Commentary on Political Economy

Thursday, 23 March 2023

A Kiev, le retour d’enfants déportés par la Russie : « Je craignais d’être là-bas pour toujours »

Par Rémy Ourdan  (Kiev, envoyé spécial)

Publié aujourd’hui à 06h06, mis à jour à 10h39

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REPORTAGELes déportations illégales de petits Ukrainiens, qui valent à Vladimir Poutine un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, concernent plus de 16 000 mineurs emmenés sur le sol russe ou dans les territoires occupés. L’association Save Ukraine tente de les localiser un par un.


Ils avaient disparu sans bruit, dans la tourmente de la guerre. Un vendredi d’automne, veille de vacances scolaires, des centaines d’enfants de la région de Kherson n’étaient pas rentrés chez eux. Les directeurs des écoles avaient incité leurs parents à accepter qu’ils aillent deux semaines en colonie de vacances en Crimée. A la fin des congés, nul n’était revenu. Filles et garçons avaient été pris dans ce qui semble être une vaste opération de la Russie destinée à déporter et à « russifier » les enfants d’Ukraine.


Dix-sept d’entre eux, enlevés à leurs familles, ont été rapatriés à Kiev, mercredi 22 mars, par l’organisation humanitaire Save Ukraine. Le chiffre de ce sauvetage donne le vertige, alors que l’Ukraine a d’ores et déjà identifié 16 226 enfants déportés, et que le bilan pourrait être très nettement supérieur. Ces dix-sept-là sont les premiers à revenir de Russie ou des territoires ukrainiens occupés, depuis que la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye a émis des mandats d’arrêt, le 17 mars, pour « déportation illégale » d’enfants à l’encontre du président russe, Vladimir Poutine, et de Maria Lvova-Belova, commissaire aux droits de l’enfant de Russie.


Quinze de ces mineurs issus de la région de Kherson ont vécu une déportation relevant d’un scénario commun. Il ne s’agit pas là de cas extrêmement violents, tels qu’ils commencent à être documentés par les enquêteurs ukrainiens ou internationaux, d’enfants enlevés après l’assassinat ou l’arrestation d’un parent, ou lors d’un passage dans des « camps de filtration » sur les routes de la déportation. Eux ont plutôt été victimes d’une méthode insidieuse consistant, par le biais du système scolaire, à les inviter en colonie de vacances puis à ne pas les rendre à leurs familles.



Nikita, 10 ans, revient de cinq mois de déportation en Crimée. A Kiev, le 22 mars 2023. ADRIEN VAUTIER / LE PICTORIUM POUR « LE MONDE »


Dans les locaux de l’organisation Save Ukraine, à Kiev, le 22 mars 2023. ADRIEN VAUTIER / LE PICTORIUM POUR « LE MONDE »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Guerre en Ukraine : pourquoi la CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine

« Ils nous disaient que nos parents ne voulaient plus de nous »

C’est ainsi que des centaines d’enfants ont été transférés de Kherson en Crimée, le 7 octobre 2022, et ne sont pas revenus deux semaines plus tard. Aux parents, les directeurs des écoles disaient que le séjour en colonie de vacances était prolongé sur ordre de l’administration militaire, pour cause de combats, pour leur protection. Le motif était fallacieux, car, outre qu’il est contraire au droit international de séparer des enfants de leurs familles, la reconquête de Kherson par l’armée ukrainienne n’a eu lieu que le mois suivant, le 11 novembre, après un retrait militaire russe en bon ordre et sans que la ville soit détruite.



Originaire de Kherson, Yana, 11 ans, est restée cinq mois et demi dans un camp de vacances en Crimée avec sa grande sœur et son petit frère. L’armée russe a déclaré à leurs parents que les enfants ne pouvaient pas rentrer pour des raisons de sécurité. A Kiev, le 22 mars 2023. ADRIEN VAUTIER / LE PICTORIUM POUR « LE MONDE »

Aux enfants, les directeurs de camp de vacances tenaient d’ailleurs des discours très différents, qui accréditent clairement la thèse de l’enlèvement et de la déportation illégale. « Ils nous disaient que nos parents ne voulaient plus de nous en Ukraine. Ils nous menaçaient : soit on intégrait leur école russe, soit on risquait d’aller en prison », raconte Genia, 15 ans. « On devait retirer les symboles ukrainiens, comme un bracelet bleu et jaune, et on devait chanter l’hymne russe tous les jours », dit Taya. « Quand j’ai vu que nous n’avions qu’un matelas et un oreiller, j’ai réclamé une couverture et des draps. Le directeur du camp m’a répondu : “Hé ! Tu as oublié que tu viens d’Ukraine ! Tes parents t’ont déjà oublié, ici tu ne réclames rien !” », murmure Vitaly, 16 ans. « Je craignais d’être là-bas pour toujours, témoigne Genia, car ils disaient que, si nos parents ne venaient pas nous chercher avant la fin de l’année scolaire, nous serions envoyés dans des orphelinats en Russie. »



Mykola Kuleba, directeur de l’association Save Ukraine, à Kiev, le 22 mars 2023. ADRIEN VAUTIER / LE PICTORIUM POUR « LE MONDE »

Lire la tribune : Article réservé à nos abonnés « Déporter des enfants ukrainiens et les “russifier”, c’est amputer l’avenir de l’Ukraine »

Le directeur de Save Ukraine, Mykola Kuleba, qui fut défenseur des droits de l’enfance de la présidence ukrainienne durant sept ans, connaît parfaitement le processus permettant aux enfants ukrainiens de disparaître. Après le camp de vacances, l’orphelinat est l’étape qui valide le fait qu’un enfant n’a officiellement plus de parents. La voie est alors ouverte pour lui accorder la nationalité russe – une procédure simplifiée depuis un décret de Vladimir Poutine promulgué le 30 mars 2022 – puis pour le faire adopter par une famille. « Lorsqu’un enfant change de nationalité, en général ils modifient son nom et sa date de naissance, et on ne parvient plus à le retrouver », explique M. Kuleba. Il devient intraçable.


Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Un rapport d’Amnesty International documente la déportation et l’adoption forcée en Russie d’enfants ukrainiens

« Jusqu’à 200 000 enfants » concernés

« La Russie ne mène aucune “évacuation” d’enfants, c’est un prétexte pour justifier des déportations forcées, s’indigne Daria Herasymchuk, conseillère aux droits de l’enfant du président ukrainien, Volodymyr Zelensky. La Russie veut détruire l’identité ukrainienne et l’avenir de l’Ukraine. » Cette conviction l’incite à croire, même si elle salue la décision « extraordinaire » de la CPI, que l’accusation de « crime de guerre » pourrait être requalifiée dans l’avenir en « crime de génocide ».


Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Russie : le procureur de la CPI enquête sur les déportations d’enfants ukrainiens

A Kiev, les autorités ignorent combien d’enfants doivent être recherchés. Comme tout le monde, le gouvernement a entendu les médias officiels de Moscou revendiquer l’arrivée de « 744 000 enfants ukrainiens » en Russie, sans que nul ne sache à quoi ce chiffre correspond, présumant qu’il comprend aussi des mineurs légalement accompagnés.



Sur le téléphone de Mykola Kuleba, le directeur de Save Ukraine, une photo d’enfants ukrainiens en compagnie de leur famille d’accueil en Russie. A Kiev, le 22 mars 2023. ADRIEN VAUTIER / LE PICTORIUM POUR « LE MONDE »

Le recensement officiel ukrainien, publié sur le site Children of War, est de 16 226 enfants identifiés comme ayant été déportés illégalement, dont 10 626 ont été localisés quelque part en Russie ou dans les territoires ukrainiens occupés, dans des institutions ou des familles d’accueil. Seuls 308 ont été rapatriés en Ukraine. Mykola Kuleba pense que l’entreprise de déportation et de « russification » concerne, depuis 2014, en neuf années de guerre, « des dizaines de milliers d’enfants ». Daria Herasymchuk n’exclut pas que Kiev doive rechercher « jusqu’à 200 000 enfants ».


Lire aussi le décryptage : Article réservé à nos abonnés Russie : des milliers d’enfants ukrainiens « rééduqués »

« Chaque rapatriement est une opération unique »

Contrairement aux prisonniers de guerre, qui font l’objet de discussions entre les services de renseignement militaire des deux pays, le cas des enfants déportés n’est traité ni au niveau des gouvernements ni par des organisations internationales. « L’Ukraine a proposé des négociations, mais la Russie les refuse, car ce serait reconnaître la nature même du problème, qui est la déportation illégale, explique Mme Herasymchuk. Et Moscou refuse également l’intervention de la Croix-Rouge internationale, de l’ONU, ou d’un pays tiers. »


Face à ces entraves, le sort des enfants déportés repose essentiellement sur des associations telles que Save Ukraine. M. Kuleba dit avoir organisé, pour sa part, le rapatriement de 61 enfants, et ignorer d’où vient le chiffre de 308 annoncé par Kiev. Des familles ont organisé elles-mêmes des retours, grâce à des contacts en Russie, mais cela reste marginal et extrêmement risqué.



Daria Herasymchuk, la conseillère aux droits de l’enfant du président Zelensky, à Kiev, le 21 mars 2023. ADRIEN VAUTIER / LE PICTORIUM POUR « LE MONDE »

Du côté de Save Ukraine, on constate qu’en l’absence de négociation diplomatique « chaque rapatriement d’enfant est une opération unique ». L’enfant doit être localisé avec certitude, ce qui n’est pas évident, car « les Russes les bougent souvent et tentent de trouver mille raisons pour ne pas les rendre à l’Ukraine ». Puis, une fois le dossier administratif minutieusement préparé, avec tous les documents d’état civil en règle, l’association emmène les mères dans un long périple, les voyages étant impossibles à travers la ligne de front. « Pour aller chercher ces enfants en Crimée, nous avons affrété un bus qui a parcouru 3 800 kilomètres à l’aller et 4 500 kilomètres au retour », à travers la Pologne, la Biélorussie et la Russie, raconte Mykola Kuleba.



Taya et Genia, toutes deux âgées de 15 ans, viennent de rentrer à Kiev après avoir passé cinq mois et demi retenues dans un camp de vacances en Crimée. A Kiev, le 22 mars 2023. ADRIEN VAUTIER / LE PICTORIUM POUR « LE MONDE »

Ce n’est qu’une fois qu’une mère et son enfant sont réunis que la Russie accepte le départ d’un gamin ukrainien. Autant dire que ce type d’opération risque, sans intervention des organisations internationales, de ne pas mener loin. Le prochain bus de Save Ukraine doit rapatrier, d’ici à deux semaines, vingt enfants supplémentaires. Et, plus le temps passe, plus le risque est grand que l’enfant ait changé de nationalité et de nom. Le sort des petits Ukrainiens dépend donc d’une course de vitesse n’ayant rien à voir avec le rythme de la guerre. Dans le camp où se trouvait Genia, en Crimée, elle était la dernière. Tous les autres enfants avaient été transférés vers une destination inconnue. Dans celui de son amie Taya, il en reste soixante-trois. Pour eux comme pour des milliers d’autres, chaque jour compte.


Rémy Ourdan

Kiev, envoyé spécial

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Wednesday, 22 March 2023

The moral and legal case for sending Russia’s frozen $300 billion to Ukraine

 The moral and legal case for sending Russia’s frozen $300 billion to Ukraine




A resident of a bombed building removes his belongings after a rocket strike in Kramatorsk, Ukraine, on Tuesday. (Wojciech Grzedzinski for The Washington Post)
Opinion by Lawrence H. Summers, Philip D. Zelikow and Robert B. Zoellick
March 20, 2023 at 7:30 p.m. Taiwan Time
Lawrence H. Summers, a professor at and past president of Harvard University, was treasury secretary from 1999 to 2001 and an economic adviser to President Barack Obama from 2009 through 2010. Philip D. Zelikow, a lawyer and a history professor at the University of Virginia, held foreign-policy posts in five administrations. Robert B. Zoellick has served as president of the World Bank, U.S. trade representative and deputy secretary of state.
Russia’s assault on Ukraine has become a brutal war of attrition — militarily but also economically and socially. Russian President Vladimir Putin recognizes the nature of this struggle. Ukraine, having lost one-third of its GDP, with one-third of its population already displaced and the lights flickering on and off, could win battles and still lose the war.
Ukraine’s allies have rallied to its aid with armaments, but they have faltered on the decisive economic front. Using the approximately $300 billion in Russian central bank assets that were frozen by Western governments at the war’s onset would show Putin he cannot outlast Ukraine and the West economically. There is elegant justice in using Russia’s state funds, now lying idle, to counter the costs of Moscow’s destruction. Plans have been prepared, with ways to avoid corruption and linked to the European Union. That would be a strategy of hope.

Last month, the leaders of every state in the European Union, hosting millions of Ukrainian refugees, announced that the E.U. will “support Ukraine’s reconstruction, for which we will strive to use frozen and immobilised Russian assets in accordance with EU and international law.” They added measures to trace all those assets in their countries. Canada has already enacted its own legislation to move ahead.
In the Group of Seven, all now look for U.S. leadership. To its credit, the United States spends billions per month in emergency aid just to help Kyiv pay its monthly bills. But this is not sustainable, and it does not seriously begin the tasks of recovery and reconstruction. Transferring frozen Russian reserves would be morally right, strategically wise and politically expedient — particularly with a restive U.S. Congress.
Governments would have plenty of legal justification for moving ahead. On Nov. 14, 2022, the United Nations formally recognized that Russia must “bear the legal consequences of all of its internationally wrongful acts, including making reparation for the injury, including any damage, caused by such acts.” The United Nations called for creation of an institution, now, to implement this compensation.
In the last such case, after Iraq’s 1990 invasion of Kuwait, using the same emergency powers that President Biden has invoked in this crisis, an October 1992 executive order “directed and compelled” every bank holding Iraqi state funds to transfer them in compliance with a U.N. resolution that called for compensation of the victims of that aggression. More than $50 billion of Iraqi state funds from around the world were eventually paid out to injured countries, widening the supportive coalition. None of this required court action or the aggressor’s permission.
Those who hold Russian assets are entitled, under the international law of state countermeasures for a grave breach of international law, to cancel their obligations to the Russian state and apply Russian state funds to pay what Russia owes. This asset freeze should not be treated, as some think it should be, under a surreal “sanctions” paradigm, waiting upon a fantasy of Russian surrender. Ours is a wartime paradigm, and the compensation cannot wait. And applying the debtor's funds to pay its debts is a common way to encourage a settlement.
In addition to the unfortunate hesitations about deploying the frozen Russian central bank assets, public debate has been muddied by a mistaken focus on Russian oligarchs’ yachts and other seized assets. That involves a comparably minor amount of money, not very liquid, and is much more complicated legally.
In state action against another state’s property, there are no due process concerns. Russia is not a “person” under the U.S. Constitution, and the property being taken is not “private.” There is no sovereign immunity issue, because this is state-on-state; there are no private litigants.
Some warn of the precedent of embittering reparations imposed on a bankrupt Germany after World War I. It is a terrible analogy. Russia has received massive windfall oil profits, worth at least $100 billion, since the war started, and these are not frozen. Putin has likely already written off the frozen funds. It is hard to conceive the scenario in which he gets them back, with Ukraine still broke.
Some financial types will wring their hands about harming the U.S. dollar. This is an important issue. That is why it is so important for the G-7 to move in concert, including with euros and yen. This would deter aggressors but have little other effect, because countries that want to trade in dollars and euros and yen don’t have alternate liquid assets to hold.
European leaders have stepped up. The Biden administration has not yet followed suit. It should use Russia’s frozen funds and its diplomatic leverage now, while it can decide the outcome of the war. The time has arrived for President Biden to tell his advisers what FDR would have told them: This is the right thing to do. Find a way.

 Ukraine : la passion foudroyée de « Da Vinci » et Alina

Le jeune héros national, tombé à Bakhmout, partageait sa vie avec la cheffe du service médical de son bataillon

Rémy Ourdan

REPORTAGEKIEV - envoyé spécial

Ils partageaient tout, une passion amoureuse, la paix et la guerre, une chambre à Kiev, un engagement dans le même bataillon, et un chien, Hugo. A la fin, ils ont surtout partagé la guerre, à laquelle Dmytro Kotsioubaïlo a voué son existence et qui lui a ôté la vie non loin de Bakhmout. Pour Alina Mykhaïlova, la vie s’est arrêtée lorsque Dmytro, son compagnon et son commandant d’unité, a agonisé dans ses bras, fauché par un éclat d’obus. Quelques jours plus tard, le sous-lieutenant Kotsioubaïlo, 27 ans, célèbre en Ukraine sous son nom de guerre, « Da Vinci », a eu droit à des funérailles nationales à Kiev.

Au neuvième jour de deuil, comme le veut la tradition orthodoxe, Alina Mykhaïlova ainsi que la famille et les amis de Dmytro Kotsioubaïlo se sont réunis à l’église Saint-Nicolas, dans le parc du tombeau d’Askold où le jeune officier a été inhumé. Des Kiéviens anonymes viennent fleurir sa tombe. Alina accepte, pour la première fois depuis sa mort, le 7 mars, d’évoquer Dmytro. Assise sur un banc de ce parc historique de Kiev, elle caresse nerveusement les franges de sa khoustka, un foulard traditionnel ukrainien.

« Coup de foudre immédiat »

Alina Mykhaïlova, politologue de profession, élue au conseil municipal de Kiev, et elle-même sous-lieutenant dans l’armée ukrainienne, où elle commande le service médical du 1er bataillon les Loups de Da Vinci de la 67ebrigade mécanisée, raconte l’histoire de deux jeunes Ukrainiens comme tant d’autres, à peine sortis de l’adolescence lorsque la révolution puis la guerre les ont cueillis.

« “Da Vinci”, dit-elle, est parti à la guerre aussitôt après Maïdan », la « révolution de la dignité » de 2014 à laquelle il a participé en tant qu’activiste du mouvement ultranationaliste Secteur droit, et durant laquelle il a choisi son surnom, « Da Vinci ». Un souvenir de ses études artistiques au lycée d’Ivano-Frankivsk et de ses ambitions d’artiste peintre. Lorsque la Russie annexe la Crimée et déclenche la guerre dans le Donbass, il s’engage dans un bataillon de volontaires créé par Secteur droit. Excellent soldat, charismatique, il commande rapidement une section, puis une compagnie.

Alina, elle, rejoint une unité médicale de volontaires dans le Donbass trois ans plus tard. Elle sert en première ligne près d’Avdiïvka, dans les tranchées, lorsqu’elle reçoit l’ordre de rejoindre l’hôpital de Kramatorsk. « J’étais déçue car je préférais être sur le front. » A Kramatorsk, elle rencontre « Da Vinci ». « Le coup de foudre fut immédiat », dit-elle. Le jeune officier prend l’habitude de lui apporter des fleurs, des chocolats. Une romance naît dans les jardins de l’hôpital. Pour elle, c’est à la fois une vie militaire qui commence, puisqu’elle le suivra au sein de son bataillon après l’invasion russe de 2022, et la fin de sa première expérience sur le front. « En six ans ensemble, il ne m’a jamais autorisée à retourner au “point zéro” », la première ligne.

Quelques jours avant que le président russe, Vladimir Poutine, lance, le 24 février 2022, son armée à l’assaut de l’Ukraine, Dmytro appelle Alina : « Viens immédiatement ! Ils vont attaquer. » Il lui demande de prendre « le chien et les médailles ». Elle rejoint les Loups de Da Vinci dans le village de Chtchastia. Un nom qui, en ukrainien, veut dire « bonheur », alors que c’est là qu’a débuté le cauchemar.

Face à l’invasion russe, l’état-major ukrainien intègre de nombreuses unités de volontaires dans les forces armées. Dmytro Kotsioubaïlo, qui fut le premier volontaire décoré du titre de « héros de l’Ukraine », devient alors le plus jeune officier à se voir confier le commandement d’un bataillon. « Il a appelé son bataillon les Loups de Da Vinci car, comme les loups, nous vivions en meute avec ses hommes », raconte Alina.

La jeune femme s’engage cette fois officiellement dans l’armée. Nommée sous-lieutenant, elle commande un service médical de vingt-deux personnes. Elle navigue entre le « point de stabilisation », où les urgentistes reçoivent les blessés du front, et l’arrière, où on les amène dans des hôpitaux de campagne. Le 7 mars, elle entend à la radio qu’il y a « un 300 très grave » – « 300 » étant le nom de code pour les blessés. « J’ai eu l’intuition que c’était Da Vinci. Je me suis effondrée intérieurement. » Puis un appel confirme : « C’est Da Vinci. » Elle le trouve blessé au cou, allongé sur un brancard, inconscient. « L’enfer est entré dans ma vie. J’ai longtemps tenté de le réanimer… »

Zelensky agenouillé

En route vers Kramatorsk, tandis que les docteurs poursuivent leurs efforts pour le ramener à la vie, Alina appelle le général Valeri Zaloujny, le commandant des forces armées, et le bureau du président, Volodymyr Zelensky. « Da Vinci » n’est pas un blessé ordinaire. « A l’hôpital, aucun docteur n’osait venir m’annoncer sa mort, poursuit-elle. Finalement, l’un est sorti de la salle. J’ai vu son visage, et j’ai compris. » Le monde d’Alina s’effondre. « Deux minutes après, le général Zaloujny m’a envoyé un message. Il a écrit “Pardonne-moi”. »

« Da Vinci » a droit, le 10 mars, à d’impressionnantes funérailles à Kiev. Agenouillés devant le cercueil, entourés de milliers de Kiéviens, le président Zelensky, le ministre de la défense, Oleksii Reznikov, le général Zaloujny et des dizaines d’officiers rendent un dernier hommage au jeune combattant. Dans son adresse à la nation, Volodymyr Zelensky évoque « la douleur de perdre nos héros ».

Sur le banc près de l’église Saint-Nicolas, Alina laisse couler ses larmes. Elle n’a que deux projets en tête : retourner dans le Donbass voir les Loups de Da Vinci, pour « être avec eux à un moment où les combats sont rudes, où ils perdent des hommes » ; puis rejoindre le mouvement de ceux qui militent pour que le parc d’Askold devienne un cimetière militaire national dédié aux « héros de l’Ukraine ». « Ensuite, je ne sais pas ce que je vais devenir… murmure-t-elle, le regard perdu. Je suis soldat, mais je me suis engagée dans l’armée pour sauver “Da Vinci” d’une mort certaine et j’ai échoué. »

 SAVE

India’s BJP Is the World’s Most Important Party

It combines market economics, traditionalist values and populist rhetoric.

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BJP supporters in Kolkata, India, March 2.PHOTO: SAYANTAN CHAKRABORTY/ZUMA PRESS

New Delhi

India’s ruling Bharatiya Janata Party is, from the standpoint of American national interests, the most important foreign political party in the world. It may also be the least understood.

It’s important because the BJP—which came to power in 2014, won a second term in 2019, and is headed for a repeat victory in 2024—sits securely at the helm of Indian politics at a time when India is emerging both as a leading economic power and, along with Japan, as the linchpin of American strategy in the Indo-Pacific. For the foreseeable future the BJP will be calling the shots in a country without whose help American efforts to balance rising Chinese power are likely to fall short.

The BJP is poorly understood because it grows out of a political and cultural history unfamiliar to most non-Indians. The BJP’s electoral dominance reflects the success of a once obscure and marginal social movement of national renewal based on efforts by generations of social thinkers and activists to chart a distinctively Hindu path to modernization. Like the Muslim Brotherhood, the BJP rejects many ideas and priorities of Western liberalism even as it embraces key features of modernity. Like the Chinese Communist Party, the BJP hopes to lead a nation with more than a billion people to become a global superpower. Like the Likud Party in Israel, the BJP combines a basically pro-market economic stance with populist rhetoric and traditionalist values, even as it channels the anger of those who’ve felt excluded and despised by a cosmopolitan, Western-focused cultural and political elite.

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Morning Editorial Report

All the day's Opinion headlines.

American analysts, particularly those of a left-liberal persuasion, often look at Narendra Modi’s India and ask why it isn’t more like Denmark. Their concerns aren’t wholly misplaced. Journalists who are critical of the ruling coalition can face harassment and worse. Religious minorities who fall afoul of the resurgent Hindu pride that marks BJP India speak of mob violence and point to hostile official measures like broadly drafted anticonversion laws as well as occasional outbursts of mob violence. Many fear the power of the Rashtriya Swayamsevak Sangh, or RSS, a nationwide Hindu nationalist organization with close ties to BJP leadership.

But India is a complicated place, and there are other stories as well. Some of the BJP’s most striking recent political successes have come in predominantly Christian states in India’s northeast. The BJP government of Uttar Pradesh, a state with a population of about 200 million, enjoys strong support from Shia Muslims. RSS activists have played a significant role in efforts to fight caste discrimination.

After an intensive series of meetings with senior BJP and RSS leaders, as well as some of their critics, I am convinced that Americans and Westerners generally need to engage much more deeply with a complex and powerful movement. From a fringe of mostly marginalized intellectuals and religious enthusiasts, the RSS has become perhaps the most powerful civil-society organization in the world. Its rural and urban development programs, religious education and revival efforts and civic activism, staffed by thousands of volunteers from all walks of life, have succeeded in forming the political consciousness and focusing the energies of hundreds of millions of people.

The movement seems to have reached a crossroads. When I met with Yogi Adityanath, a Hindu monk serving as chief minister of Uttar Pradesh, considered one of the most radical voices in the movement—and sometimes spoken of as a successor to 72-year-old Prime Minister Modi—the conversation was about bringing investment and development to his state. Similarly, Mohan Bhagwat, the spiritual leader of the RSS, spoke to me about the need to accelerate India’s economic growth, and disavowed the idea that religious minorities should suffer discrimination or loss of civil rights.

How these statements by top leaders to a foreign journalist will percolate down to the grass roots is impossible to predict. But I did get the impression that the leadership of a once-marginalized movement wants to position itself as the natural establishment of a rising power and is looking to engage deeply and fruitfully with the outside world without losing touch with its social and political base.

The invitation to engage with the BJP and RSS is one that Americans can’t afford to reject. As tensions with China rise, the U.S. needs India as both an economic and political partner. Understanding the ideology and the trajectory of the Hindu nationalist movement is as important for business leaders and investors seeking to engage economically with India as it is for diplomats and policy makers wanting to put the strategic relationship on a stable footing.