Commentary on Political Economy

Thursday 27 April 2023

 

Autonomie stratégique : Emmanuel Macron affaiblit sa propre position

En invitant à ne pas suivre les Etats-Unis sur la question de Taïwan au nom de l’« autonomie stratégique » des pays de l’Union européenne, le chef de l’Etat a provoqué l’incompréhension des partenaires de la France. Une sortie contre-productive alors que l’Europe compte sur l’aide américaine pour contrer la Russie en Ukraine.

Qui trop embrasse mal étreint. Emmanuel Macron vient d’en faire une nouvelle fois l’amère expérience sur le terrain diplomatique : en quelques phrases controversées, dans son entretien du 8 avril aux Echos, à Politico ainsi qu’à France Inter, le chef de l’Etat a porté un rude coup au projet d’« autonomie stratégique » qu’il appelle de ses vœux pour permettre au continent européen de défendre ses intérêts, voire de se défendre tout court, dans un monde plus brutal et fragmenté que jamais.

En appelant les Européens à éviter tout « suivisme » dans la confrontation entre les Etats-Unis et la Chine au sujet de Taïwan, le territoire au cœur des rivalités entre Washington et Pékin, le locataire de l’Elysée a donné de précieux arguments aux nombreux détracteurs de ce concept, que ce soient aux Etats-Unis, où l’idée est en général mal comprise, mais aussi en Europe, où elle demeure clivante, comme l’ont montré les réactions outragées que la « pensée complexe » du président a déclenchées.

Mettre dans la balance le sort de Taïwan, dont la Chine annonce vouloir prendre le contrôle, pour justifier le souci légitime d’« autonomie stratégique » européenne est en effet particulièrement maladroit. Attribuer la responsabilité d’une partie des tensions du moment à Washington l’est tout autant, en plein exercice militaire ordonné par Pékin à proximité de l’île afin de protester contre le passage aux Etats-Unis de la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen.

Pas très opportun envers les Etats-Unis

L’argumentaire n’est pas de nature à convaincre ceux qui soupçonneraient, à tort, le président Macron d’être à équidistance entre Washington et Pékin. La ministre allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, s’est d’ailleurs empressée, lors d’un passage à Pékin quelques jours après la visite d’Etat du président français, de considérer qu’au contraire « une escalade militaire dans le détroit de Taïwan, où transite chaque jour 50 % du commerce mondial, serait un scénario catastrophe pour le monde entier ».

Certes, le chef de l’Etat s’inscrit dans une vision gaullo-mitterrandienne : la France est sans aucun doute un pays allié des Etats-Unis, mais elle entend rester « non alignée ». « Etre allié ne veut pas dire être vassal », estime le chef de l’Etat. Assurer pour autant que le sort de Taïwan ne concernerait pas l’Europe, comme l’a suggéré M. Macron, n’est cependant pas très opportun envers les Etats-Unis, au moment où ceux-ci se mobilisent, aux côtés des Européens, pour soutenir la résistance de l’Ukraine face à l’envahisseur russe. « Vous ne pouvez pas protéger l’Ukraine aujourd’hui et demain en disant que Taïwan n’est pas votre affaire », a répliqué le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, dans une allusion transparente au président français : « Si l’Ukraine tombe, si l’Ukraine est conquise, le jour d’après la Chine pourrait attaquer – peut attaquer – Taïwan », a-t-il dit.

La démonstration présidentielle, loin d’être improvisée, est d’autant plus surprenante qu’elle survient au moment où « l’autonomie stratégique » subit un redoutable « baptême du feu » dans le contexte de la guerre en Ukraine. Si le chef de l’Etat se targue un peu vite d’avoir « gagné la bataille idéologique » sur la question, il peut néanmoins mettre à son actif le fait d’avoir popularisé l’idée, bien qu’elle suscite encore de vifs débats.

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Plusieurs pays longtemps rétifs à cette approche, à commencer par l’Allemagne et les Pays-Bas, ont évolué en ce sens, même s’ils préfèrent parler de « souveraineté », plutôt que d’« autonomie », afin de ne pas froisser l’allié américain. A son retour de Pékin, la visite d’Etat d’Emmanuel Macron à Amsterdam a permis de le constater : le président français s’est offert le luxe de prôner dans cet Etat très libéral la nécessité de doter l’Europe d’une politique industrielle solide et d’une politique commerciale plus protectrice face aux concurrents américains et chinois.

Nécessité de l’autonomie validée par la guerre

Sur le plan collectif, les Vingt-Sept ont fait de remarquables progrès. Qui aurait imaginé que quelques jours après le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine, l’Union européenne décide d’activer sa Facilité pour la paix pour financer les livraisons d’armes à Kiev ? Ou, après les commandes en commun de vaccins pendant la pandémie de Covid-19, qu’elle se lance dans des achats groupés de munitions pour soutenir la résistance ukrainienne ? « La meilleure façon de réaliser l’autonomie stratégique est de ne pas trop en parler », suggèrent cependant plusieurs responsables français impliqués dans les questions européennes.

Car le conflit qui lamine la sécurité du continent a un effet paradoxal dans les débats concernant son « autonomie stratégique ». Sur le papier, l’invasion russe de l’Ukraine en valide la nécessité, à mesure que les Vingt-Sept prennent conscience de leur vulnérabilité et de leurs dépendances à l’égard de voisins belliqueux, comme la Russie, ou d’alliés exigeants, comme les Etats-Unis. Après avoir quasiment stoppé ses importations de pétrole et de gaz russe, l’UE cherche à « réduire les risques » d’une trop grande addiction aux échanges avec la Chine, en particulier dans le domaine des composants stratégiques.

Cependant, la guerre en Ukraine vient renforcer les partisans, en Europe, d’une alliance toujours plus étroite avec les Etats-Unis. La défense du continent est plus que jamais fondée sur le retour en grâce de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), que l’agression russe est venue relancer. La Pologne, les Etats baltes et les pays scandinaves, mais aussi l’Allemagne, sont peu enclins de ce fait à développer l’autonomie du continent par rapport à Washington. Que ce soit pour se protéger de la Russie, ou pour endiguer la montée en puissance de la Chine.

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