Commentary on Political Economy

Thursday 18 April 2024

 La Chine a rapatrié des milliers de « fugitifs » en dix ans

Une ONG dresse le bilan de l’opération, qui dépasse souvent le cadre légal

Simon Leplâtre

Un fugitif, c’est comme un cerf-volant. Même s’il se trouve à l’étranger, la ficelle est tenue en Chine. Il peut toujours être contrôlé à travers sa famille », déclarait, en 2014, au magazine chinois Xinmin, Li Gongjing, chargé des crimes économiques au Bureau de la sécurité publique de Shanghaï.

La Chine venait de lancer l’opération « Chasse aux renards », visant à faire rentrer des fugitifs chinois au pays. Par tous les moyens : intimidation, pression sur la famille restée en Chine, et souvent intervention directe d’agents chinois envoyés en mission à l’étranger pour « persuader » les cibles de rentrer. Dans certains cas, les agents organisent même des kidnappings parfaitement assumés par les autorités.

Si certains pays coopèrent avec la Chine, directement ou à travers Interpol, la plupart des interventions ont lieu hors de tout cadre légal. En dix ans, 12 000 retours forcés ont été obtenus depuis 120 pays dans le cadre de l’opération, d’après la Commission centrale pour l’inspection de la discipline (CCDI) du Parti communiste chinois. Un rapport publié mardi 16 avril par l’ONG Safeguard Defenders, installée à Madrid, fait le bilan de dix ans de cette campagne, rebaptisée « Sky Net » (« filet du ciel ») en 2015. Il étudie 283 cas de rapatriement forcé, dont quatre depuis la France.

Lancée un peu plus d’un an après l’arrivée du président Xi Jinping, en mars 2013, l’opération suit de près une vaste campagne de lutte contre la corruption. Au départ, il s’agit de rapatrier des officiels corrompus, les « renards ». Mais elle coïncide aussi avec la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale, qui doit s’accompagner, pour Pékin, d’un contrôle renforcé des activités de ses ressortissants à l’étranger. Dans les faits, ces méthodes s’appliquent également aux critiques du régime, ou à de simples proches de victimes dénonçant le traitement de leur famille en Chine. A ce titre, la diaspora ouïgoure est particulièrement touchée.

Arnaques en ligne

Si des officiers sont régulièrement envoyés depuis la Chine, l’opération « Sky Net » peut aussi s’appuyer sur un réseau d’antennes de la police chinoise, y compris en France, souvent discrètement hébergées par des associations de la diaspora. Pékin les présente comme des stations offrant des services de type consulaire, mais sa propre propagande évoque des cas dans lesquels ces bureaux ont servi à faire pression sur des suspects.

Dans certains pays politiquement proches de la Chine, comme les îles Fidji, qui ont signé un accord de sécurité avec Pékin, les agents chinois se comportent comme s’ils étaient chez eux. De nombreux pays d’Asie du Sud-Est coopèrent également avec Pékin. Des opérations plus fréquentes ces dernières années, avec la multiplication, pendant la pandémie de Covid-19, d’arnaques en ligne organisées par des groupes mafieux chinois, notamment depuis la Birmanie, qui a renvoyé 48 000 individus vers la Chine en 2023.

Au fil du temps, toutefois, la communauté internationale a réagi : aux îles Fidji, par exemple, un nouveau premier ministre, élu fin 2022, a ordonné la révision de l’accord de coopération avec la Chine, et le pays n’accueille plus d’officiers chinois sur son sol. En 2022, une décision de la Cour européenne des droits de l’homme invalidant une extradition de la Pologne vers la Chine a fait jurisprudence. « Depuis lors, les choses ont radicalement changé, avec des refus systématiques de demandes d’extradition à la Chine (…) à partir des 46 Etats membres du Conseil de l’Europe », indique le rapport. Aux Etats-Unis enfin, des citoyens chinois et américains ont été arrêtés et jugés dans le cadre de plusieurs affaires liées à des tentatives de rapatriement forcé vers la Chine.

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