Commentary on Political Economy

Saturday 9 March 2024

 Le rapprochement avec les pays d’Europe centrale et orientale est primordial dans le cadre du soutien à Kiev

Si l’accélération de l’aide à l’Ukraine et les propos d’Emmanuel Macron sur l’envoi de troupes ont rassuré les pays du flanc est de l’Europe, Paris doit intensifier sa relation avec eux, estiment trois analystes du cercle de réflexion Euro Créative

Trois Analystes Du Cercle De Réflexion Euro Créative

Dans son discours de Bratislava, en mai 2023, Emmanuel Macron entamait un processus de rapprochement avec les pays d’Europe centrale d’une portée historique. Ses mots lors de la conférence de Paris sur le soutien à l’Ukraine, puis lors de son déplacement à Prague le 5 mars, confirment ce tournant de la politique étrangère française et permettent au président de prendre une nouvelle stature en Europe centrale et orientale. Une région dont certains pays, comme la Pologne ou les Etats baltes, sont directement menacés par la Russie.

Si le mea culpa d’Emmanuel Macron sur le fait que la France aurait dû plus écouter ces pays plutôt que de leur demander de « se taire », comme l’avait fait Jacques Chirac, a bien été entendu, des reproches quant aux positions ambiguës de la France vis-à-vis de la Russie et son manque de soutien militaire à l’Ukraine persistaient dans la région et empêchaient la France de prétendre à l’incarnation d’un leadership européen.

L’accélération de l’aide militaire française à Kiev et les discours récents du président de la République appelant les Européens à un « sursaut stratégique », à ne pas être « lâches » face à une puissance russe devenue « inarrêtable », à contrer l’« esprit de défaite » et à ne pas exclure l’envoi de troupes au sol en Ukraine, ont depuis marqué les esprits dans les pays du flanc est de l’Europe. La clarté d’Emmanuel Macron, qui affirme désormais qu’une défaite de la Russie est « indispensable », tranche avec l’ambiguïté du début de la guerre, où il souhaitait « ne pas humilier la Russie », et rassure les pays d’Europe centrale et orientale.

Les turpitudes et les hésitations du chancelier allemand, Olaf Scholz, dans l’aide militaire à l’Ukraine (notamment pour la livraison des Taurus), couplées à la potentielle réélection de Donald Trump et à de fortes turbulences à venir pour l’alliance militaire euro-atlantique, font apparaître la France comme un acteur indispensable de la sécurité européenne. Un rôle que Paris accepte naturellement. Le retour, fin 2023, au pouvoir d’une coalition pro-européenne en Pologne, véritable leader régional et pays moteur dans l’aide à l’Ukraine, marque le momemtum politique dont la France doit se saisir pour ancrer son rapprochement avec les pays d’Europe centrale et orientale dans la durée et en profondeur.

Ce rapprochement avec les pays de cette région, « entre mer Baltique et mer Noire », est primordial pour le projet européen défendu par le président de la République et surtout dans le cadre du soutien militaire à l’Ukraine. La France ne peut assumer seule le « sursaut stratégique » auquel elle appelle, ni le passage à une économie de guerre. Elle a besoin d’embarquer d’autres pays européens avec elle.

Posture dissuasive

Cet alignement entre perspectives françaises et besoins stratégiques centre et est-européens semble aussi concerner l’autonomie stratégique européenne, promue par Emmanuel Macron. L’un des sujets majeurs est la sécurité énergétique, notamment le nucléaire civil. Les Tchèques sont proches de signer un accord avec la France pour la construction d’EPR, et la Pologne pourrait lui emboîter le pas. Des pays comme la Hongrie et la Bulgarie se disent également intéressés par la solution française. Il en va de même pour l’industrie de défense, où la France peut convaincre les pays concernés de bâtir de véritables capacités européennes dans ce domaine si elle s’affirme comme un partenaire de sécurité plus crédible.

Cette intensification des relations économiques et l’accroissement des coopérations industrielles et militaires avec les pays de cette région sont aussi nécessaires pour « passer des paroles aux actes » et renforcer la « communauté de vues et d’ambitions » défendue par la France. Si les derniers discours et mots du président de la République ont été bien reçus par les opinions publiques de ces pays, il reste encore du chemin pour augmenter la crédibilité de la France en Europe centrale et orientale et s’affirmer en leader du renforcement des capacités de défense européenne.

Le renforcement de la posture dissuasive et défensive de l’OTAN sur le flanc oriental de l’UE est primordial. La France prend sa part avec la mission de police du ciel dans les Etats baltes et, en Roumanie, avec la mission « Aigle » déployée à l’été 2022, mais pourrait désormais bien plus s’investir dans l’espace sécuritaire de la mer Noire.

Aussi la France doit-elle continuer d’accroître son aide militaire à l’Ukraine et remonter dans les classements, notamment celui établi par le Kiel Institute, dont l’influence peut être redoutable dans les représentations et les réflexions des décideurs politiques et des observateurs européens. C’est ce passage des paroles aux actes, des déclarations d’amour aux preuves d’amour, qui rapprochera réellement la France des pays d’Europe centrale et orientale.

Aurélien Duchêne est chargé d’études chez Euro Créative, cercle de réflexion sur les pays d’Europe centrale et orientale ; Arthur Kenigsberg est président fondateur d’Euro Créative ; Romain Le Quiniou est directeur général d’Euro Créative

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