Commentary on Political Economy

Tuesday 18 April 2023

À Hongkong, les universités subissent de plein fouet les folies de la loi sur la sécurité nationale

Dans la région administrative spéciale, le 15 avril est désormais une journée consacrée à l’« éducation à la sécurité nationale ». Une disposition de la loi adoptée après les manifestations monstres de 2019, et qui vise à museler toute voix critique.


Par Florence de Changy(Hongkong, correspondance)

Publié hier à 05h00, modifié hier à 09h40 

Temps deLecture 6 min.

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Des enfants s’essaient aux armes et uniformes, lors des portes ouvertes de l’Académie des services correctionnels de Hongkong, samedi 15 avril 2023, journée nationale de l’éducation à la sécurité à Hongkong. LOUISE DELMOTTE / AP

« La sauvegarde de la sécurité nationale est la responsabilité de tout un chacun, a martelé, samedi 15 avril, le directeur du bureau des affaires de Hongkong et Macao à Pékin, Xia Baolong, lors de la cérémonie solennelle d’inauguration de la journée d’éducation à la sécurité nationale. Personne ne peut s’en dédouaner. » L’émissaire chinois, qui fait une tournée d’inspection de six jours dans la région administrative spéciale, s’adressait à un vaste parterre d’officiels qui, l’air concentré, prenaient des notes comme des écoliers.


Le chef de l’exécutif de Hongkong, John Lee, a ensuite renchéri en affirmant que des menaces continuaient de peser contre la sécurité nationale et a promis de nouvelles lois pour mieux contrôler ces risques. Puis ce fut le tour du directeur du bureau de liaison, Zheng Yanxiong, qui a prévenu que Hongkong n’avait plus droit à l’erreur. « S’opposer au Parti communiste revient à une sentence de mort », a résumé l’homme de Pékin en poste à Hongkong.


Après les événements de l’été 2019 – des manifestations d’abord pacifiques contre un projet de loi d’extradition vers la Chine, qui ont évolué en un mouvement de contestation antigouvernemental plus violent dans lequel les étudiants ont eu un rôle prépondérant –, Pékin, sentant monter la menace, a imposé la mise en place à Hongkong d’une loi de sauvegarde de la sécurité nationale (NSL) draconienne. Le contenu vise quatre crimes (sécession, subversion, terrorisme et complot avec des forces étrangères), sanctionnés par des peines allant jusqu’à la prison à perpétuité. La NSL avait pour but officiel de mettre fin à la période de contestation virulente qualifiée de « chaos » par les autorités. Elle s’attaque, en fait, à la moindre expression de dissidence.


Opérations de propagande

Depuis l’adoption de cette NSL, le 30 juin 2020, la journée d’éducation à la sécurité nationale est un jour spécial, revenant tous les 15 avril, comme en Chine populaire. La journée se doit d’avoir son lot d’ateliers, de spectacles, d’activités pour enfants et de diverses « portes ouvertes », lesquelles passent inaperçues auprès de la plupart des Hongkongais, qui boudent ces opérations de propagande. Mais la NSL a déjà atteint son objectif : museler les voix critiques.


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Sur la grande façade carrelée du « mur de la démocratie », situé au cœur de la prestigieuse université de Hongkong (HKU), on ne trouve plus à lire que les trois grands caractères chinois qui désignent le lieu, Minzhuqiang, sous-titré Democracy Wall en petites lettres cursives. Les vitrines d’affichage qui, pendant des décennies, ont accueilli des superpositions de poèmes, de caricatures, de slogans politiques dans cet univers intellectuel bouillonnant sont désormais complètement vides. Seules les imposantes caméras du plafond surveillent ce lieu devenu suspect. Dans une autre grande université, la CityU, le « mur de la démocratie » est bloqué par de grandes barrières en plastique, comme une zone interdite. Depuis la NSL, ces murs de libre expression ont peu à peu disparu de la vie étudiante ou sont devenus de simples panneaux de petites annonces.



Le « mur de la démocratie » de l’université de Hongkong, vide, le 31 janvier 2023. DOCUMENT « LE MONDE »

La NSL a d’abord visé toutes les organisations et les personnalités d’opposition les plus influentes de la ville, à commencer par les 47 participants à un scrutin non officiel du camp prodémocratie, qui s’est tenu en juillet 2020. Leur interminable procès est en cours, plus de deux ans après leur arrestation. Un certain nombre de « fauteurs de troubles » ont également été sévèrement punis. Mais le retentissement de cette loi va au-delà des 230 arrestations réalisées sous son égide, selon un recensement de l’agence Reuters de février 2023.


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Chaque semaine apporte son lot de peines de prison ferme, allant de quelques mois à plusieurs années, pour de simples délits d’opinion, commis par des citoyens lambda, habitués depuis des décennies à ce que la liberté d’expression ait cessé d’exister.


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Au-delà de sa vocation répressive, la loi se veut pédagogique. Faire taire les voix dissidentes en les mettant en prison ne suffit pas : il faut éradiquer toute aspiration démocratique et tout esprit critique. Les articles 9 et 10 de la NSL visent donc à « renforcer la communication, l’orientation, la supervision et les règlements en matière de sécurité nationale, notamment dans les écoles, les universités, les organisations sociales, les médias et Internet ».


Effet glaçant

Les universités n’ayant pas reçu de consignes au sujet de la mise en œuvre de cette éducation obligatoire, chacune a dû improviser. Face à la réticence des enseignants à enseigner ce cours, HKU a mis au point une vidéo d’une durée de dix heures, que les élèves sont obligés de regarder intégralement avant de passer l’examen. A l’université Baptiste, un jeune avocat pro-Pékin, Alex Fan, a préparé un document de 200 pages que Le Monde a pu consulter. On y apprend qu’un inculpé peut être jugé coupable même si l’infraction est incomplète, voire non réalisée (« inchoate offence »). Ou encore que l’existence d’une infraction réelle n’est pas nécessaire pour en être jugé coupable. Un inculpé peut donc être jugé coupable de faits non établis.


Malgré la nature orwellienne de certains de ces concepts, dans la pratique tout semble fait pour que les étudiants réussissent cet examen, présenté comme une formalité, certes obligatoire mais dont le résultat ne compte pas dans la moyenne. « Si on le rate, on peut recommencer l’examen toutes les 24 heures pendant un mois ! », nous précise un étudiant.


En apparence, les étudiants prennent cette épreuve avec une certaine insouciance, tout comme la diffusion désormais quotidienne de La Marche des volontaires, l’hymne national chinois, sur toutes les chaînes de télévision et de radio, ou les cérémonies de lever du drapeau, devenues obligatoires elles aussi, sur une base hebdomadaire au minimum, dans les écoles et les universités. Un protocole précis est d’ailleurs enseigné afin que le grand drapeau chinois soit hissé avant le petit drapeau hongkongais, et plus haut que lui…


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Cette vague de propagande visant à créer un sentiment patriotique chinois chez les Hongkongais pourrait sembler folklorique. Mais l’arrivée de la NSL a eu un effet glaçant dans les écoles comme dans le monde universitaire, où l’autocensure s’est répandue. « Dans toutes les universités de la ville, les collègues ne cessent de se demander s’ils ont franchi une ligne interdite, s’ils ont pénétré une zone dangereuse. Certains redoutent également que les étudiants [chinois] du continent se plaignent de leur enseignement, affirme le professeur Kenneth Chan, maître de conférences en sciences politiques et ancien député du Civic Party. Il n’y a plus de créativité ni d’engagement spontané entre les gens. Nombre de dirigeants de l’université sont tétanisés à l’idée que quiconque sur le campus attire l’attention [des journaux de propagande pro-Pékin] Tai Kung Pao, Wen Wei Po ou du Quotidien du peuple. Tout signe de soutien aux manifestations de 2019 est sévèrement sanctionné. »


« Comme du bétail »

« A Noël, on a eu l’idée d’envoyer des lettres aux étudiants en prison. Quand le responsable des affaires étudiantes a appris cela, il a sévi très durement. Après, il nous a expliqué que, si cette opération avait eu lieu, les conséquences auraient été bien pires », raconte un étudiant en deuxième année de sciences sociales à l’université Baptiste.


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Les sanctions se sont également répandues dans l’enseignement primaire et secondaire. Mercredi 29 mars, le ministère de l’éducation a indiqué au Conseil législatif avoir annulé l’autorisation d’enseigner de quatorze enseignants en 2022 (contre cinq en 2021, et aucun en 2018). Les professeurs sont la catégorie socioprofessionnelle la plus représentée parmi les Hongkongais qui ont choisi l’exil.


« Nous devons désormais être très vigilants sur les ressources que nous soumettons aux élèves en classe. Pour éviter les ennuis, on fait tout valider », confie un enseignant du cours de liberal studies. Ce cours de culture générale est depuis plusieurs années la cible du camp pro-Pékin, qui le juge éminemment dangereux, source de l’esprit de contestation de la jeunesse. Il va être remplacé l’année prochaine par une classe de « citoyenneté et développement social ». Cela suffira-t-il à faire des Hongkongais de bons patriotes chinois ? « L’esprit critique ne s’apprend pas dans un seul cours », affirme cet enseignant qui reste serein sur « la capacité de Hongkong à rester Hongkong ».


Le 26 mars, la première manifestation depuis l’entrée en vigueur de la NSL a été autorisée, mais avec pléthore de conditions ubuesques : les participants, dont le nombre était limité à 100, avaient interdiction d’être habillés en jaune ou en noir (couleurs associées à la contestation) et devaient porter autour du cou un large badge indiquant leur numéro d’enregistrement préalable – « comme du bétail », ont dénoncé les organisateurs.


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En juin 2019, Hongkong avait été le théâtre de deux manifestations monstres, avec 1 million, puis 2 millions de participants. L’ambition de faire changer les choses était alors permise. Quatre ans plus tard, cette aspiration à faire de Hongkong une société libre et démocratique est étouffée par tous les moyens et ne s’entend plus qu’en privé. Il arrive, de plus en plus rarement, de tomber sur des mini-poches de résistance, comme ces quelques tee-shirts encore en vente sur un campus universitaire dont le slogan affirme : « Certains oublient, nous pas. »

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