Commentary on Political Economy

Saturday 26 December 2020

 

Accord sur le Brexit : amer soulagement

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le commissaire européen Michel Barnier, lors de l’annonce d’un accord historique conclu entre le Royaume-Uni et l’Union, jeudi 24 décembre 2020, à Bruxelles.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le commissaire européen Michel Barnier, lors de l’annonce d’un accord historique conclu entre le Royaume-Uni et l’Union, jeudi 24 décembre 2020, à Bruxelles. Francisco Seco / AP

Editorial du « Monde ». Il était temps d’en finir. Quatre ans et demi après avoir choisi, par référendum, de quitter l’Union européenne, les Britanniques ont conclu avec leurs vingt-sept voisins un accord sur leurs relations économiques. Après avoir formellement quitté l’Union européenne (UE) le 31 janvier, Londres sortira de l’union douanière et du marché unique européens le 1er janvier 2021. Faute du « deal » annoncé dans la matinée du jeudi 24 décembre, les échanges, vitaux de part et d’autre, entre le Royaume-Uni et l’UE, auraient été frappés par des droits de douane.

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Quelque 300 000 emplois auraient été en danger outre-Manche, et de nombreux autres sur le continent. Les milliers de camions bloqués de part et d’autre de la Manche, après la décision européenne d’interrompre le trafic à la suite du signalement d’un nouveau variant de coronavirus par les Britanniques, donnent une idée de l’intensité des échanges et de la catastrophe qu’aurait constituée un « no deal » en alourdissant les formalités et en ralentissant le passage de la frontière.

Au fil des 1 500 pages du texte approuvé jeudi, un compromis a péniblement été dessiné, y compris sur la pêche, dossier politiquement sensible pour le Royaume-Uni comme pour la France. Un terrain d’entente a aussi été trouvé sur la question la plus lourde pour l’avenir, celle des conditions équitables de concurrence, où les Vingt-Sept redoutent un dumping britannique. Londres a obtenu la liberté de diverger des règles européennes et un mécanisme complexe d’arbitrage et de sanctions a été négocié. Seule l’expérience permettra d’en éprouver la solidité et la fiabilité.

Il aura fallu neuf mois de tortueuses négociations pour parvenir à trouver des règles minimales aptes à assurer la fluidité des échanges entre des partenaires qui, à l’inverse, avaient travaillé depuis des décennies à rapprocher leurs normes et leurs réglementations. A rebours de la classique négociation d’un accord commercial entre Etats, il s’agissait de dénouer les innombrables liens tissés au fil de quarante-sept ans d’un mariage de raison, où l’amour n’a jamais éclos. Un travail déprimant, s’agissant pour l’Europe de s’affaiblir en se délestant d’une partie conséquente d’elle-même, en l’occurrence un pays qui avait largement inspiré le marché unique qu’il désirait désormais quitter.

Il faut rendre un hommage particulier à Michel Barnier, chef des négociateurs de l’UE, pour l’énergie qu’il a déployée dans ces discussions harassantes, pour son flegme jamais pris en défaut, en dépit d’incessantes manœuvres de déstabilisation, pour le sens du collectif, dont il a fait preuve à chaque tentative de « diviser pour régner » et qui lui a permis de conserver la confiance de tous jusqu’au bout.

Configuration nouvelle

Dans cette épreuve, les Vingt-Sept ont, contre toute attente, manifesté une unité sans faille digne de tous les éloges. Dans cette négociation vitale pour l’avenir commun, la défense du marché unique a servi de principe unificateur. Il faut souhaiter que l’Union, libérée de la force d’inertie et d’opposition qu’exerçait Londres, saura profiter de cette configuration nouvelle pour accroître sa cohésion et renforcer son positionnement dans le monde. Le Brexit met en lumière la puissance que peuvent avoir les Vingt-Sept dans l’unité.

Le soulagement que procure la fin de ce divorce marathon ne peut faire oublier l’essentiel : manifestation du nationalisme anglais (les Ecossais et les Irlandais du Nord ont voté majoritairement contre), le Brexit est une erreur historique, résultat du pari hasardeux de l’ancien ministre conservateur David Cameron et des mensonges de démagogues comme Boris Johnson, qui a fait croire aux Britanniques qu’ils auraient « le beurre [le libre accès au marché européen] et l’argent du beurre [le retour à la pleine souveraineté] ». Quant à Theresa May, elle a aggravé la division du pays en optant pour un Brexit dur marqué par la sortie du marché unique, une formule plus dure que celle pour laquelle les électeurs pro-Brexit pensaient avoir voté en 2016.

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Le Covid-19 ayant imposé l’intervention de l’Etat, le projet ultralibéral des brexiters n’est même plus audible. Quant au soutien des cousins américains, prétendument acquis du temps de Donald Trump, il a disparu avec l’élection de Joe Biden. Décidé sur la foi de mensonges, le Brexit est un projet à contretemps de l’histoire, néfaste pour l’économie et porteur de frictions nouvelles. Les Européens, mais surtout les Britanniques, n’ont pas fini d’en payer le prix.

Le Monde

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