Commentary on Political Economy

Friday 11 November 2022

 Donald Trump n’est pas la « parenthèse » décrite par beaucoup de capitales européennes

Pour la politiste, les élections de mi-mandat confirment que les Etats-Unis vivent des changements structurels importants, qui les incitent à penser d’abord à leurs propres intérêts. Aux Européens de se fédérer et d’acquérir plus d’autonomie

Alexandra De Hoop Scheffer

Les élections de mi-mandat du 8 novembre doivent inciter les Européens à prendre au sérieux l’ancrage du trumpisme au sein de la société américaine malgré des résultats républicains plus modestes qu’anticipé. Donald Trump n’est pas la « parenthèse » décrite par beaucoup de capitales européennes. Il incarne des changements structurels au sein de la démocratie américaine et les questionnements qui l’animent quant à sa place dans le monde. La superposition de la guerre en Ukraine et des effets de la crise due au Covid-19 a révélé à l’Amérique et à ses alliés européens le coût de leurs dépendances stratégiques à l’égard de la Chine et de la Russie.

Les Etats-Unis sont entrés dans une ère de « découplage stratégique » (réduction de leurs dépendances) et, pour cela, investissent massivement dans leurs industries et leurs technologies pour rester compétitifs, des mesures que la nouvelle majorité républicaine à la Chambre des représentants renforcera. Cela ne sera pas sans conséquence pour l’Europe, qui subit les revers du protectionnisme américain.

A bien des égards, le « America first » de Trump a déteint sur le « America is back » de Biden, qui attend de ses alliés européens qu’ils s’alignent avec ses priorités, et n’hésite pas à les mettre devant le fait accompli dès qu’il s’agit de préserver les intérêts américains. Engagée dans une trajectoire de découplage énergétique avec la Russie, l’Europe accroît en même temps sa dépendance économique à l’égard de la Chine et ne souhaite pas s’aligner sur la vision américaine. Sur l’Ukraine, le débat sur le partage du fardeau militaire et financier reprend une place centrale dans les discussions transatlantiques et l’Europe devra y apporter des réponses concrètes.

Soutenabilité de l’aide à l’Ukraine

La géopolitique s’invite de plus en plus dans le quotidien des Américains, ce qui explique, par exemple, que les débats sur la soutenabilité de l’aide américaine à l’Ukraine et le rôle jugé insuffisant de l’Europe ont marqué cette campagne des midterms. Les préoccupations des Américains (record d’inflation à 8,5 %, explosion des prix de l’énergie et de l’alimentation) sont en effet liées et amplifiées par la guerre en Ukraine.

Si l’opinion publique américaine continue de soutenir l’aide à l’Ukraine, elle souhaite aussi que l’Europe fasse davantage. Les aides à l’Ukraine approuvées par le Congrès, et qui s’évaluent à 60 milliards de dollars [autant en euros], seront impossibles à maintenir à ce niveau sur la durée.

La fatigue de la guerre est perceptible au sein de la classe politique américaine, aussi bien au sein de l’aile gauche du Parti démocrate, qui incite le président Biden à engager des pourparlers directs avec la Russie, que chez les républicains trumpistes. Ces derniers ont développé au sein de la Chambre un pôle de contestation réclamant plus de contrôle, voire une baisse des fonds alloués à l’Ukraine. La proposition du sénateur Rand Paul de désigner un inspecteur général pour surveiller la manière dont les fonds sont dépensés pourrait refaire surface. Les républicains au Sénat restent néanmoins très engagés pour le soutien à l’Ukraine. Un consensus émerge à Washington autour du sentiment que les Européens devront en faire davantage pour financer et soutenir économiquement la reconstruction de l’Ukraine.

La posture en retrait de l’administration Biden à la conférence de Berlin du 25 octobre était à cet égard très révélatrice de l’attentisme américain. Sur l’énergie, un nombre croissant de républicains demandent que les exportations de gaz naturel liquéfié américain (GNL) vers l’Europe (qui ont triplé depuis le 24 février) soient revues à la baisse afin d’en rediriger une partie vers les consommateurs locaux à l’approche de l’hiver.

L’administration Biden, qui a déjà fait de la compétition stratégique avec la Chine le plus grand enjeu de sa politique étrangère, devra se montrer encore plus déterminée face à Pékin et dans son soutien à Taïwan. La politique américaine de découplage s’accompagne de mesures protectionnistes en faveur des industries technologiques ou automobiles américaines et il faut s’attendre à ce que cela s’amplifie avec la majorité républicaine à la Chambre.

Les faucons républicains, tels que le sénateur Josh Hawley, feront pression sur les Européens pour qu’ils durcissent leurs politiques sur la Chine, en particulier l’Allemagne, très critiquée à Washington pour son approche purement mercantile avec Pékin.

Dans la Rust Belt, nous assistons à un fort élan en faveur du découplage avec la Chine, notable dans la course au Sénat de l’Ohio. J.D. Vance, le candidat républicain pro-Trump élu le 8 novembre, a tout particulièrement insisté au cours de la campagne pour que l’administration Biden muscle le Chips Act, adopté en août, qui renforcera la production de semi-conducteurs sur le territoire américain. Les résultats de l’étude d’opinion annuelle du German Marshall Fund Transatlantic Trends 2022, publiés le 29 septembre, montraient déjà que 56 % des Américains se disent prêts à accepter le coût économique d’une politique plus ferme envers la Chine.

Retour à l’unilatéralisme

Les récentes décisions américaines indiquent un retour à l’unilatéralisme et au protectionnisme caractéristiques de l’administration Trump. La présidence Biden ne serait-elle pas en réalité la parenthèse dans une séquence plus longue de « trumpisation » de la politique américaine ? L’Europe a appris des années Trump que les Etats-Unis ne se coordonneront pas toujours avec leurs partenaires européens. L’Europe a aussi appris qu’elle doit être capable et se préparer à agir seule. Or, avec la guerre en Ukraine, les Européens se sont une nouvelle fois confrontés à la dure réalité qu’ils sont incapables de répondre aux crises dans leur voisinage sans le soutien des Etats-Unis.

Une chose est certaine : la dynamique de la relation transatlantique ne viendra plus de Washington mais de l’Europe. L’autonomie stratégique européenne en matière de défense et d’énergie fera d’elle un partenaire plus crédible. On en revient donc à une Europe des projets dont deux pourraient être utilement mis en œuvre : l’Europe de la défense et l’Europe de l’énergie. Pour cela, l’Allemagne doit changer de logiciel et sortir du triptyque « Germany First » dans l’énergie, « America First » dans la défense, et « German Business First » avec la Chine.

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