Commentary on Political Economy

Monday 7 March 2022

 

La guerre en Ukraine souligne l’urgence d’un réveil des démocraties

Derrière l’invasion russe, se joue une lutte entre deux modèles de société. Les régimes autocratiques gagnent du terrain au moment où Moscou espère instaurer un « nouveau monde ».

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Publié aujourd’hui à 01h53, mis à jour à 06h03 

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Analyse. Le sommet virtuel pour la démocratie convoqué par le président américain, Joe Biden, en décembre 2021 avait déçu. La liste des invités, parfois controversés, comme la platitude des propos échangés avaient conduit à classer parmi les fausses bonnes idées l’initiative avancée par le démocrate pendant la campagne présidentielle de 2020. Voilà pourtant que, trois mois plus tard, l’assaut brutal donné par le président russe, Vladimir Poutine, à un Etat souverain, l’Ukraine, après la tentation de son dépeçage, illustrée par la reconnaissance d’entités séparatistes par Moscou, lui donne un tout nouveau sens.

La séparation du monde en deux camps, celui des démocraties et celui des autocraties, se matérialise dramatiquement dans les bombardements à l’aveugle par l’armée russe des villes d’un pays qui n’a jamais menacé son puissant voisin. Le vibrant plaidoyer du président Volodymyr Zelensky en faveur d’une entrée de l’Ukraine au sein de l’Union européenne, mardi 1er mars, relativise d’ailleurs la question restée virtuelle de l’adhésion de son pays à une OTAN présentée comme expansionniste. Le déclencheur de l’éviction du président prorusse Viktor Ianoukovitch, en 2014, avait déjà été son opposition à un accord d’association avec les Européens.

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Derrière la guerre en cours se joue celle des modèles, et les Ukrainiens ont choisi, depuis longtemps, l’ensemble de normes qui régissent les démocraties. Celle de l’Ukraine est encore imparfaite, si on se fie à l’organisation américaine Freedom House, financée par l’Etat fédéral, mais c’est l’objectif qu’elle s’est fixé avec constance depuis plus d’une décennie, a voulu rappeler le président ukrainien.

« Viralité autocratique »

Il s’agit cependant d’un modèle sur la défensive, comme le rappellent régulièrement les états des lieux de la même institution américaine. Il a été en recul en 2021 pour la seizième année d’affilée, avec soixante pays ayant enregistré un déclin, au point que l’institut V-Dem, un autre observatoire, rattaché à l’université de Göteborg, en Suède, financé notamment par la Banque mondiale, parle désormais de « viralité autocratique ».

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Comme l’a estimé Emmanuel Macron, le mercredi 2 mars, dans son allocution sur la guerre en Ukraine, « la démocratie n’est plus considérée comme un régime incontestable, elle est remise en cause, sous nos yeux ». La conquête russe de l’Ukraine signifierait un nouveau recul.

La première phrase d’une dépêche prématurément publiée par l’agence russe RIA Novosti le 26 février, sur la foi d’un effondrement instantané de l’Ukraine, le confirme à sa manière. « Un nouveau monde naît sous nos yeux », commence ce texte boursoufflé d’ethnonationalisme. Tel est, en tout cas, le dessein russe, celui de refermer la parenthèse ouverte par l’effondrement de l’Union soviétique. D’autres puissances, à commencer par la Chine, s’inscrivent également dans la remise en cause des normes démocratiques.

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Certes, le vote de l’Assemblée générale des Nations unies, le 2 mars, montre que cette naissance reste à démontrer. La Russie n’y a été soutenue que par quatre régimes parias : la Biélorussie, la Corée du Nord, l’Erythrée et la Syrie. Le défi n’en est pas moins immense, car cette guerre contre les normes qui assurent l’équilibre, le pluralisme et l’équité au sein des Etats concerne aussi celles qui s’appliquent à l’architecture mondiale.

Qu’adviendra-t-il si une lecture tronquée de l’histoire peut servir à légitimer tous les aventurismes guerriers ? Emmanuel Macron a mis en cause, le 2 mars, « une lecture révisionniste de l’histoire de l’Europe, qui voudrait la renvoyer aux heures les plus sombres des empires, des invasions, des exterminations ». Le même terme avait été employé dans la vision stratégique américaine publiée en 2017 pour qualifier le revanchisme russe et chinois, comme si les injustices avérées ou fantasmées du passé en justifiaient de nouvelles.

Isolationnisme américain

La posture occidentale est d’autant plus délicate que des forces centripètes la minent en permanence. L’invasion de l’Ukraine a mis en évidence aux Etats-Unis l’existence d’un puissant courant isolationniste dont l’élection de Donald Trump, en 2016, avait été la première manifestation.

Relayée puissamment, chaque soir, par le polémiste de Fox News Tucker Carlson, cette tentation du repli continental américain, doublée d’un relativisme cynique face au drame ukrainien, rouvre la parenthèse que la victoire de 1945 et l’engagement massif des Etats-Unis dans la mise en place de mécanismes multilatéraux avaient refermée. Que se passerait-il au sein du camp des démocraties si cette aile républicaine revenait à la Maison Blanche en 2024 ?

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L’Europe elle-même n’est pas épargnée, comme en atteste l’activisme des thuriféraires du président russe comme de ceux qui font de l’OTAN, alliance intrinsèquement défensive, la cause de tous les maux ukrainiens. La vigueur de la réaction de l’Union européenne (UE), la mue allemande sur les questions de défense, voire de sécurité énergétique, qui s’opère à une vitesse que rien ne laissait deviner, constituent un motif d’espoir dans un paysage sinistré. En déplaçant le combat sur le terrain de l’efficacité, un souci maintes fois exprimé par Joe Biden, l’UE entend démontrer que son modèle n’a rien à envier sur ce point aux régimes verticaux.

Si le président des Etats-Unis maintient la réunion de chefs d’Etat et de gouvernement, prévue au printemps pour prendre la suite du sommet de décembre, qui avait surtout engendré la frustration, celle-ci pourrait symboliser un réveil des démocraties face aux périls qui les menacent. Il est grand temps qu’elles rompent avec le recroquevillement.

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