Commentary on Political Economy

Saturday 9 March 2024

 

France-Allemagne, un tandem secoué par l’épreuve de la guerre en Ukraine

Emmanuel Macron, président de la république, et le chancelier allemand Olaf Scholz participent à une conférence de presse après un Conseil des Ministres franco-allemand au Palais de l'Elysée à Paris, dimanche 22 janvier 2023 - 2023©Jean-Claude Coutausse pour Le Monde
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
Publié aujourd’hui à 06h30, modifié à 08h22

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    EnquêteL’invasion russe de l’Ukraine a déclenché une bataille de leadership entre le chancelier allemand et le président français sur le terrain de la défense. Elle révèle aussi les profondes différences qui séparent leurs deux pays en matière de culture stratégique.

    Ce lundi 26 février au soir, il pleut sur Paris. La cour de l’Elysée est plongée dans la pénombre quand Olaf Scholz prend discrètement congé d’Emmanuel Macron. Contrairement à d’autres dirigeants venus participer à la conférence internationale de soutien à l’Ukraine, organisée par le président français deux ans après le début de l’invasion du pays par la Russie, le chancelier allemand s’éclipse sans une déclaration à la presse. Un peu plus tôt, dans le huis clos de la salle des fêtes de l’Elysée, il a fait front commun avec l’Espagnol Pedro Sanchez, le Grec Kyriakos Mitsotakis et le Slovaque Robert Fico pour étouffer dans l’œuf le débat lancé par Emmanuel Macron sur l’envoi de soldats occidentaux en Ukraine.

    « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu », affirme le président français, à l’issue de la conférence. Avant d’ajouter : « Beaucoup de gens qui disent “jamais, jamais” aujourd’hui étaient les mêmes qui disaient “jamais, jamais des tanks, jamais, jamais des avions, jamais, jamais des missiles de longue portée”. (…) Je vous rappelle qu’il y a deux ans, beaucoup, autour de cette table, disaient que nous allions proposer des sacs de couchage et des casques. » Une allusion transparente à l’Allemagne qui, en janvier 2022, s’était ridiculisée aux yeux de ses alliés en claironnant au sujet de l’expédition de 5 000 casques à l’Ukraine.

    C’est surtout une pique sévère adressée à Olaf Scholz, qui a regimbé chaque fois qu’il a été question de franchir un nouveau palier qualitatif en matière de soutien militaire à Kiev. La réponse du leader social-démocrate n’a pas tardé. « Ce qui a été décidé entre nous dès le début continue d’être valide pour l’avenir : il n’y aura aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé, ni par les Etats européens ni par les Etats de l’OTAN », réplique-t-il, dès le lendemain matin, en marge d’un déplacement à Fribourg-en-Brisgau, dans le sud de l’Allemagne.

    L’épisode donne une idée de l’incompréhension qui gangrène la coopération entre la France et l’Allemagne face au conflit en Ukraine, bien au-delà des évidentes différences de style qui opposent les dirigeants des deux pays. Entre Emmanuel Macron, volontiers grandiloquent et disruptif, et Olaf Scholz, résolument taiseux et prudent, le fossé n’a cessé de se creuser au fil des mois, chacun donnant le sentiment de jouer sa propre partition, plutôt que de chercher à se coordonner, sans hésiter désormais à critiquer l’autre publiquement.

    Le président français Emmanuel Macron (au centre) lors de la conférence de soutien à l’Ukraine au palais de l’Elysée, à Paris, le 26 février 2024.
    Le président français Emmanuel Macron (au centre) lors de la conférence de soutien à l’Ukraine au palais de l’Elysée, à Paris, le 26 février 2024. GONZALO FUENTES / AP

    La façon dont l’Elysée a lancé le débat sur la présence militaire occidentale en Ukraine laissera des traces. Olaf Scholz a été très désagréablement surpris qu’Emmanuel Macron fasse publiquement état des discussions menées à huis clos, et passablement agacé par le compte rendu qu’en a fait le président français. « [Emmanuel Macron] a dit qu’il n’y avait pas consensus sur le sujet, mais ce n’est pas exact : la vérité est que la France était isolée, car la plupart des intervenants ont exprimé leur refus clair et net », assure-t-on côté allemand. A l’Elysée, on affirme au contraire que les participants étaient venus en connaissance de cause et que nombre d’entre eux ne se sont exprimés ni pour ni contre cette perspective.

    Pour recoller les morceaux, la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, a été invitée, mardi 5 mars, à Paris, par son homologue français, Stéphane Séjourné. Les deux ministres se sont entretenus pendant une heure, sans toutefois prendre le risque de tenir une conférence de presse commune après leur échange. Mais l’opération rabibochage a tourné court le jour même quand Emmanuel Macron, de Prague, a exhorté ses alliés à « être à la hauteur de l’histoire et du courage qu’elle implique », estimant que l’Europe entre dans un moment « où il convient de ne pas être lâches ». Cette fois, c’est le ministre de la défense allemand, Boris Pistorius, qui a réagi : « Nous n’avons pas besoin (…) de discussions sur le fait d’avoir plus ou moins de courage. Cela n’aide pas à résoudre les problèmes de l’Ukraine. » Jeudi 7 mars, ces deux poids lourds de la coalition allemande se sont fait remplacer à la réunion de suivi de la conférence de Paris, organisée en visio par leurs homologues français.

    La souveraineté stratégique de l’Europe

    Comment expliquer de telles passes d’armes ? Pourquoi de telles discordances, alors que les deux pays ont longtemps eu, pour l’essentiel, une politique analogue vis-à-vis de la Russie et de l’Ukraine, ménageant la première au risque de minimiser la menace qu’elle représentait pour la seconde ? Ensemble, ils avaient joué les médiateurs dans le conflit opposant Moscou et Kiev dans le Donbass à partir de 2014, et ils ont poursuivi le dialogue avec Vladimir Poutine dans les premiers mois suivant l’invasion du 24 février 2022.

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    En réalité, cette relative unité a été mise à rude épreuve dès les premiers jours de la guerre. « Dans la semaine qui a suivi le 24 février, Scholz et Macron ont tous deux affirmé que cette guerre marquait un “changement d’époque”, mais ils en ont tiré des conclusions totalement opposées, explique Claudia Major, spécialiste des questions de défense à l’Institut allemand des affaires internationale et de sécurité de Berlin. Pour Scholz, cette guerre a confirmé que l’Allemagne, en matière de défense, ne peut pas se passer des Etats-Unis. Pour Macron, au contraire, elle a rendu encore plus urgent le renforcement de la souveraineté stratégique de l’Europe. En cela, la guerre a eu tendance à conforter l’Allemagne et la France dans les positions qui étaient déjà traditionnellement les leurs. »

    Côté allemand, la primauté accordée à la relation transatlantique s’est traduite à plusieurs niveaux. D’abord par le souci constant de prendre toute décision importante en coordination avec les Etats-Unis : ce fut le cas, en janvier 2023, quand Olaf Scholz a attendu que Joe Biden décide de fournir des chars Abrams à l’Ukraine pour se résoudre à envoyer des chars Leopard 2. Sur le plan diplomatique, les atermoiements du chancelier à propos des chars ont pourtant été coûteux pour l’Allemagne, suscitant de vives tensions avec Kiev, ainsi qu’avec plusieurs pays européens, dont la Pologne, qui avaient besoin du feu vert de Berlin pour envoyer en Ukraine leurs propres chars Leopard 2 – ceux-ci étant de fabrication allemande.

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    Trois mois plus tôt, une autre initiative d’Olaf Scholz, témoignant du même tropisme transatlantique, avait ulcéré Emmanuel Macron : l’annonce de la mise en place, au sein de l’OTAN, d’un bouclier antimissile (European Sky Shield Initiative), réunissant dix-sept pays européens, dont quinze membres de l’Alliance, soucieux de muscler leur protection aérienne en acquérant du matériel américain et israélien. La France – ainsi que la Pologne – a refusé de se joindre au projet. Pour Paris, un tel instrument risque en effet d’inciter les Russes à relancer une forme de course aux armements, y compris stratégique. Vue de l’Elysée, la priorité est aussi de développer des équipements européens, plutôt que de se fournir auprès d’alliés non continentaux.

    A l’inverse, Berlin met en avant l’urgence de la situation pour justifier les achats sur étagère de matériels existants, à l’instar des trente-cinq avions de chasse F-35, de fabrication américaine, dont l’Allemagne a annoncé l’acquisition en mars 2022. Quelques jours après la déclaration d’Olaf Scholz sur la création d’un « fonds spécial » de 100 milliards d’euros pour moderniser la Bundeswehr en réaction à l’invasion de l’Ukraine, cette commande de matériel américain d’un montant de plus de 10 milliards d’euros avait été interprétée, à Paris, comme un signe du peu d’appétence de l’Allemagne pour construire une Europe de la défense.

    Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, quittant la chancellerie, après une réunion à Berlin, le 16 février 2024.
    Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, quittant la chancellerie, après une réunion à Berlin, le 16 février 2024. MARKUS SCHREIBER / AP

    « L’outil militaire allemand est apparu très déficient à la lumière du conflit, après trente années de sous-financement. Depuis 2022, il connaît une réorganisation profonde, qui surprend les analystes par sa rapidité et s’accompagne d’une volonté de prise du pouvoir sur les questions de défense dans la prochaine Commission qui sera mise en place à Bruxelles, après les élections européennes de juin », constate Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales.

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    La coloration très transatlantique et fort peu européenne de la Zeitenwende (« changement d’époque »), actée par Olaf Scholz trois jours après le début de la guerre en Ukraine, ne suffit pas à expliquer le malentendu creusé avec la France. Avec la décision prise par le chancelier de réinvestir dans le domaine de la défense, c’est l’équilibre du tandem franco-allemand qui est brisé. « Avant la guerre, il existait une division implicite du travail entre la France et l’Allemagne dans le monde : Berlin assurait le leadership économique, Paris avait la prééminence sur les questions internationales et sécuritaires », analysent plusieurs sources françaises. « Ce pacte implicite est remis en cause, car Scholz a décidé d’investir les deux champs, ce qui est, au fond, inacceptable pour les Français, précise l’une. Sur le bouclier antimissile Sky Shield, l’annonce publique de Scholz, sans aucune consultation préalable, a illustré la volonté des Allemands de venir dans notre couloir de nage. C’est un pied de nez total ; Scholz ne dit rien et avance seul. »

    Bataille de leadership

    En déclenchant une bataille de leadership sur un terrain – la défense – où la France, depuis plus d’un demi-siècle, n’était plus habituée à voir l’Allemagne comme un partenaire de son niveau, la guerre en Ukraine a aussi révélé les profondes différences qui existent entre les deux pays en ce qui concerne la culture stratégique. De ce point de vue, il n’est pas étonnant que celles-ci aient éclaté au grand jour à la faveur du débat ouvert par Emmanuel Macron sur la possibilité d’envoyer des troupes au sol en Ukraine.

    A l’Elysée, on explique qu’il s’agit là de restaurer l’« ambiguïté stratégique » des Occidentaux. Après l’échec de la contre-offensive ukrainienne de 2023, le président français pense que promettre des dizaines de milliards d’euros d’aide et livrer – avec retard – du matériel militaire à Kiev ne suffit plus. Surtout si Vladimir Poutine est persuadé que les Occidentaux excluent à tout jamais de mobiliser leurs forces. Dans la mesure où Moscou poursuit son offensive et s’en prend chaque jour davantage aux alliés de l’Ukraine, multipliant les cyberattaques et la désinformation, M. Macron considère qu’il est grand temps de durcir le ton.

    Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et le président français, Emmanuel Macron, lors de la signature de l’accord bilatéral entre la France et l’Ukraine, au palais de l’Elysée, à Paris, le 16 février 2024.
    Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et le président français, Emmanuel Macron, lors de la signature de l’accord bilatéral entre la France et l’Ukraine, au palais de l’Elysée, à Paris, le 16 février 2024. CYRIL BITTON / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

    L’Allemagne, au contraire, n’entend pas brandir la menace d’un engagement sur le sol ukrainien, afin de ne pas enclencher une escalade dangereuse avec le Kremlin. Telle est la raison avancée par Olaf Scholz, le matin même de la conférence de soutien à l’Ukraine, pour justifier son refus de livrer des missiles Taurus aux forces de Kiev. Leur maniement, a-t-il expliqué, nécessiterait la présence de soldats de la Bundeswehr, risquant alors de mettre l’Allemagne en position de kriegspartei, autrement dit de belligérante. Elle tient au mantra répété depuis le premier jour de l’invasion par les alliés de l’Ukraine – les Etats-Unis au premier chef –, qui refusent d’intervenir au sol pour ne pas précipiter une guerre ouverte entre l’OTAN et la Russie, puissance dotée de l’arme nucléaire.

    « L’Allemagne monte en puissance en matière stratégique, sans en avoir la culture et les outils », veut croire un haut fonctionnaire français, spécialiste des questions continentales : sous-entendu, au sein de l’Union européenne (UE), la France est la seule, depuis le Brexit, à disposer d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Elle est surtout la seule à posséder l’arme nucléaire. A ce sujet, l’offre faite par Emmanuel Macron de mettre en partage, au niveau européen, la force de frappe française suscite une grande indifférence de la part du chancelier Scholz, très attaché à la dissuasion américaine. « L’Allemagne reconnaît qu’elle a peur d’une escalade, tandis que la France veut donner le sentiment qu’elle n’a pas peur », résume un diplomate, selon lequel le président Macron aurait d’ailleurs voulu signifier à M. Scholz que leurs deux pays ne jouent pas dans la même catégorie depuis les frictions apparues, ces derniers mois, au sujet des livraisons d’armes à l’Ukraine.

    Dans ce domaine, c’est Berlin qui dame désormais le pion à Paris. L’Allemagne promet cette année de fournir quelque 8 milliards d’euros d’armement à l’Ukraine, et, ces dernières semaines, M. Scholz n’a pas manqué de faire la leçon à ses partenaires européens pour qu’ils augmentent sensiblement le volume de leurs aides. Selon Mme Major, ce changement de discours est à mettre en rapport avec la crainte de voir l’Ukraine perdre, et de voir se refermer le parapluie américain, qui protège l’Europe occidentale depuis la guerre froide, en cas de victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine de novembre. « Scholz, qui a beaucoup investi dans sa relation avec Joe Biden, semble commencer à comprendre que les Européens ont intérêt à se prendre en main si Trump revient à la Maison Blanche, note la spécialiste des questions de défense. Très clairement, il cherche à partager la responsabilité et à se positionner en leader vis-à-vis de ses partenaires européens, ce qui est relativement nouveau comme posture. »

    Après les Etats-Unis, l’Allemagne est devenue la deuxième source d’approvisionnement de l’Ukraine. Elle a aussi poussé la France à accroître son effort ces derniers mois, en la sommant de faire preuve de transparence sur le montant de son soutien. « Je suis content de voir que la France se demande comment aider davantage l’Ukraine, mais si je peux lui donner un conseil, ce serait de faire tout le nécessaire maintenant et de livrer le plus vite possible les munitions et les chars dont le pays a besoin », a d’ailleurs observé le ministre de l’économie allemand, Robert Habeck. A Paris, on considère n’avoir jamais failli aux demandes ukrainiennes et avoir toujours livré à temps les équipements agréés avec Volodymyr Zelensky. Sans hésiter à sous-entendre, ou à dire explicitement, que ce n’est pas toujours le cas du Royaume-Uni et de l’Allemagne.

    Le chancelier allemand, Olaf Scholz, sur un canon antiaérien Gepard, en compagnie du responsable de la formation pour les soldats ukrainiens, Juergen Schoch (à droite), chez le fabricant d’armes Krauss-Maffei Wegmann, près d’Oldenburg (Allemagne), le 25 août 2022.
    Le chancelier allemand, Olaf Scholz, sur un canon antiaérien Gepard, en compagnie du responsable de la formation pour les soldats ukrainiens, Juergen Schoch (à droite), chez le fabricant d’armes Krauss-Maffei Wegmann, près d’Oldenburg (Allemagne), le 25 août 2022. AXEL HEIMKEN / AFP

    Difficile changement de mentalité

    « Le changement d’époque acté par Scholz ne s’est pas encore accompagné d’un véritable changement de mentalité. L’Allemagne aide beaucoup l’Ukraine, c’est incontestable, explique Mme Major. Elle modernise son armée, mais les Allemands ont beaucoup de mal à admettre que le monde a changé, que la guerre est de retour et qu’il faut de nouveau l’envisager comme une possibilité pour eux-mêmes. Au vu de leur histoire, c’est très difficile à accepter. » En particulier pour le cœur de l’électorat du Parti social-démocrate (SPD) d’Olaf Scholz, de sensibilité profondément pacifiste et qui reste marqué par des décennies d’une politique de la main tendue en direction de Moscou.

    « Scholz est tellement fragilisé sur le plan politique qu’il ne peut pas se permettre de perdre les 20 % ou 30 % de ses électeurs qui, quoi qu’il arrive, diront toujours non à une politique de militarisation, explique le politologue Joseph de Weck, chroniqueur à la revue allemande Internationale Politik QuarterlyIl ne veut surtout pas prendre le risque d’apparaître comme un Kriegstreiber, un “va-t-en-guerre”, car il sait que cela le tuerait politiquement. »

    Naturellement prudent, le chancelier allemand ne peut qu’être incité à l’être davantage, à trois mois des élections européennes, à six mois de scrutins régionaux dans trois Länder de l’ex-Allemagne de l’Est – où une partie importante de la population reste très opposée à toute politique de confrontation avec la Russie – et à moins d’un an et demi des législatives. « Scholz est complètement coincé politiquement, à cause de toutes ces élections, et s’il veut avoir une petite chance d’être réélu en 2025, ce qui, pour l’instant, paraît très peu probable, il ne va certainement pas se mettre à dos un SPD qui n’est plus qu’à 15 % dans les sondages [dix points de moins que son score aux législatives de 2021], analyse M. de Weck. En France, la présidentielle est en 2027, et Macron ne peut pas se représenter, ce qui lui donne plus de liberté. En outre, le débat sur la politique étrangère et la défense est beaucoup moins fort en France qu’en Allemagne. »

    Plusieurs responsables politiques allemands observent avec consternation les crispations actuelles entre Paris et Berlin. « Je ne me rappelle pas que leur relation ait été aussi mauvaise depuis que je fais de la politique, s’est ému le député chrétien-démocrate Norbert Röttgen, ancien président de la commission des affaires du Bundestag, sur X, le 27 février. Est-elle encore réparable avec le tandem Scholz et Macron ? Je ne sais pas, mais ils doivent au moins essayer tous les deux. Il y a une guerre en Europe. »

    « Un large consensus sur l’essentiel »

    Pour le député Nils Schmid, porte-parole du groupe SPD pour les questions de politique étrangère, ce diagnostic est très exagéré. « Depuis le début de la guerre [en Ukraine], la France et l’Allemagne ne sont évidemment pas d’accord sur tout, mais il y a tout de même un large consensus sur l’essentiel, notamment sur la nécessité de se coordonner pour accélérer la fabrication de munitions ou sur l’aide de 50 milliards d’euros de l’Union européenne à l’Ukraine, relativise le député, également coprésident du bureau de l’Assemblée parlementaire franco-allemande. Il y a aussi des convergences nouvelles, par exemple sur l’adhésion des Balkans occidentaux à l’UE, où la France s’est rapprochée de la position allemande. »

    « Après, il faut que chacun comprenne et respecte l’autre, poursuit-il. D’un côté, il y a un président toujours en mouvement, qui aime bousculer et lancer des idées, sans forcément que ça débouche sur quelque chose. De l’autre, un chancelier prudent qui vit avec les contraintes d’un régime parlementaire où les décisions sont plus lentes à prendre, et qui a le souci d’avoir toujours avec lui la population, dont les mentalités ne peuvent pas changer du jour au lendemain. »

    Spécialiste des questions de défense au Conseil européen pour les relations internationales, Ulrike Franke n’est pas surprise des désaccords qui s’étalent au grand jour ces temps-ci : « Tout le monde sait qu’il y a d’énormes différences de vision stratégique entre la France et l’Allemagne, relève la chercheuse. Ce qui change avec la guerre, c’est que les divergences qui étaient jusque-là théoriques peuvent déboucher sur des choix politiques différents. Mais il ne faut pas non plus surinterpréter les désaccords. Dans le débat sur les troupes au sol, Macron a bien précisé qu’il ne pensait pas à des soldats combattants. Alors certes, c’est déjà trop pour les Allemands, mais ça ne doit pas faire oublier que, sur l’évaluation du danger que constitue la Russie, les deux pays sont globalement d’accord. »

    De ce point de vue, les discours prononcés, à vingt-quatre heures d’intervalle, par Emmanuel Macron, le 16 février, à Paris, et par Olaf Scholz, le lendemain, à Munich, ont témoigné d’une très nette évolution des deux hommes. Le jour même de l’annonce du décès, en prison, de l’opposant russe Alexeï Navalny, le premier a affirmé que « la Russie de Vladimir Poutine est devenue un acteur méthodique de la déstabilisation du monde », le second que « la menace russe est réelle » et que « chaque kilomètre carré de territoire d’un pays de l’OTAN serait défendu par l’ensemble de l’Alliance » en cas d’attaque lancée par Moscou.

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    Il n’empêche. La déclaration du chancelier, le 26 février, révélant la présence de soldats britanniques et français en Ukraine, pour y déployer des missiles de longue portée Scalp et Storm Shadow, a stupéfié ses proches alliés. A Londres, l’ancien ministre de la défense Ben Wallace a jugé qu’Olaf Scholz est le « mauvais homme, au mauvais poste, au mauvais moment ». A Paris, personne n’a fait le moindre commentaire officiel, mais les propos ont fortement agacé.

    Les deux hommes peuvent chacun puiser dans l’histoire tragique de leur pays pour étayer leur position. « Olaf Scholz veut éviter un enchaînement fatal, analogue à celui qui mena à la guerre de 14-18 », observe un diplomate, tandis qu’Emmanuel Macron met en avant le sombre souvenir des accords de Munich, en septembre 1938, avec l’Allemagne nazie – prélude au démantèlement de la Tchécoslovaquie – pour justifier son soutien « indéfectible » à Kiev.

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