Commentary on Political Economy

Monday 3 April 2023

L’UE doit considérer Taïwan comme un partenaire vital

L’universitaire presse l’Union européenne de renforcer son soutien à l’Etat insulaire face à la Chine, et à adopter une vision stratégique de leurs attentes

Zsuzsa Anna Ferenczy

En février 2022, le dirigeant chinois, Xi Jinping, et le président russe, Vladimir Poutine, déclaraient que leur amitié était « sans limites ». Quelques semaines plus tard, en l’absence de toute provocation, Poutine attaquait l’Ukraine, en s’appuyant stratégiquement et de manière coordonnée sur la manipulation de l’information et sur l’ingérence. Après un an de guerre, la résistance opposée par l’Ukraine est une lutte pour la survie. Le principal objectif stratégique de la Russie étant, comme l’a expliqué la vice-ministre de la défense ukrainienne, Hanna Maliar, la destruction complète de l’Etat et de la nation ukrainiens.

Le combat de l’Ukraine est, en même temps, une lutte existentielle pour la démocratie, contre l’autoritarisme. Xi Jinping a apporté un soutien tacite à Vladimir Poutine dans ses tentatives pour discréditer la démocratie. Les médias chinois, contrôlés par l’Etat, ont propagé les thèses conspirationnistes en faveur du Kremlin et servi de relais aux médias russes ayant été sanctionnés, comme en témoigne le premier rapport sur les manipulations d’information et les ingérences étrangères en Europe, publié par le Service européen pour l’action extérieure.

Parallèlement, Xi Jinping a intensifié la pression politique et militaire sur Taïwan, un gouvernement démocratiquement élu pouvant se prévaloir d’une société civile robuste et de médias libres. A ce jour, il n’a pas exclu de recourir à la force pour réaliser la « réunification » avec Taïwan, qu’il considère comme indispensable à la « régénérescence » de la Chine. Subissant des pressions continues depuis des décennies, Taïwan sait ce que c’est que de vivre sous la menace d’un voisin agressif. L’Ukraine aussi a fait l’expérience d’une pression croissante de la part de son voisin, jusqu’à ce que, en 2014, avec l’annexion de la Crimée, il devienne son agresseur.

Malgré des décennies de pressions autoritaires, ni Taïwan ni l’Ukraine n’ont fléchi. Taïwan a travaillé dur pour renforcer sa résistance démocratique, en investissant dans tout un système de défense de la société et du gouvernement contre les manipulations de l’information et des ingérences, tandis que l’Ukraine se bat pour préserver sa démocratie, soutenue par une coalition d’alliés occidentaux. L’Ukraine est aujourd’hui plus proche de l’Union européenne (UE) qu’elle ne l’a jamais été.

La convergence de la Russie et de la Chine dans l’environnement de l’information menace la démocratie à travers le monde. Poutine et Xi Jinping ont doublé la mise sur ce message trompeur selon lequel la démocratie serait en déclin, en recourant à la fois à la surveillance, à la désinformation et à la coercition. Rien n’effraie plus Xi Jinping qu’un Taïwan démocratique intégré comme partenaire à part entière dans des réseaux de coopération démocratique internationale.

Le soutien international des démocraties en faveur de l’Ukraine, y compris de Taïwan, montre que la démocratie n’est pas en déclin. La démocratie et les droits de l’homme comptent ; le destin de l’Ukraine et de Taïwan compte. Plus important, leur existence (malgré les menaces de régimes autoritaires) compte pour l’avenir de la démocratie. Ce devrait être le principe directeur d’une coopération UE-Taïwan plus approfondie.

Résistance démocratique

L’alignement de Xi Jinping sur la rhétorique poutinienne du « méchant » Occident a renforcé la volonté de Bruxelles de repenser ses relations avec Pékin. Selon Xi Jinping, Poutine, en retour, a réaffirmé son soutien au principe « d’une seule Chine », d’après lequel Taïwan est partie intégrante de la République populaire de Chine. Face à l’assurance chinoise, l’UE a commencé à considérer Taïwan comme un partenaire de même sensibilité et de confiance dans l’Indo-Pacifique.

Par des déclarations de l’UE et des résolutions du Parlement européen, Bruxelles a reconnu l’urgence qu’il y avait à rehausser la pertinence de son action dans la région. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a accentué ce sentiment d’urgence. La stratégie de l’UE pour la coopération dans la région indo-pacifique est menée par trois Etats membres (France, Allemagne, Pays-Bas) qui ont dirigé le processus d’engagement de toute l’UE, inscrivant leurs propres stratégies nationales à l’intérieur d’un cadre européen plus vaste.

En tant que principale investisseuse à Taïwan, l’UE sait que la garantie de la sécurité de l’île est vitale à la sienne. L’assaut contre l’Ukraine a appris à l’UE que l’échec à contrer les menaces de régimes autoritaires se paie au prix fort. Dans ce contexte, la leçon faite aux nations démocratiques à travers le monde, à Taïwan mais aussi à l’UE, est claire : investir dans la dissuasion est vital.

Il est de l’intérêt même de l’UE de contribuer à la résistance démocratique de Taïwan. La bonne nouvelle est que Taïwan est déjà une démocratie vigoureuse, même si elle fait néanmoins face à plusieurs défis liés à la justice transitionnelle, aux droits des travailleurs immigrés et à la sécurité alimentaire.

Considérer Taiwan comme un partenaire fiable est important, mais pas suffisant. La réponse aux campagnes de désinformation russes nous aide à comprendre comment démasquer les faux contenus et les manipulations qui cherchent à miner la démocratie. L’Ukraine doit servir d’exemple : il faut que l’UE et Taïwan renforcent réciproquement leur résistance démocratique. Il faut qu’ils adoptent une vision stratégique de leurs attentes réciproques, tout en sachant qu’une coopération plus étroite est dans leur intérêt mutuel. Si l’Europe veut protéger ses propres intérêts et sa liberté politique, elle doit considérer Taïwan comme un partenaire vital. Travailler étroitement ensemble à renforcer la démocratie, par des échanges réguliers au plus haut niveau, renforcera le message à envoyer aux dirigeants autoritaires : la démocratie n’est pas en déclin.

Assurer le plus haut niveau de protection des droits humains chez soi est le premier pas. En continuant à soutenir l’Ukraine, l’Europe et Taïwan peuvent contribuer à asseoir un leadership régional et mondial, ainsi qu’à renforcer la solidarité démocratique, mais à la seule condition qu’ils honorent d’abord leurs valeurs les plus élevées, pour tous, à l’intérieur de leurs propres frontières.

Zsuzsa Anna Ferenczy est maîtresse de conférences à l’université nationale Dong Hwa à Taïwan. Elle était auparavant conseillère politique au Parlement européen 

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