Commentary on Political Economy

Saturday 18 March 2023

 

<p>Le président Xi Jinping prête serment au Grand Palais du Peuple, à Pékin, le 10&nbsp;mars. <credit>Xie Huanchi/AP</credit></p>

Le président Xi Jinping prête serment au Grand Palais du Peuple, à Pékin, le 10 mars. XIE HUANCHI/AP

Les ambitions planétaires de Xi Jinping

Le dirigeant chinois doit entamer lundi une visite en Russie dans le cadre des relations bilatérales « les plus importantes au monde »

Frédéric Lemaître

PÉKIN -correspondant

C’est un Xi Jinping à la fois triomphant et inquiet qui va se rendre à Moscou du 20 au 22 mars. Triomphant parce que le numéro un chinois y arrivera auréolé d’un succès de taille : la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, grâce à la médiation de Pékin. Une nouvelle preuve, selon la Chine, que le monde se porte mieux quand le « Global South » (le Sud global, en opposition aux pays occidentaux) prend ses affaires en main. 

Ensuite, parce que en choisissant, comme en 2013, la Russie pour effectuer son premier voyage après avoir été reconduit à la présidence de la République populaire de Chine, Xi rappelle que « les relations sino-russes sont les relations bilatérales les plus importantes au monde », comme il l’avait déclaré il y a dix ans à Moscou. Une autre façon de signifier la marginalisation souhaitée de l’Occident. Triomphant enfin – et surtout – parce que depuis sa reconduction à la présidence chinoise, le 10 mars, il multiplie les initiatives en apparence techniques mais qui, globalement, transforment une bonne partie des institutions de son pays, délestant l’Etat d’une partie de ses prérogatives au profit du Parti communiste chinois (PCC).

La reconduction de Xi Jinping, en tant que secrétaire général du PCC, à la tête de l’Etat ne faisait aucun doute. Pourtant elle n’allait pas de soi. Autorisé par une réforme de la Constitution adoptée en mars 2018, ce troisième mandat fait voler en éclats toutes les règles de succession et plonge le pays dans l’inconnu.

Depuis sa réélection à l’unanimité par les 2 952 délégués de l’Assemblée nationale populaire, Xi Jinping concentre tous les pouvoirs. D’abord en donnant moins d’importance aux ministres chargés des affaires économiques. Deux hommes, Li Xiaopeng, ministre des transports, et Yi Gang, le gouverneur de la banque centrale, très apprécié des marchés, gardent leur poste mais ne font plus partie du comité central du PCC et voient donc leur influence réduite. Exactement comme Liu Kun, ministre des finances, qui ne siège plus à la redoutable Commission centrale pour l’inspection disciplinaire du parti. 

En revanche, He Lifeng, jusqu’ici responsable de la Commission nationale du développement et de la réforme, est promu vice-premier ministre,bien qu’il ait déjà 68 ans (limite d’âge théorique des dirigeants chinois). Avec son successeur, Zheng Shanjie, c’est lui qui aura la haute main sur l’économie. Ces deux hommes ont travaillé avec Xi Jinping à Xiamen (province de Fujian) dès la fin des années 1980. Ce sont des fidèles de la première heure.

Surtout, il a été annoncé jeudi 16 mars que le comité central du PCC créait cinq nouvelles structures : la commission financière centrale, le comité central pour le travail financier, la commission centrale pour la science et la technologie, un office central pour les affaires de Hongkong et Macao, et un département pour le travail social. Les deux premières structures indiquent clairement que toute la supervision de la finance relève désormais non plus de l’Etat mais du PCC. Cela vaut à la fois pour les banques, mais aussi les finances locales.

Malaise à Pékin

« En 1995, la recentralisation des finances publiques s’était accompagnée d’un compromis implicite : les autorités locales disposaient d’une marge de manœuvre pour se refinancer, d’où la fameuse vente des terrains comme ressource des budgets locaux. Si l’on en croit la réforme et la loi, c’est fini », note François Godement, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne. Même renforcement du contrôle sur la science et la technologie qui sont au cœur de la rivalité, tant civile que militaire, avec les Etats-Unis. La reprise en main de Hongkong et Macao va être encore plus effective. Quant au département sur le travail social, son rôle consiste à centraliser les plaintes des citoyens mais aussi à assurer la présence du PCC au sein des entreprises privées et des associations.

Durant deux décennies, les prédécesseurs de Xi Jinping avaient à cœur de maintenir une direction collégiale et à durée limitée (dix ans), et de séparer l’Etat et le PCC. Dix ans après son arrivée au pouvoir, Xi Jinping a patiemment détricoté ce mécanisme au profit d’un système centralisé. Il s’en est expliqué lundi 13 mars, en clôture de la session du Parlement. « La gestion du pays passe obligatoirement par la gestion du parti (…). Pour faire avancer l’édification d’un grand pays socialiste moderne, il faut maintenir la direction du PCC et la direction centralisée et unifiée du comité central du PCC. »

Mais Xi Jinping est aussi un président inquiet. Il sait qu’en cas d’échec, il n’a plus de fusible. Or, son néototalitarisme fait grincer des dents. Son élection à l’unanimité a provoqué un certain malaise à Pékin. Sur les marches du Grand Palais du peuple, à la fin de la session du Parlement, les délégués rechignaient à s’exprimer, même devant les médias officiels chinois. Des internautes facétieux ont exhumé un article du Quotidien du peuple, organe officiel du PCC, expliquant en 2011 que, « si la volonté du peuple continue d’être détournée à travers des élections à l’unanimité, cela alimentera le ressentiment public ». Depuis, la propagande en fait des tonnes, expliquant que cette « élection » est « la volonté du peuple ».

La situation internationale inquiète encore davantage Xi. « Les pays occidentaux, menés par les Etats-Unis, ont mis en place une [politique visant à ] nous contenir, nous encercler et nous étouffer, qui pose des défis sans précédent au développement de la Chine », a-t-il averti le 6 mars. Une rhétorique qui justifie la concentration des pouvoirs, mais qui correspond à une certaine réalité.

Des interdictions visant la plate-forme TikTok en Occident à la mise en place de l’alliance militaire Aukus (Australie, Royaume-Uni et Etats-Unis), la Chine a le sentiment que l’Occident s’organise pour contrecarrer son ascension. Quand Xi sera à Moscou, le premier ministre japonais Fumio Kishida sera lui à New Delhi pour tenter de concrétiser cet axe indo-pacifique organisé autour des Etats-Unis que redoute tant Pékin. Et la Corée du Sud, longtemps soucieuse de ne pas froisser Pékin, bascule à son tour. Quelques jours après s’être rendu en visite officielle à Tokyo, le président Yoon sera l’un des invités d’honneur du deuxième sommet pour la démocratie organisé par Joe Biden à la Maison Blanche, les 29 et 30 mars.

Prenant les devants, le PCC a organisé le 15 mars, par vidéo, un « dialogue mondial de haut niveau avec les partis politiques ». Parmi les participants – officiellement plus de 500 personnes – les chefs d’Etat d’Afrique du Sud, du Venezuela et de Serbie. A cette occasion, Xi a présenté son « initiative pour la civilisation mondiale »« Nous devons nous abstenir d’imposer nos propres valeurs et modèles aux autres et nous abstenir de toute confrontation idéologique », a-t-il déclaré. Le 13 mars, il avait été plus explicite : il faut « créer un environnement international favorable au développement de la Chine », avait-il fait valoir.

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