Commentary on Political Economy

Sunday 28 April 2024

ISLAM IS A RACIST AND SLAVIST RELIGION

 


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« M’barek Ben Zida »terracotta et céramique, (2018). M’BAREK BOUHCHICHI/ SELMA FERIANI GALLERY M’barek Bouhchichi est né en 1975 à Akka (sud-est du Maroc), il vit et travaille à Tahannaout, au sud de Marrakech. Titulaire d’un baccalauréat en arts plastiques, il enseigne l’art depuis les années 1990. Son travail repose sur la représentation et la perception du corps noir dans la société marocaine, notamment sur les mécanismes de discrimination à l’encontre des Berbères noirs du sud du pays. Dans « M’barek Ben Zida », il rend hommage au poète paysan noir de la ville de Tata, descendant d’esclave et pourfendeur des inégalités sociales et raciales. Bouhchichi a donné corps à celui qu’il reconnaît et revendique comme un prédécesseur et un allié, en sculptant une installation de plusieurs bustes du poète, gravant ainsi la mémoire dans la matière.

M’hamed Oualdi« Le racisme anti-Noirs au Maghreb est lié à la mémoire de l’esclavage »

L’historien analyse les différentes formes d’esclavage qui ont prévalu dans le monde arabo-musulman jusqu’à son abolition, à partir du XIXe siècle, sous la pression des colonialismes européens

Propos Recueillis Par Frédéric Bobin

ENTRETIEN

Professeur à Sciences Po, M’hamed Oualdi est historien, spécialiste du Maghreb moderne et contemporain. Auteur de travaux sur l’esclavage dans l’aire arabo-musulmane, il a notamment publié Esclaves et maîtres. Les mamelouks des beys de Tunis du XVIIe siècle aux années 1880 (Editions de la Sorbonne, 2011) et Un esclave entre deux empires. Une histoire transimpériale du Maghreb (Seuil, 2023). Il vient de signer L’Esclavage dans les mondes musulmans. Des premières traites aux traumatismes (Editions Amsterdam, 256 pages, 19 euros), qui décrit les diverses formes historiques d’asservissement et leurs legs contemporains.

Le racisme anti-Noirs au Maghreb, dont on a récemment vu des manifestations en Tunisie, est-il un héritage de l’esclavage dans les mondes musulmans ?

Il ne faut pas être schématique, ce racisme peut avoir plusieurs sources. En Tunisie, par exemple, les migrants subsahariens sont perçus et stigmatisés comme des gens convoitant les ressources des Tunisiens. Mais le lien entre racisme anti-Noirs au Maghreb et esclavage est bien sûr important. En témoigne la manière de qualifier, aujourd’hui encore, les Noirs en langue arabe avec des termes liés à l’esclavage, comme wusif, qui veut dire « domestique », mais qui a fini par désigner les Noirs.

Quelle est aujourd’hui la mémoire de l’esclavage dans ces pays ?

Cette interrogation sur la mémoire renvoie à la question du silence, du tabou et du trauma. A ce sujet, il faut éviter les constats paresseux : le silence et la gêne sont perceptibles mais, contrairement à ce que ressasse le cliché, ils ne sont pas absolus. Je cite un certain nombre de productions – des romans et des recherches en langues non européennes – qui démentent l’idée selon laquelle ce passé esclavagiste n’aurait suscité aucun intérêt dans les mondes musulmans. Certes, ces productions ne s’adressent pas au grand public – il ne s’agit pas de séries télévisées –, mais il y a bien un changement qui s’amorce dans ce domaine.

Au niveau institutionnel, cette mémoire est rare, mais elle existe. Deux pays se distinguent à cet égard. D’abord la Tunisie, où l’ancien président Béji Caïd Essebsi [2014-2019] avait institué, en 2019, une journée de célébration de l’abolition de l’esclavage [en 1846] dans le pays. Cette commémoration a perdu de sa force depuis les déclarations officielles hostiles aux migrants subsahariens qui ont déchaîné une vague de violences anti-Noirs. Ensuite le Qatar, qui n’a aboli l’esclavage qu’en 1952, mais où il existe, à Doha, un musée autour de cette mémoire aménagé dans la maison de Ben Jelmoodsz [un négrier du XIXe siècle].

Que dit l’islam au sujet de l’esclavage ?

Le Coran reconnaît l’esclavage comme une institution légitime. C’est un point fondamental et qui posera problème plus tard, au XIXe siècle, au moment de penser l’abolition de ce système. Les juristes musulmans ne pourront pas revenir sur ce principe. Ils devront notamment se limiter à statuer comme illégale l’appropriation d’esclaves musulmans ou convertis. D’un côté, le Coran considère l’esclavage comme une pratique légale. Les normes islamiques font de l’esclave à la fois un objet, qu’on peut louer ou vendre, et un être humain. De l’autre, ce même Coran mais aussi les hadiths [recueil des paroles et des actes du prophète Mahomet] – les deux sources du droit musulman – encouragent l’affranchissement et le bon traitement des esclaves.

En théorie, le droit islamique aurait donc dû améliorer la condition des esclaves et favoriser leur affranchissement. Mais les musulmans n’obéissent pas toujours aux textes, à leurs injonctions. Ce dévoiement s’est notamment observé dans l’asservissement d’hommes et de femmes noirs sur la seule base de la couleur de leur peau – alors même qu’ils étaient musulmans et que la loi islamique interdisait leur asservissement.

Vous distinguez trois formes historiques d’esclavage dans les mondes musulmans. La première est l’esclavage domestique. Quels en sont les ressorts ?

C’est une forme majeure, comme elle l’était déjà dans les mondes méditerranéens antiques. Dans une maison musulmane à Tunis, au début du XIXe siècle, on trouvait par exemple des hommes et des femmes noirs d’Afrique subsaharienne aux côtés de captifs européens enlevés en Méditerranée par des corsaires musulmans et des hommes et des femmes arrachés du Caucase. Il s’agissait presque d’un esclavage cosmopolite. Cela n’enlevait toutefois rien à la domination et aux violences infligées aux corps de ces hommes et de ces femmes.

Comme il s’agissait d’un esclavage domestique, les maîtres prétendaient au contraire bien traiter leurs esclaves. Ainsi est apparu, notamment au XIXe siècle en réponse aux pressions abolitionnistes venues d’Europe, le discours sur un esclavage prétendument « doux » comparé à l’esclavage des plantations issu de la traite atlantique. C’est un discours très problématique, longtemps et encore aujourd’hui utilisé par certains historiens pour minimiser la violence qui était exercée sur les esclaves.

Puis il y a eu l’esclavage militaire et administratif, également appelé « esclavage de cour », dont est issu le phénomène mamelouk…

L’esclavage administratif était déjà répandu chez les Grecs de l’Antiquité, dans l’Empire romain et dans l’Empire byzantin aussi. Les sociétés musulmanes l’ont perpétué. Il était lié d’une certaine manière à l’esclavage domestique. En effet, nombre des asservis qui sont devenus des dignitaires dans les gouvernements, des généraux d’armée ou – parmi les concubines – des mères de sultan, étaient originellement des esclaves domestiques. Le principe de cet esclavage de cour a consisté à aller chercher des êtres humains à l’extérieur du monde musulman, sur ses marches septentrionales : des Balkans à l’Asie centrale en passant par le Caucase. Des enfants, des garçons, y étaient enlevés ou achetés puis transférés dans des lieux de pouvoir islamiques pour être éduqués, convertis à l’islam et finalement promus aux plus hautes fonctions. Là est le « paradoxe mamelouk », ainsi qu’on l’a dénommé : des esclaves qui gouvernent des gens libres.

Comment l’expliquer ?

J’évoque dans le livre plusieurs hypothèses. Selon une première, avancée par des historiens du monde musulman médiéval, les souverains ne pouvaient pas faire confiance à leurs sujets. Promouvoir des esclaves permettait ainsi de pallier l’absence d’association des gens libres au pouvoir islamique. En somme, le phénomène mamelouk était le signe d’une séparation entre pouvoir et société qui pouvait expliquer, sur le temps long, l’autoritarisme dans les mondes musulmans. Je pense que cette hypothèse est un peu trop schématique. J’en avance pour ma part une seconde : les mamelouks permettaient d’enrichir les familles de leurs maîtres et de contrôler les successions dans ces mêmes familles. Et en tant qu’hommes puissants, ces mamelouks plaçaient sous leur dépendance des sujets libres et les associaient à l’exercice du pouvoir.

Quant à l’esclavage des plantations, quelle était son importance ?

On connaît mieux l’esclavage domestique et l’esclavage de gouvernement parce qu’ils étaient pratiqués dans les villes, lieux producteurs de sources écrites. L’esclavage agricolelui, s’est concentré dans les zones désertiques, celles des oasis. Là, les esclaves pouvaient représenter 30 %, 40 %, voire 50 % de la population, soit une proportion très élevée. L’esclavage de plantation prend surtout son essor au XIXe siècle. Un foyer très important fut Zanzibar, en Afrique de l’Est. Il était tenu par des investisseurs locaux du sud de la péninsule Arabique. Un autre cas d’esclavage de plantation s’est développé dans le califat de Sokoto [nord-ouest de l’actuel Nigeria]. Dans les deux cas, le nombre d’esclaves exploités est impressionnant, l’indice d’un capitalisme de plantation qui se développait au sein du monde musulman bien après son essor dans le monde atlantique.

Comment ces sociétés ont-elles vécu l’abolition de l’esclavage qui s’amorce à partir du milieu du XIXe siècle dans un contexte de pressions européennes ?

Depuis une trentaine d’années, les travaux des historiens ont permis de changer notre perception de ce qu’a été l’abolition de l’esclavage dans le monde musulman ottoman et dans les Indes. Les historiens avaient jusque-là surtout insisté sur l’œuvre abolitionniste britannique. Dès les années 1820-1830, les Britanniques font en effet pression pour la fermeture des marchés d’esclaves dans l’Empire ottoman, dans le sultanat du Maroc et dans le monde persan. Plus récemment, les historiens ont essayé de comprendre comment les musulmans ont, eux aussi, participé aux débats sur l’abolitionnisme. Ils ont montré que des savants musulmans et, au-delà, des populations s’étaient opposés à l’abolition de l’esclavage. Ces défenseurs du statu quo ne comprenaient pas pourquoi l’appropriation d’esclaves était décrétée illégale dans la seconde moitié du XIXe siècle par des souverains musulmans alors que le Coran reconnaissait l’esclavage. Les historiens ont surtout montré que certains savants musulmans avaient défendu l’abolition. Soit en reprenant des discours européens de liberté, soit en invoquant les textes islamiques eux-mêmes.

Un des arguments avancés était le suivant : pourquoi asservir des gens d’Afrique ou du Caucase qui sont déjà musulmans alors que c’est interdit en islam ? Il s’agit d’un point très important qui a été déjà pensé dès le XVIIe siècle, notamment par le savant africain Ahmed Baba, et qui est remobilisé au XIXe siècle. C’est dans ce contexte – auquel a participé la pression des Britanniques – que les choses ont vite évolué en Tunisie. Ahmed Bey, le gouverneur ottoman de la province de Tunis, ferme à partir de 1841 les marchés aux esclaves et empêche l’arrivée de ces derniers sur le territoire tunisien. Le processus aboutit à la libération d’esclaves en 1846, date perçue aujourd’hui en Tunisie comme celle de l’abolition de l’esclavage.

Pourquoi Ahmed Bey cède-t-il aux pressions britanniques ?

Trois raisons expliquent son choix. D’abord, il ne faut pas ignorer la part de conviction réelle chez lui. Ahmed Bey est sensible à la notion de soin à apporter aux esclaves. Il déplore que les propriétaires ne sachent plus traiter les esclaves selon les principes islamiques originels. En deuxième lieu, il y a eu un échange très intense sur ce sujet entre lui et le consul britannique à Tunis, Thomas Reade. Enfin, troisième point, son pragmatisme politique. Ahmed Bey comprend que les Britanniques et les Européens utilisent la question de l’esclavage pour avancer leurs pions et leur agenda. Plutôt que leur laisser la possibilité de s’ingérer, il préfère libérer les esclaves. Aussi je ne brosse pas un tableau idyllique des réformes d’Ahmed Bey. Mais il s’agit sans aucun doute d’un tournant, au moins en Afrique du Nord.

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