins peut-il les atténuer. L’empire du Milieu n’est pas le premier partenaire économique de Moscou, il pèse pour 15 % de ses exportations et 20 % de ses importations.

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C’est l’Union européenne (UE) qui détient ce titre avec 37 % des échanges commerciaux de la Russie en 2020. En dépit des sanctions mises en place par l’UE contre le pays de Vladimir Poutine après l’invasion de la Crimée, en 2014, le commerce de la Russie avec le Vieux Continent (Grande-Bretagne incluse) était, avant la crise liée au Covid-19, deux à trois fois plus important que celui avec la Chine.

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Malgré tout, les produits phares que la Russie exporte sont justement ceux dont le pays de Xi Jinping est friand : des hydrocarbures et des céréales. Au premier jour de la guerre, jeudi 24 février, les douanes chinoises ont, comme par hasard, annoncé qu’elles levaient les restrictions aux importations de blé russe mises en place jusque-là pour des raisons phytosanitaires. Une décision que Pékin a, selon les experts, surtout prise pour répondre à ses propres besoins. Mais qui revêt évidemment une portée symbolique considérable.

Un nouveau gazoduc

Cette décision fait partie des accords signés le 4 février à Pékin lors de la rencontre entre les présidents chinois et russe, au cours laquelle Xi Jinping et Vladimir Poutine ont annoncé que les relations internationales entraient « dans une nouvelle ère ». Leur amitié, désormais « sans limite », selon le communiqué, trouve également sa source dans les hydrocarbures.

Depuis 2019, un gazoduc Sila Sibiri (ou Power of Siberia, « force de Sibérie ») relie la Russie à la Chine. Sa construction avait d’ailleurs été décidée en 2014 peu après l’invasion de la Crimée. Par ce gazoduc et des livraisons de gaz GNL, Moscou a fourni, en 2021, 16,5 milliards de mètres cubes de gaz à la Chine. Un précédent contrat prévoyait la livraison de 38 milliards de mètres cubes par an à l’horizon 2025. Le 4 février, les deux pays ont annoncé l’achat par la Chine de 10 milliards de mètres cubes supplémentaires par an pendant vingt-cinq à trente ans grâce à un nouveau pipeline, Sila Sibiri 2, qui entrerait en activité à partir de 2030.

A la différence du pipeline actuel, Sila Sibiri 2 partirait de la partie occidentale de la Russie et passerait par la Mongolie. Par ailleurs, Rosneft a signé un accord de long terme avec le chinois CNPC pour la livraison de 100 millions de tonnes de pétrole brut sur dix ans, soit 10 millions de tonnes par an.

« La réalité actuelle est que pas moins de 83 % du gaz fourni par Gazprom a atterri en Europe en 2020 », Alicia Garcia-Herrero, cheffe économiste pour l’Asie-Pacifique chez Natixis

Un contrat important, mais à relativiser, puisque la Russie a exporté 230 millions de tonnes de pétrole en 2021. Au total, comme l’explique l’économiste Hubert Testard, sur le site Asialyst« le partenariat énergétique russo-chinois offre à la Russie un potentiel de diversification significatif de ses exportations sur le moyen terme, mais ne lui donne pas les moyens de substituer rapidement les clients asiatiques aux clients européens ». Un constat partagé par Alicia Garcia-Herrero, cheffe économiste pour l’Asie-Pacifique chez Natixis : « La réalité actuelle est que pas moins de 83 % du gaz fourni par Gazprom a atterri en Europe en 2020. »

A noter que ces nouveaux contrats seraient libellés en euros. Un moyen de « dédollariser » l’économie russe. Une opération qui, elle aussi, a démarré après les premières sanctions occidentales contre Moscou en 2014 et s’est accélérée lors de la guerre commerciale menée par Washington sous la présidence de Donald Trump. « Si 80 % des exportations russes étaient libellées en dollars en 2013, juste un peu plus de la moitié le sont aujourd’hui et cette baisse est surtout due au commerce avec la Chine », détaille une récente note du centre de recherches américain Atlantic Council. Par quoi les deux pays remplacent-ils le billet vert ? Par du yuan chinois mais aussi de l’euro. « La principale devise qui s’est substituée au dollar est l’euro, qui représente actuellement 47 % des règlements en devises entre les deux pays. Le couple rouble-yuan ne dépasse pas 16 % des transactions bilatérales en devises », note Hubert Testard.

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Pour le moment, une seule banque chinoise, la Bank of China, a rejoint le SPFS, le système de transactions interbancaires mis en place en 2019 par Moscou pour contourner le système Swift contrôlé par les Etats-Unis.

La Chine voit sans doute d’un bon œil une dépendance accrue de Mocsou à son égard, elle n’a aucun intérêt à sacrifier sa relation avec les Occidentaux

En matière monétaire comme pour l’énergie, la Chine peut donc soulager la douleur de Moscou mais pas effacer le mal. D’ailleurs, il n’est pas certain qu’elle le veuille. Des diplomates occidentaux affirment que, le 4 février, Vladimir Poutine espérait vendre davantage de gaz et de pétrole russe aux Chinois mais que ceux-ci ont fait preuve de prudence. Pas question de mettre tous leurs œufs dans le panier russe. Surtout que si la Chine voit sans doute d’un bon œil une dépendance accrue de Mocsou à son égard, elle n’a aucun intérêt à sacrifier sa relation avec les Occidentaux. Jusqu’en 1992, le produit intérieur brut russe dépassait celui de la Chine. Depuis c’est l’inverse et l’écart ne cesse de croître. Le PIB chinois est près de dix fois supérieur au PIB russe. La Russie ne figure même pas parmi les dix principaux partenaires commerciaux de Pékin.

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Par ailleurs, les sanctions occidentales contre Moscou touchent un grand nombre d’entreprises commerçant avec la Russie, soit en raison des sanctions financières soit parce que les Etats-Unis interdisent l’exportation de composants américains vers la Russie. « Le gouvernement chinois aimerait clairement aider la Russie, mais de nombreuses entreprises chinoises souffrent déjà du fait des sanctions. Si elles ne peuvent pas utiliser l’euro ou le dollar dans leurs affaires avec la Russie, elles vont y réfléchir à deux fois avant d’aider les entreprises russes », affirme Henry Gao, un spécialiste du commerce international installé à Singapour. D’ailleurs, d’après les Américains et les Européens, les banques – publiques – chinoises ne semblent pas, pour le moment, aider les Russes à contourner les sanctions financières.