Commentary on Political Economy

Wednesday 12 April 2023

Après les propos d’Emmanuel Macron, cacophonie européenne face à la Chine

En visite d’Etat aux Pays-Bas, le président français a tenté de rassurer les Européens après ses sorties controversées sur Taïwan. Mais la fragile unité bâtie au sein des Vingt-Sept depuis le début de l’invasion russe en Ukraine est ébranlée.


Par Philippe Jacqué(Bruxelles, bureau européen), Frédéric Lemaître(Pékin, correspondant), Philippe Ricard(Amsterdam, envoyé spécial) et Thomas Wieder(Berlin, correspondant)

Publié aujourd’hui à 05h00, modifié à 07h46 

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Emmanuel Macron au côté du premier ministre néerlandais, Mark Rutte, à Amsterdam, le 12 avril 2023. PETER DEJONG / AP

« Etre allié ne veut pas dire être vassal », martèle le premier. « La relation avec les Etats-Unis est essentielle », nuance le second, avant d’appeler les Européens « à parler d’une seule voix ».


Ce mercredi 12 avril à Amsterdam, Emmanuel Macron et le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, sont bien forcés, chacun à leur manière, d’affronter l’onde de choc suscitée par les propos du président français sur Taïwan. Le refus du « suivisme » à l’égard de Washington face à la Chine exprimé trois jours plus tôt par Emmanuel Macron au nom de « l’autonomie stratégique » qu’il appelle de ses vœux pour le continent a largement occulté sa visite d’Etat aux Pays-Bas. Et suscité une grande cacophonie au sein de l’Union européenne (UE) sur les principaux s enjeux géopolitiques du moment.


En quelques formules controversées sur la Chine, les Etats-Unis et Taïwan dans son entretien aux Echos et à Politico, Emmanuel Macron semble avoir fait voler en éclat la fragile unité qui prévalait entre les Vingt-Sept depuis le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine.


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De fait, la charge du président Macron révèle au grand jour les divergences européennes sur trois questions essentielles et fortement interdépendantes : les liens avec les Etats-Unis, dont l’engagement en Ukraine est crucial, les relations avec la Chine, alliée bienveillante de la Russie, et « l’autonomie stratégique » de l’UE entre les deux grandes puissances, que le président français risque désormais d’avoir du mal à défendre, bien qu’il prétende avoir gagné « la bataille idéologique » dans ce domaine.


« Il va être compliqué de remonter la pente, alors que, sur le papier, nos idées s’imposaient à mesure de la prise de conscience des dépendances et des vulnérabilités du continent », juge un membre du gouvernement français. Très rares sont en effet les voix qui ont apporté leur soutien au chef de l’Etat, à l’exception du président du Conseil européen, Charles Michel.


« Cet épisode va laisser des traces »

Dans la tempête, Emmanuel Macron « assume ses propos », selon son entourage, et met de nouveau en garde contre toute forme d’« escalade » susceptible de mener à un affrontement. « Xi comme Biden nous disent qu’ils ne veulent pas de guerre au sujet de Taïwan », relève une source diplomatique. Néanmoins, pour donner des gages à ses partenaires, le chef de l’Etat précise, aux côtés de Mark Rutte, que la politique de la France « n’a pas changé ». « La France est pour le statu quo à Taïwan », dit-il, « elle soutient la politique d’une seule Chine et la recherche d’un règlement pacifique de la situation ». Une doctrine que les diplomates français n’ont de cesse de répéter à leurs interlocuteurs américains et européens ces derniers jours.


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En Allemagne, les précisions apportées par Emmanuel Macron depuis Amsterdam font leur effet, sans répondre à toutes les interrogations. « Concernant Taïwan, c’est une bonne chose qu’il ait précisé sa pensée car les propos qu’il a tenus à son retour de Chine laissaient penser qu’il était indifférent au sort de l’île », explique le député Nils Schmid, porte-parole du groupe social-démocrate (SPD) pour les questions de politique étrangère. « Cela nous a d’autant plus surpris que depuis l’élection d’Olaf Scholz à la chancellerie [en décembre 2021], l’Allemagne a une position plus ferme vis-à-vis de Pékin sur Taïwan, et que nous pensions que la France, elle aussi, avait évolué dans ce sens », poursuit M. Schmid, qui n’en reste pas moins sévère sur le bilan d’ensemble du déplacement du président français en Chine.


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Au sein de l’opposition conservatrice, l’ancien président de la commission des affaires étrangères du Bundestag, Norbert Röttgen (CDU), qui avait qualifié de « désastre diplomatique pour l’Europe » les propos de M. Macron, a lui aussi suivi attentivement les explications données depuis les Pays-Bas. « Dans ce qu’il a dit, le point positif est qu’il n’en ait pas rajouté sur Taïwan. A l’évidence, il a compris les réactions suscitées par son interview et il a décidé de ne pas envenimer davantage le débat. En revanche, c’est une erreur qu’il continue de mettre sur un pied d’égalité les Etats-Unis et la Chine. Le raisonnement qui est derrière cette rhétorique de l’équidistance n’est pas clair et ne peut qu’être source d’irritation », déplore M. Röttgen.


Face à la Chine, la politique de la main tendue du président français passe d’autant plus mal que les Vingt-Sept ont durci progressivement leur position à l’égard de Pékin, au fil de la pandémie, et depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. « Sans pour autant abandonner notre appréciation de la Chine comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique, il faut réduire les risques et nos dépendances stratégiques », résume un diplomate européen pour décrire l’état d’esprit des Européens. Une façon de faire preuve de fermeté, sans aller jusqu’au découplage amorcé par les Etats-Unis.


« Cet épisode va laisser des traces, estime Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique. Le problème est que le président français vient semer le doute sur la position des Européens, avec une diatribe qui renvoie à tort Chine et Etats-Unis dos à dos et fait des Américains les responsables des tensions à Taïwan, ce qui est faux. »


M. Macron a réveillé les fractures internes aux Vingt-Sept

Visés implicitement par Emmanuel Macron, les pays d’Europe centrale, autrefois tentés par les routes de la soie chinoise, sont désormais les premiers à prôner la fermeté, dans le sillage des Etats-Unis. Si le président français, mais aussi le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, ont demandé à Xi Jinping, lors de leurs visites à Pékin, de peser sur la Russie pour mettre un terme au conflit ukrainien, les dirigeants est-européens restent convaincus que la Chine n’en fera rien. Et redoutent par-dessus tout, comme les Etats-Unis, qu’elle commence à livrer des armes à l’Ukraine.


Au passage, M. Macron a réveillé les fractures internes aux Vingt-Sept, entre partisans d’une Europe plus autonome et tenants d’une Alliance atlantique forte, capable non seulement de contrer la menace russe, mais aussi d’endiguer la montée en puissance de la Chine. « Certains dirigeants occidentaux rêvent de coopération avec tout le monde, avec la Russie et avec certaines puissances en Extrême-Orient », a vertement critiqué le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, avant un déplacement à Washington. Pour lui, « l’alliance avec les Etats-Unis » est « le fondement de notre sécurité ».


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Dans les pays baltes, en Pologne, en République tchèque, mais également dans les pays nordiques, l’alliance avec les Etats-Unis apparaît bien plus stratégique que la question de la souveraineté européenne alors que la guerre fait de nouveau rage aux frontières de l’UE.


« Les démocraties doivent se serrer les coudes en ces temps incertains et dangereux, et non rivaliser les unes avec les autres. Nous sommes pour une relation transatlantique forte avec les Etats-Unis, du commerce à la défense et à la sécurité. Et nous sommes très prudents dans l’amélioration de nos relations avec la Chine », résume un diplomate du nord de l’Europe. « Macron a provoqué un rejet encore plus grand de l’idée d’autonomie dans une grande partie de l’Europe, juge Rasa Jukneviciene, une eurodéputée lituanienne. Ses déclarations arrivent au pire moment possible, car le monde démocratique a besoin d’unité et non de division. »


Pour Pékin, Macron est le digne héritier de Charles de Gaulle

Pour ne rien arranger, les propos d’Emmanuel Macron ont comblé d’aise les autorités chinoises, qui n’ont pas manqué de le faire savoir. Alors que la Chine et la France vont célébrer en 2024 le soixantième anniversaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par Paris, Pékin voit en Emmanuel Macron un digne héritier du général de Gaulle.


« Après la seconde guerre mondiale, la guerre froide a rapidement démarré et de Gaulle s’est fait l’avocat implacable de l’autonomie stratégique, se retirant du commandement intégré de l’OTAN et établissant des relations diplomatiques avec la Chine (…) Aujourd’hui, il ne faut pas longtemps pour vérifier la compréhension de Macron de ce qu’est l’autonomie stratégique de l’Europe », écrivait le Global Times, mardi.


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L’éditorialiste Hu Xijin estime cependant que la Chine ne doit pas se faire trop d’illusions : il serait « irréaliste », selon lui, de croire qu’en cas de confrontation avec les Etats-Unis, Pékin trouverait Paris de son côté. Les Etats-Unis et l’Europe « partagent les mêmes valeurs et sont liés par l’OTAN », note-t-il. 

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