Commentary on Political Economy

Wednesday 3 January 2024

 

« Pour les Européens, on négocie parce que l’on veut la paix. Mais la guerre hybride ne connaît pas la paix, pas plus que Poutine ne connaît la bonne foi »

La guerre menée par la Russie à l’Ukraine, qui entrera le 24 février dans sa troisième année, est une guerre totale, difficile, coûteuse, terriblement meurtrière des deux côtés. Elle s’annonce longue. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’on cherche les moyens autres que militaires d’y mettre fin.

Des Etats-Unis, où l’enthousiasme pro-ukrainien faiblit aussi vite que monte la ferveur pro-Trump, s’élèvent des voix en faveur d’un armistice. Elles se sont faites d’autant plus insistantes que les républicains du Congrès ont bloqué, début décembre 2023, le vote d’une aide de 60 milliards de dollars (environ 55 milliards d’euros) à l’Ukraine. Le raisonnement est simple : l’Ukraine ne peut pas gagner cette guerre militairement, elle n’en a pas les moyens humains face à un adversaire trois fois plus peuplé, et son chef d’état-major, le valeureux général Valeri Zaloujny, reconnaît lui-même que sa contre-offensive ne mène nulle part. A quoi bon jeter des milliards de dollars dans une guerre d’usure qui peut durer des années sans résultat ?

Peu avant Noël, un article du New York Times a apporté de l’eau au moulin des défenseurs de cette thèse. En dépit de son triomphalisme de façade, assurent les auteurs, le président Vladimir Poutine fait passer discrètement le message, à travers des intermédiaires, qu’il est ouvert à la négociation en vue d’un cessez-le-feu en Ukraine, à condition qu’il puisse présenter cette négociation chez lui comme une victoire. Dans un tel scénario, Poutine se « satisferait » des gains territoriaux acquis jusqu’ici – au bas mot pas loin de 20 % du territoire ukrainien.

« Une guerre gérable »

Plusieurs autres textes publiés ces dernières semaines dans la presse américaine ou sur des sites de recherche géopolitique vont dans le même sens. Certains ont relevé un intéressant glissement sémantique, à l’occasion de la visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, en décembre : le président Joe Biden ne dit plus que son pays soutiendra l’Ukraine « aussi longtemps qu’il faudra » mais « aussi longtemps qu’il pourra ».

Bien sûr, personne n’a envie de voir cette guerre se prolonger indéfiniment. Personne ? Sam Greene, professeur à l’Institut Russie du King’s College de Londres, pense, lui, que Vladimir Poutine a besoin de poursuivre une guerre qui a transformé, à son bénéfice, la vie politique, économique et sociale de la Russie. « Le fait que Poutine veuille négocier ne veut pas dire qu’il veut la paix », remarque Sam Greene sur le réseau social X. En fait, il a même intérêt à poursuivre ce qu’il présente comme un affrontement avec l’Occident, mais il veut « une guerre gérable ». Une guerre qui ne puisse pas provoquer des réactions incontrôlables dans la population russe, susceptibles de mettre son pouvoir en danger, alors qu’il s’apprête à se faire élire pour un cinquième mandat en mars.

Gagner du temps

C’est là tout le piège, que ne veulent pas voir les adeptes de la négociation. Depuis qu’il est au pouvoir, c’est-à-dire depuis bientôt un quart de siècle, Vladimir Poutine a fait preuve d’un remarquable talent pour ouvrir des négociations qui n’aboutissent jamais. Cela a été le cas après l’invasion de la Géorgie en 2008, avec des pourparlers à Genève sur le statut des deux provinces séparatistes que Moscou considère comme indépendantes ; cela a surtout été le cas avec le processus dit « format de Normandie », lancé en 2014 par la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande pour tenter de régler le conflit au Donbass.

Pendant toutes ces années de pourparlers diplomatiques stériles, ni la France ni l’Allemagne n’ont apporté d’aide militaire à l’Ukraine puisqu’elles étaient parties à la négociation : autant de temps gagné pour le Kremlin qui, lui, continuait son activité militaire en Ukraine et les préparatifs d’une invasion à grande échelle.

Les Européens prennent les négociations au sérieux. Ils y engagent leurs meilleurs diplomates, suivent les procédures, pensent que l’on négocie parce que l’on veut la paix – certes dans les conditions les plus avantageuses, mais avec un objectif qui est celui d’arrêter un conflit. Or, la guerre hybride ne connaît pas la paix, pas plus que Vladimir Poutine ne connaît la bonne foi. Pour lui, l’avantage des pourparlers sans fin est que pendant qu’ils négocieront, les Occidentaux, ayant pour objectif l’arrêt des hostilités, cesseront d’approvisionner l’Ukraine en armement ou, à tout le moins, renonceront à se mettre, comme lui, en mode d’économie de guerre pour produire cet armement.

Pour Ruth Deyermond, autre chercheuse du King’s College, la Russie ne peut pas gagner cette guerre car ses objectifs initiaux sont irréalistes ; « au lieu de dénazifier l’Ukraine, dit-elle, Poutine a nazifié la Russie ». En revanche, l’Ukraine peut la perdre, car Vladimir Poutine ne cessera de chercher à la déstabiliser. L’Ouest aussi peut la perdre, car il a été désigné comme l’ennemi par le Kremlin.

A l’Ouest, donc, de décider s’il veut résister ou capituler. Et de calculer quel sera le coût le plus élevé pour lui : celui de la victoire de l’Ukraine, ou celui de la défaite.

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