Commentary on Political Economy

Wednesday 20 March 2024

 

En Chine, la mort d’un jeune garçon relance le débat sur le sort des enfants des travailleurs migrants

Un travailleur migrant travaillant dans la capitale, avec sa fille dans leur appartement à Pékin, en 2021. Les travailleurs migrants sont confrontés au dilemne de partir seuls ou avec leurs enfants.
Un travailleur migrant travaillant dans la capitale, avec sa fille dans leur appartement à Pékin, en 2021. Les travailleurs migrants sont confrontés au dilemne de partir seuls ou avec leurs enfants. STR / AFP

Le décès d’un garçon de 13 ans, probablement tué par des élèves de son école qui le harcelaient, rouvre le débat en Chine sur la situation des jeunes restés à la campagne pendant que leurs parents travaillent à l’usine ou en ville, souvent présentés comme les sacrifiés des années de forte croissance.

Wang Ziyao, l’un de ces « enfants laissés à l’arrière », selon l’expression chinoise, tout comme les trois jeunes de moins de 14 ans suspectés de lui avoir donné la mort, était élevé par ses grands-parents dans un village du Hebei, à 440 kilomètres au sud de Pékin.

Le 10 mars, un dimanche, autour de 13 heures, l’adolescent les avertit qu’il part jouer avec des copains. Sans nouvelles en fin d’après-midi, son grand-père essaye de le joindre, mais son téléphone ne répond pas, or, il se souvient de l’avoir vu le charger avant de partir. La famille se met à sa recherche. Elle apprend par l’école qu’il était souvent avec ces trois garçons, mais, interrogés, ceux-ci nient d’abord savoir où se trouve Wang Ziyao.

Harcèlement

Ce n’est qu’après exploitation des caméras de surveillance du village que l’implication des trois jeunes fut établie, tandis que le compte WeChat, le réseau social chinois, de la victime révélait qu’il leur avait versé l’équivalent de 25 euros. Le corps du garçon a finalement été retrouvé le lendemain dans un trou peu profond creusé dans une serre abandonnée au milieu des champs de blé, le visage abîmé, probablement par des coups de pelle. L’avocat de la famille, Zang Fanqing, a expliqué qu’il était harcelé de longue date.

La dépouille a été emportée par la police locale, puis la famille s’est plainte pendant plusieurs jours de l’absence d’autopsie. Celle-ci a finalement été réalisée dans la nuit du 17 au 18 mars, quelques heures après la diffusion d’une vidéo en temps réel suivie par des milliers de personnes – mais interrompue en direct –, au cours de laquelle l’avocat de la famille racontait le refus de la police de lui laisser voir le corps.

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L’affaire, qui a un énorme retentissement sur les réseaux sociaux et dans la presse chinoise, ouvre deux sujets distincts. L’un touche à la responsabilité pénale des mineurs. Les enfants de plus de 12 ans et de moins de 14 ans ne peuvent être poursuivis au pénal qu’après accord du bureau central du procureur et ils ne peuvent pas être condamnés à la peine de mort. Sur les réseaux sociaux, beaucoup, probablement sous l’émotion due à l’affaire, exigent des peines exemplaires pour les jeunes suspects.

« Fragilité psychologique »

L’autre porte sur le sort de ces enfants que leurs parents ne peuvent emmener avec eux dans leur quête d’un meilleur avenir pour la famille. Les réformes engagées par l’ancien dirigeant chinois, Deng Xiaoping, au tournant des années 1980, ont amené des centaines de millions de Chinois vers les zones industrielles et les métiers urbains, ne rentrant généralement dans leurs villages d’origine qu’une grosse semaine par an, pour les congés du Nouvel An lunaire. Mais la vie à l’usine est ainsi faite qu’il n’y a pas d’écoles ni d’appartements familiaux autour des sites de production.

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De plus, le système du hukou, un document entre le livret de famille et le certificat de résidence institué sous Mao Zedong pour restreindre la mobilité des paysans tentés de migrer vers les villes, perdure, même s’il a été assoupli. Dans les plus grandes villes, il freine notamment l’accès aux écoles publiques des populations catégorisées comme rurales, qui doivent soit inscrire leurs enfants dans des écoles privées de bas niveau, soit les laisser au village avec leurs parents. Un rapport publié conjointement en avril 2023 par l’Unicef et le Bureau national des statistiques chinois fait état de 138 millions d’enfants chinois affectés par la migration, soit 46 % du total des enfants. Parmi eux, 71 millions sont migrants avec leurs parents, une situation qui ne favorise pas leur réussite en ville, et près de 67 millions sont laissés à l’arrière, dont 25 millions en zone urbaine et 42 millions en région rurale.

Les grands-parents n’ont souvent pas le niveau d’éducation et l’énergie pour suivre avec la même attention les activités de ces enfants, qui souffrent parfois d’un manque affectif et sont davantage exposés aux risques des marges de la société. « Ces enfants sont fragiles dans leur connexion émotionnelle. Ils savent que leurs parents sont quelque part car ils soutiennent financièrement leur vie et leur éducation, mais physiquement ils ne sont pas là, ce qui crée des sentiments ambivalents et contribue à une fragilité psychologique », explique Chen Xiaojin, professeur associé à l’université Tulane de La Nouvelle-Orléans et auteur de China’s Left-Behind Children : Caretaking, Parenting, and Struggles (Rutgers, non traduit, à paraître en avril).

« Manque d’éducation »

A l’automne 2012, déjà, la mort par intoxication au monoxyde de carbone de cinq enfants qui avaient fait un feu dans une poubelle pour se réchauffer avait ému tout le pays, de même que celle en 2015 de quatre frères et sœurs de 5 à 13 ans laissés à l’abandon qui s’étaient suicidés en avalant des pesticides. Le dernier cas du Hebei relance les mêmes interrogations dans la société chinoise. « La question plus profonde de cette affaire est que nous devons réexaminer le manque d’éducation de ces enfants et voir comment faire pour qu’ils ne soient pas séparés de leurs parents durant les années où ils grandissent », écrit Zhao Hong, une professeur de l’université chinoise de science politique et de droit, dans une tribune au quotidien Les Nouvelles de Pékin.

Les Chinois sont les premiers choqués de l’inégalité qu’implique le hukou, mais sa réforme reste très progressive et prudente, car elle est sensible. Elle s’accélère dans les petites agglomérations, qui ont besoin d’attirer de la main-d’œuvre. Dans les villes moyennes de la province côtière du Zhejiang, il suffit depuis l’été 2023 pour un migrant de prouver qu’il travaille et paye ses charges sociales sur place pour demander le statut de local et les services publics afférents.

Toutefois, les plus grands centres urbains, les plus attractifs, craignent le poids financier que représenterait l’ajout à leurs services publics relativement développés – écoles, hôpitaux – de cette population, un partage difficile. « Le hukou est comparable à un passeport et ce qui se passe en Chine est un peu comparable à ce qui se passe avec l’immigration en France : on a besoin d’eux, mais on ne veut pas pour autant partager les droits sociaux avec eux », résume Camille Salgues, sociologue spécialiste de la Chine au Centre d’études internationales de Sciences Po et chercheur au sein du projet européen Dealing with a Resurgent China.

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