« La Chine a choisi de faire un exemple de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, en tentant d’instaurer un rapport de force qu’elle a perdu »

Taïwan est un symbole des principes proclamés par les Etats-Unis et leurs alliés face aux autocraties russe ou chinoise, analyse la chercheuse Valérie Niquet dans une tribune au « Monde ». Elle rappelle que céder aux injonctions de tels régimes constitue un risque majeur pour les équilibres stratégiques.

Publié aujourd’hui à 06h00   Temps deLecture 4 min. Read in English

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Acte justifié ou provocation ? Ambiguïté ou confusion ? La visite de Nancy Pelosi à Taïwan a soulevé de nombreuses questions qui touchent autant au positionnement des Etats-Unis avant cette visite qu’à celui de la République populaire de Chine (RPC). En se rendant à Taïwan, classée parmi les toutes premières démocraties en Asie, dont le modèle de démocratisation surtout, depuis la fin des années 1980, est une vraie réussite, après les années de dictature du Kouomintang, la présidente américaine de la Chambre des représentants met en pratique ses principes et ceux constamment proclamés par les Etats-Unis et leurs alliés contre l’offensive des autocraties russe ou chinoise, en Ukraine ou à Hongkong. Nancy Pelosi a par ailleurs constamment réaffirmé que la position des Etats-Unis sur l’unicité de la Chine n’avait pas changé.

Dans ce contexte, reprendre le discours chinois, qui assimile cette visite à une provocation inacceptable, renoncer peut-être demain à d’autres visites à Taïwan pour ne pas prendre le risque d’offenser les dirigeants chinois, remettre en question un mouvement général bienvenu qui a vu, depuis plusieurs mois, des délégations parlementaires de haut niveau se rendre à Taïwan, des Etats-Unis, mais aussi du Japon, d’Europe ou de France serait une erreur. Ce renoncement ne pourrait être qu’un encouragement à la Chine à accroître encore ses pressions, contre Taïwan mais aussi contre tout ce qui s’oppose aux prétentions hégémoniques de Pékin en Asie, en mer de Chine méridionale ou face au Japon autour des îles Senkaku. Comme l’histoire nous l’a appris, céder aux injonctions des régimes les plus agressifs constitue un risque majeur pour- les équilibres stratégiques globaux. On ne peut pas d’un côté dénoncer l’invasion russe de la Crimée, du Donbass puis de l’Ukraine, et condamner de l’autre toute visite à Taïwan comme une provocation inacceptable pour un régime chinois qui n’a par ailleurs jamais contrôlé l’île.

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Pourtant, du côté américain, les hésitations de la Maison Blanche, des déclarations malheureuses de Joe Biden sur l’opposition du secrétariat d’Etat à la défense à cette visite – comme l’avait été sa hâte à déclarer que les Etats-Unis n’enverraient aucun militaire en Ukraine – ont pu encourager les dirigeants chinois à accentuer leurs pressions devant cette digue qui semblait lâcher. De même, ils s’interrogent peut-être sur l’ambiguïté stratégique américaine en cas d’agression contre Taïwan quand, après les déclarations de Joe Biden sur une aide militaire en cas d’attaque chinoise, l’administration, de la Maison Blanche au Pentagone en passant par le secrétariat d’Etat, réitère avec force que les Etats-Unis ne soutiennent pas l’indépendance de l’île.

Impuissance

Pékin a donc choisi de faire un exemple de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan, en tentant d’instaurer un rapport de force que la RPC a perdu ; qu’elle ne pouvait pas gagner, à moins que les Etats-Unis, en renonçant, ne risquent de dégrader un peu plus la crédibilité de leur engagement en Asie aux côtés de leurs alliés, face à la Chine.

Celle-ci a donc décidé pour riposter à cet « affront » de déclencher les foudres d’exercices militaires « encerclant Taïwan sur le modèle d’un blocus », comme le déclare un militaire chinois de l’université de défense, dont les zones cartographiées se situent aux confins des eaux territoriales taïwanaises. Cela n’est pas une première : Pékin avait procédé de même en 1995-1996 pour peser sur la première élection au suffrage universel d’un président taïwanais et interdire la visite de ce même président aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les moyens de l’Armée populaire de libération sont bien plus importants, les exercices plus impressionnants, les voies de communication dans le détroit perturbées.

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Mais la Chine n’a pas les capacités d’envahir et d’occuper Taïwan, et c’est aussi cette impuissance qui explique la violence de la réaction de Pékin. Il s’agit de montrer à une population chinoise qui souffre des confinements, de la stratégie zéro Covid, d’un fort ralentissement économique et d’une crise sans précédent de l’immobilier que le Parti communiste chinois (PCC) – et Xi Jinping à sa tête – sont puissants. Les dérapages sont toujours possibles avec des militaires – notamment les pilotes – chauffés à blanc par une propagande hypernationaliste, mais, après ces quelques jours de bruit et de fureur, la Chine devrait de nouveau se préoccuper de sa croissance économique en berne, de la préparation du 20e congrès du PCC [prévu à l’automne], et du développement de ses capacités militaires dans l’espoir, un jour, de pouvoir vraiment tenir tête à Washington.

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On en est très loin, et c’est un vrai défi pour un régime chinois qui, derrière l’image de puissance qu’il tente de projeter pour mieux impressionner l’adversaire et le voir céder d’avance sans avoir à combattre, souffre de nombreuses faiblesses internes et demeure très dépendant de son accès sans entraves au monde extérieur. La stratégie agressive suivie par Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir en 2012 n’a pas servi les intérêts de la Chine, dont l’image s’est profondément dégradée dans le monde, alors que dans le même temps celle de Taïwan se renforçait. L’ostracisme diplomatique dont l’île est victime est de moins en moins compris tant il entre en contradiction avec le discours sur la défense des démocraties et des valeurs communes. Publié au lendemain de la visite de Nancy Pelosi, le communiqué du G7, qui réunit l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni, l’a rappelé, condamnant fermement les gesticulations militaires de Pékin.

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Cette crise aura peut-être pour résultat une prise de conscience en Chine même, au sein d’un Parti communiste sans doute moins monolithique qu’il ne semble l’être, de la nécessité d’en revenir à des choix moins négatifs pour ses intérêts et ceux de la République populaire de Chine.

Valérie Niquet est spécialiste de l’Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, autrice de « Taïwan face à la Chine » (Tallandier, 240 pages, 19,90 euros).