Commentary on Political Economy

Monday 18 April 2022

 

« Au moment où Poutine s’enfonce dans son propre piège en Ukraine, Xi Jinping s’enlise dans une guerre anti-Covid »

La tentative des dirigeants russe et chinois d’imposer un néototalitarisme pour contrôler les sociétés et les individus ne peut que se solder par un échec, dans une tendance mondiale à la « subjectivisation collective et individuelle », estime le sinologue Lun Zhang, dans une tribune au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 01h59, mis à jour à 05h10   Temps deLecture 5 min.

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Tribune. De manière cruelle et brutale, le monde entier – et en particulier les Européens –, se retrouve plongé dans les guerres froides et chaudes du siècle passé, avec ce qui se passe en Ukraine. La vieille théorie politique est reconfirmée : un dirigeant disposant d’un pouvoir sans barrière est toujours une menace pour la paix. Les décisions qu’il prend selon sa propre logique, irrationnelle pour beaucoup, ne peuvent qu’engendrer des catastrophes humaines.

L’enlisement des troupes russes en Ukraine, comme en Afghanistan, était prévisible, sauf aux yeux de Vladimir Poutine. Il peut, aujourd’hui, se retourner contre les généraux, les ministres qui l’avaient mal renseigné et lui avaient menti dans la réalisation de son projet impérial. Les observateurs étrangers partagent cette analyse pour expliquer le fiasco de la campagne militaire russe.

Mais la raison du présent revers, et même d’un très probable échec final de Poutine, est à chercher ailleurs. Elle se trouve dans sa tentative d’imposer sa vision totalitaire à la nation ukrainienne en construction. Depuis des années, il met en place une politique totalitaire dans sa propre société russe, et l’applique maintenant aux Ukrainiens.

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Cette vision totalitaire poutinienne consiste à dire qu’il n’y a pas d’autre possibilité qu’accepter d’être des sujets subordonnés au nouveau tsar du XXIe siècle. Il n’existe aucune différence identitaire entre Russes et Ukrainiens. Alors, quand ces derniers s’opposent, la solution est de mener une « opération spéciale » pour les ramener dans la case préconstruite, comme une opération chirurgicale. A la différence des actions coercitives similaires menées par l’ex-URSS à l’encontre des pays satellites désobéissants, elle ne se fait plus au nom d’un paradis terrestre à venir, mais d’un empire passé.

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Si cette tentative totalitaire poutinienne connaît un certain succès en Russie, avec des méthodes staliniennes et mafieuses de gouvernance et une propagande mensongère nationaliste, elle se heurte à une forte résistance des Ukrainiens, qui veulent défendre leur culture et leur liberté individuelle et collective. L’image de la destruction des tanks, ces machines symboliques du totalitarisme du XXe siècle, l’atteste parfaitement.

Pouvoir tout-puissant

Au moment où Poutine s’enfonce dans son propre piège, son allié et ami Xi Jinping s’enlise dans une guerre contre le Covid-19, selon la même logique.

Depuis deux ans, la Chine de Xi applique la méthode zéro Covid à tout prix. Si, en France, le « quoi qu’il en coûte » consiste à sauver les emplois et les vies humaines, et à protéger des dégâts causés par la pandémie, la politique du zéro Covid en Chine ne prend pas en compte ses conséquences. Par exemple, la mort des patients atteints d’autres maux s’explique par la priorité donnée au Covid-19. Malgré le contrôle extrême de l’information, de nombreuses tragédies sont rapportées, témoignant de la gravité de la situation : ainsi, une femme enceinte, sans attestation prouvant qu’elle était négative au Covid-19, a perdu son bébé après avoir attendu des soins pendant des heures ; une infirmière est décédée d’une crise d’asthme à cause du manque de soignants.

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Pour Xi, le pouvoir est magique et tout-puissant, s’appuyant sur une organisation de type militaire et sur une sévérité extrême envers les contaminés, visant à éradiquer le virus et à rendre la société « saine » et « purifiée » sans Covid-19.

Malgré la réserve de certains épidémiologistes chinois sur cette méthode, face à la mutation du virus et en particulier le variant Omicron, le modèle du zéro Covid est maintenu. Car il ne s’agit désormais plus d’une affaire concernant la santé publique, cela devient, aux yeux de Xi, le symbole du modèle chinois, voire la preuve civilisationnelle de « l’ascension de l’Est et du déclin de l’Occident », caractéristique de notre monde actuel, vision qu’il a adoptée depuis un certain temps.

La propagande chinoise ne cesse de faire l’éloge de ce modèle, en le comparant à la situation en Occident, en particulier aux Etats-Unis, depuis deux ans. Elle insiste sur le fait que c’est le président lui-même qui « commande personnellement », comme un chef de guerre, vers la victoire. Tout comme dans la Russie actuelle, où Poutine est confondu avec la nation, en Chine, Xi est identifié au Parti communiste chinois (PCC) et à ce modèle anti-Covid. Ce modèle s’inscrit dans la même logique que le « zéro critique », le « zéro dissident »… que Xi met en pratique depuis des années.

Grogne grandissante

A un moment politiquement très sensible – le XXe congrès du PCC aura lieu en fin d’année –, Xi tentera de briguer son troisième quinquennat après avoir aboli la limite des mandats [avant 2018, elle était de deux fois cinq ans]. Il ne peut tolérer la moindre critique. Il utilise l’éradication du Covid-19 pour triompher de ses adversaires potentiels, devant le peuple chinois et le monde entier, et justifier un nouveau mandat.

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Même si cette méthode connaît un certain succès temporaire face à la pandémie, elle ne peut pas être un remède permanent et ne peut qu’échouer au final, face à la propagation de nouveaux variants, la pression économique et la grogne sociale grandissante. Des signes d’impatience et d’incompréhension, de contestation sous formes diverses éclatent partout dans de nombreux endroits du pays, des Chinois brisant l’interdit.

La pluralité et le désir de liberté font partie de la vie, incarnent la vie. Une vision totalitaire s’écarte toujours de la vie, de la réalité. La grande tendance mondiale de notre temps, malgré des contre-courants, est une subjectivisation collective et individuelle.

La tentative de Poutine et de Xi d’imposer un néototalitarisme, pour contrôler les sociétés et les individus, ne peut que se solder par un échec final, cela malgré de probables réussites temporaires. L’histoire du XXsiècle l’a attesté, et l’histoire de notre siècle le démontrera à son tour. L’enlisement en Ukraine et en Chine de ces deux dirigeants n’en est que la première étape.

Lun Zhang est professeur d’études chinoises à Cergy-Paris-Université, chercheur au laboratoire Agora (centre de recherche multidisciplinaire en sciences humaines et sociales) et chercheur associé à la Fondation Maison des sciences de l’homme, rédacteur en chef du site intellectuel en chinois « La Chine : histoire et futur ».

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