Commentary on Political Economy

Tuesday 7 February 2023

 

La Chine veut mettre la main sur sa diaspora au travers d’officines servant de relais à sa police

L’ouverture de telles officines, révélée en septembre 2022, démontre l’intérêt de Pékin, qui veut étendre sa zone d’influence, pour des communautés ayant des liens ethniques et culturels avec l’empire du Milieu.
Par Marc Landois
Aujourd’hui à 12h00, mis à jour à 18h01.Lecture 2 min.
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Le secrétaire général du Parti communiste, Xi Jinping, l’a déclaré lui-même : les personnes d’origine chinoise de par le monde « sont toutes membres de la famille chinoise ». A ce titre, disait-il à Pékin en 2014 devant les représentants d’associations de la diaspora venus de 119 pays, elles « n’oublient jamais leur pays, leurs origines, et le sang de la nation chinoise qui coule dans leurs veines ».

Alors que la Chine gagne en puissance, elle compte s’appuyer sur ces communautés déjà implantées de longue date hors des frontières – parfois justement pour s’extirper de la pesanteur du régime communiste – pour étendre son influence. Depuis son ouverture économique à la fin des années 1970, le régime voyait déjà la diaspora comme un levier de développement économique, appelant ses membres à investir ou développer les flux commerciaux. « Ces dernières années, sous Xi Jinping, la Chine entend également l’utiliser à des fins politiques, lui demandant de contribuer à porter la propagande. Les membres de la diaspora sont invités à “bien raconter le narratif chinois” », explique Carsten Schäfer, professeur sur la Chine contemporaine à l’université de Cologne.

On a ainsi vu des associations de Chinois de l’étranger et les médias d’Etat célébrer le rôle que peut jouer la diaspora dans le projet porté par le président Xi Jinping des « nouvelles routes de la soie » – la construction et le financement d’infrastructures, ponts, ports, routes, voies ferrées, bâtiments publics, et un renforcement du commerce qui doit contribuer à faire de la Chine un acteur international.

Ce faisant, Pékin s’intéresse de plus en plus près à ces communautés ayant des liens ethniques et culturels mais aussi une distance géographique et historique avec l’empire du Milieu et, surtout, ne relevant pas, pour beaucoup, de la citoyenneté chinoise. Au point que la ligne s’estompe dans la vision du régime entre origines et citoyenneté chinoises, au profit d’une lecture transnationale : peu importe le lieu de naissance, la résidence ou le passeport, il considère avoir une forme de droit sur ces individus. Un défi à la souveraineté d’autres pays, par lequel elle teste sa propre puissance et les réactions diplomatiques qu’elle suscite ou non.

Rapatrier des fugitifs depuis l’étranger

L’ouverture d’officines servant de relais à la police chinoise dans les locaux d’associations et s’appuyant sur des membres de la diaspora, qu’a révélée en septembre 2022 l’organisation Safeguard Defenders, relève de cette évolution. En épluchant la presse et les sites de la police chinoise, l’ONG en a identifié 102 dans 53 pays différents. Dont quatre en France.

Avenue Victor-Hugo à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), au nord de Paris, l’une d’elles est installée dans un immeuble de cinq étages où s’affairent les livreurs de grossistes. C’est Hu Renai, un patron du textile installé en France depuis trois décennies, qui l’a fondé en 2018 dans les locaux de l’association d’entrepreneurs d’origine chinoise qu’il dirigeait alors. Il répondait ainsi à la sollicitation de la police de la ville dont il est originaire, Wenzhou, cité portuaire au sud de Shanghaï et grand lieu d’émigration vers l’Europe.

L’activité de ce poste informel – des photos montrent quand même l’insigne de la police chinoise affiché au mur du local – ne se limite pas à « une ou deux » opérations par semaine pour aider des membres de la communauté (formalité notariale immobilière, renouvellement de permis de conduire). Elle implique également de faire pression sur les individus que la Chine recherche pour les contraindre à rentrer au pays. « En octobre 2019, des responsables de la sécurité publique [la police] chinoise m’ont également confié la tâche d’aider à convaincre un criminel qui avait fui en France depuis de nombreuses années de revenir en Chine en lui rendant plusieurs visites », expliquait M. Hu à un site d’information chinois en octobre 2021.

Ces opérations correspondent aux méthodes employées par les autorités chinoises pour rapatrier des fugitifs depuis l’étranger dans le cadre de deux campagnes successives déployées depuis 2014, « Chasse au renard » et « Sky Net », sans s’embarrasser de procédures d’extradition respectant le droit des Etats concernés mais en envoyant ses agents ou ses relais locaux. Contacté par Le Monde, Hu Renai a refusé de détailler les méthodes employées ou l’identité de la personne ciblée, précisant seulement qu’il avait quitté depuis ses fonctions associatives.

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