Commentary on Political Economy

Wednesday 1 November 2023

Guerre Israël-Hamas : « Après avoir vécu ces dernières années comme Athènes, dans l’insouciance d’un statu quo illusoire, Israël se voit contraint de redevenir Sparte »

Tribune
David Chemla
Secrétaire général européen de JCall
Dans une tribune au « Monde », David Chemla, qui milite depuis des dizaines d’années en faveur de la paix au Proche-Orient, revient sur le traumatisme de l’attaque du Hamas, tout en invitant à penser l’après-7 octobre.
Aujourd’hui à 12h00, modifié à 14h32
Lecture 4 min
Article réservé aux abonnés
Offrir

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service client.

Depuis le 7 octobre, les récits décrivant le pogrom vécu par les membres des kibboutz près de Gaza hantent mes nuits. « Pogrom », « kibboutz », deux mots que je n’aurais jamais imaginé réunis dans une même phrase.

« Pogrom », un mot appartenant à un passé que je croyais révolu, celui du siècle dernier, de là-bas, d’avant, racontant des siècles de persécutions jusqu’à l’abomination de la Shoah.

Et « kibboutz », un mot qui, depuis mon adolescence, m’a fait rêver, m’a donné l’espoir de vivre dans une société plus égale et fraternelle, une société où chacun peut s’accomplir au mieux dans un cadre collectif, et non dans une société individualiste et matérialiste.

Deux mots qui renvoient à deux moments opposés de l’histoire juive. Le premier, celui d’un temps où les juifs étaient pourchassés dans des terres hostiles où ils n’avaient pas de lieu où se cacher ; et le second, celui où ils se tiennent debout dans leur pays. Et voilà que les assassins du Hamas ont réuni ces deux mots ce samedi noir au nom d’une cause palestinienne qu’ils ont dévoyée et salie.

L’ennemi de la cause palestinienne

Savaient-ils seulement, en tuant leurs victimes d’une façon aussi barbare, brûlant ce qu’il restait de leurs pauvres corps, après les avoir violées, décapitées, démembrées à tel point que toutes n’ont pas été identifiées, qu’ils assassinaient ceux qui se battent contre l’occupation et pour que les Palestiniens aient un Etat ? Comme Carméla, membre de La Paix maintenant, qu’ils ont brûlée avec Noya, sa petite-fille autiste ? Ont-ils reconnu Vivian, qui accompagne les enfants de Gaza dans les hôpitaux israéliens, avant de la prendre en otage ?

Je pourrais allonger cette liste, ajouter les noms des deux cent soixante jeunes assassinés alors qu’ils participaient à un festival de danse pour la paix. Mais, pour ces assassins, peu importent les options politiques de leurs victimes. Vieux ou jeunes, enfants ou bébés, ils sont tous l’objet de leur haine, inculquée depuis l’enfance.

D’ailleurs, les dirigeants du Hamas se soucient-ils du bien-être de la population palestinienne ? Ils le pouvaient, malgré la politique imbécile des Israéliens ; ils auraient pu utiliser les dollars du Qatar pour les civils palestiniens plutôt que pour s’armer. Ils ont même récupéré les canalisations installées par la communauté internationale afin d’assainir le réseau des eaux pour en faire des roquettes.

Connaissant ce qu’allait être la réaction israélienne, pourquoi n’ont-ils pas construit des abris pour les civils ? Non ce n’est pas la cause palestinienne ni sa population qu’ils défendent ! Le cas échéant, ils n’auraient pas choisi de la sacrifier dans leur folie meurtrière. Il faut le dire haut et fort aux manifestants propalestiniens, le Hamas est l’ennemi de la cause palestinienne.

Comme avec l’organisation Etat islamique et Al-Qaida

Depuis plus de cinquante ans, je me bats contre l’occupation. Quand, il y a vingt ans, des Israéliens – ex-ministres, généraux à la retraite… – et des Palestiniens – dirigeants et cadres du Fatah, dont beaucoup avaient été prisonniers en Israël –, ont signé un accord de paix virtuel à Genève [le « pacte de Genève » en décembre 2003], je suis allé à leur rencontre pour entendre leur itinéraire.

Si chacun avait son narratif, ils comprenaient que le seul moyen de mettre fin à ce conflit était que tous renoncent à une part de leurs revendications. Depuis, des deux côtés, ce sont les extrémistes qui dictent leur agenda et nous sommes plus loin que jamais d’une quelconque perspective de paix.

Depuis 2008, il y a eu quatre guerres à Gaza. Chaque fois, un cessez-le-feu donnait un peu de répit aux deux populations jusqu’à la prochaine explosion. Mais, dans le cas présent, étant donné l’ampleur et la barbarie de ce massacre de plus de 1 400 personnes en majorité civiles, toute la société israélienne, y compris les militants contre l’occupation, se tient derrière son armée pour éliminer la menace que fait peser le Hamas sur les habitants du Sud. Ceux-ci ne reviendront chez eux que s’ils ont la garantie que cela ne se reproduira plus.

Tous les dirigeants occidentaux qui disent vouloir trouver une solution à ce conflit, après l’avoir négligé, le savent. Il faut anéantir les capacités militaires du Hamas, comme cela a été fait avec l’organisation Etat islamique et Al-Qaida. Seule l’armée israélienne pourrait le faire. Même les dirigeants des pays arabes avec lesquels Israël est en paix l’attendent sans le dire. Quant à la population israélienne, si soucieuse de la vie de ses soldats, elle accepte de devoir payer un prix lourd.

Eviter la crise humanitaire

Après avoir vécu ces dernières années comme Athènes, dans l’insouciance d’un statu quo illusoire, au prix « supportable » de quelques dizaines de morts par an, Israël se voit contraint de redevenir Sparte. Et devant l’incurie de ses dirigeants, responsables des dysfonctionnements et des erreurs stratégiques qui ont permis un tel massacre, cette société, divisée il y a peu, se retrouve unie dans un mouvement de solidarité.

Les organisations du mouvement de contestation ont été les premières à se mobiliser pour aider la population du Sud et du Nord réfugiée dans le centre du pays à cause des roquettes et des infiltrations du Hamas qui continuent.

A Gaza, l’armée israélienne pousse la population à partir vers le sud, alors que le Hamas veut l’en empêcher. Les images des réfugiés sous des tentes et des victimes civiles des bombardements chassent déjà celles des enterrements en Israël. Il faut éviter la crise humanitaire à Gaza et garantir le passage des convois d’aide.

Une exploitation cynique

A cette urgence ajoutons celle de la situation des otages, civils et militaires, dont le Hamas fait une exploitation cynique. Deux cent vingt, dont une trentaine d’enfants ! On sait le prix qu’Israël a accepté de payer dans le passé pour récupérer un seul soldat : le « taux de change » était d’un pour mille. Qu’en sera-t-il aujourd’hui ? C’est l’équation impossible à laquelle est confronté le gouvernement israélien.

Mais il faut aussi penser à l’après, et mettre en place une solution de réhabilitation de Gaza avec l’aide et l’implication internationales pour que jamais plus une force militaire ne vienne s’y réinstaller. Ce projet, s’il est mené rapidement et avec détermination, redonnera un espoir à la population. Il devra se faire avec l’Autorité palestinienne. Et il faudra parallèlement relancer des négociations pour une solution définitive du conflit avec la même détermination.

Un tel projet semble aujourd’hui impossible. Rappelons-nous cependant que, au lendemain de la guerre du Kippour [1973], nul n’aurait pensé que, quatre ans plus tard, le président égyptien ferait un discours à la Knesset et qu’un accord de paix serait signé. Dans la noirceur du présent, nous ne devons pas renoncer à l’espoir. Ce serait alors la victoire des terroristes.

David Chemla est le secrétaire général européen de JCall, mouvement de juifs européens engagés pour mettre fin au conflit au Proche-Orient. Il est l’auteur de Bâtisseurs de paix (Liana Levi, 2005).

No comments:

Post a Comment