Commentary on Political Economy

Saturday 9 March 2024

 L’OTAN renoue avec les manœuvres militaires d’ampleur

L’exercice Steadfast Defender 24 , le plus important depuis la fin de la guerre froide, mobilise quelque 90 000 hommes de 32 pays

Cédric Pietralunga

KORZENIEWO (POLOGNE)-envoyé spécial

L’Alliance atlantique ne se cache plus. Après trois décennies passées à réduire la voilure en matière militaire, à la suite de la chute du mur de Berlin en 1989 et après la dislocation de l’Union soviétique deux ans plus tard, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) s’est décidée à doper ses capacités, afin de répondre à l’« opération militaire spéciale » lancée par la Russie en Ukraine et aux menaces proférées par son président, Vladimir Poutine, à l’égard des pays situés sur le flanc oriental de l’Europe.

Le 24 janvier, l’OTAN a lancé Steadfast Defender 24, sa plus importante série d’exercices militaires en Europe depuis la fin de la guerre froide. Prévues pour durer jusqu’au 31 mai, ces manœuvres XXL mobilisent quelque 90 000 hommes venus de 32 pays et pas moins de 1 100 véhicules blindés, dont 166 chars de combat. Les exercices se déroulent principalement dans les plaines de Pologne et de Norvège, mais aussi en Allemagne, dans les pays baltes, en Roumanie, en Finlande, en Slovaquie, en Grèce ou encore en Suède.

« C’est notre plus important déploiement depuis l’exercice Reforger en 1988, dans lequel 125 000 hommes avaient été engagés », assure le général américain Randolph Staudenraus, responsable des opérations du commandement militaire de l’OTAN à Brunssum (Pays-Bas), venu le 4 mars près de Gdansk, en Pologne, pour superviser l’un des deux principaux exercices terrestres de la séquence, appelé « Dragon 24 ».

Steadfast Defender 24 est aussi la première mise en œuvre des nouveaux plans de défense de l’OTAN, décidés après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et adoptés lors de son sommet qui s’est tenu à Vilnius, en juillet 2023.

« Monter en gamme »

Jusqu’ici réticents à cibler explicitement la Russie, les responsables militaires de l’OTAN n’hésitent plus, dans leurs scénarios, à désigner Moscou comme l’ennemi à combattre. Pour Dragon 24, l’objectif assigné aux troupes était de se déplacer le plus rapidement possible de l’ouest de l’Europe à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, afin d’empêcher une force ennemie de pénétrer sur le territoire de l’Alliance. Un scénario auquel les forces de l’OTAN pourraient être confrontées en cas de tentative de Moscou de prise du corridor de Suwalki, le couloir qui relie l’enclave de Kaliningrad au territoire russe et sépare les pays baltes de la Pologne.

« Le risque le plus élevé auquel nous avons à faire face aujourd’hui est celui d’un conflit majeur en Europe, confirme le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, venu observer le 5 mars le déploiement des sept cents soldats et douze chars Leclerc français impliqués dans l’exercice Dragon 24. La Russie a construit des forces puissantes et a la volonté de les employer pour faire plier ses adversaires (…). Elle est aujourd’hui très concentrée sur l’Ukraine et il est difficile d’évaluer son temps de régénération. Cela peut être très rapide, deux à trois ans, ou plus lent. Il nous faut utiliser ce temps pour nous préparer et monter en gamme. »

Pour les spécialistes, ces manœuvres n’ont rien d’un exercice factice, à la différence de ceux qui sont effectués « sur table », et s’avèrent souvent riches d’enseignements. Ces exercices « sont indispensables pour voir réellement les contraintes auxquelles les troupes seront confrontées en cas de déploiement d’envergure, ce que les militaires appellent les “frictions”, explique Camille Grand, ancien secrétaire général adjoint de l’OTAN et actuel directeur des études de défense au Conseil européen pour les relations internationales. Cela permet de voir si les plans fonctionnent vraiment, de révéler les faiblesses éventuelles. »

Lors de Dragon 24, les forces françaises ont ainsi dû traverser la Vistule, fleuve polonais large de plus de 300 mètres animé de forts courants, sur des barges motorisées. Un exercice qu’ils ne pratiquent pas à une telle échelle en France, où les franchissements se font sur des « coupures humides » plus modestes et dans des configurations d’exercice connues.

« L’armée française est polyvalente, mais cette polyvalence se traduit par moins d’acuité sur certains segments. Il nous faut redécouvrir certains savoir-faire, comme l’embarquement sur les trains, l’organisation de la logistique sur des lignes très étendues, l’intégration avec des alliés dans des dispositifs sur le terrain…  », énumère le général Schill.

Outre une meilleure préparation opérationnelle, ces exercices permettent également d’envoyer un message à ses compétiteurs, affirment les militaires. « Les exercices d’ampleur ont une fonction de signalement stratégique essentielle, explique Camille Grand. On montre à l’adversaire ce qu’on est capable de faire. »

Jusqu’en 2021, des observateurs russes étaient même invités à suivre les exercices de l’OTAN pour rapporter à Moscou ce dont les alliés étaient capables, et, inversement, des observateurs occidentaux suivaient les exercices russes d’ampleur équivalente, appelés « Zapad ». Ces échanges ont été interrompus quelques mois avant l’invasion russe de l’Ukraine mais chacun laisse les avions espions de l’autre s’approcher lors de ses exercices.

Décidée à occuper une place prépondérante dans l’architecture de défense de l’OTAN, à l’heure où les Etats-Unis donnent des signes de désengagement, la France entend prendre toute sa part dans ce « signalement stratégique ». L’armée de terre a prévu d’envoyer quatre mille hommes et cinquante chars de combat Leclerc en Roumanie au printemps 2025, lors de l’exercice Dacian Spring 25. Un déploiement d’une ampleur inédite depuis la guerre froide, là aussi. « Nous devons être capables de projeter une brigade complète et non plus seulement un bataillon si jamais il y avait une dégradation de la situation à l’est, estime le général Schill. Cet exercice va nous permettre de le démontrer. »

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