Commentary on Political Economy

Thursday 27 January 2022

 Crise ukrainienne : l’aide militaire mesurée des Occidentaux

Sur la base aérienne militaire de Dover, dans le Delaware, aux Etats-Unis, une cargaison d’armement à destination de l’Ukraine est vérifiée par un soldat, le 24 janvier 2022.

Sur la base aérienne militaire de Dover, dans le Delaware, aux Etats-Unis, une cargaison d’armement à destination de l’Ukraine est vérifiée par un soldat, le 24 janvier 2022. ROLAND BALIK / US AIR FORCE VIA AP

Faut-il envoyer des armes en Ukraine face au regain des tensions que fait peser, depuis trois mois, la Russie ? Alors que, en 2014-2015, il s’agissait de savoir si ce type de démarche aiderait à soutenir les autorités ukrainiennes confrontées aux rebelles séparatistes prorusses du Donbass, soutenus par Moscou, la question se pose aujourd’hui dans les mêmes termes. « Nous constatons la poursuite du renforcement militaire de la Russie en Ukraine et hors de ce pays », a affirmé, mercredi 26 janvier, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, en accusant le Kremlin d’utiliser « le prétexte d’exercices militaires pour ensuite lancer une attaque ».


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Un nouveau palier a été franchi dans l’escalade entre la Russie et les Occidentaux avec la multiplication, depuis la mi-janvier, d’annonces de renforts à destination de Kiev. L’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la République tchèque, la Pologne ou encore le Royaume-Uni ont tous assuré vouloir soutenir militairement l’Ukraine, notamment en lui livrant des armes. L’Espagne, le Danemark et les Pays-Bas ont également communiqué sur l’envoi de moyens maritimes ou aériens pour renforcer les capacités ordinaires de l’Alliance atlantique. Le Canada a, lui, préféré opter pour une aide financière de 120 millions de dollars (84 millions d’euros) et le déploiement d’une frégate en mer Noire, dans le cadre des missions de l’OTAN.


Vraies annonces ou trompe-l’œil ? Certains renforts annoncés dans le cadre de l’OTAN viennent en réalité combler des lacunes anciennes, comme l’envoi d’avions F-15 et F-16, destinés à la police du ciel des pays Baltes. Dans d’autres cas, des capitales entendent manifester leur soutien à l’Ukraine – non membre de l’OTAN –, mais ce qu’elles promettent nécessite encore une traduction concrète, ou aura des effets limités, voire risqués, sur le plan opérationnel.


La Lituanie a ainsi assuré qu’elle pourrait envoyer des missiles antiaériens Stinger, la République tchèque promet 4 000 obus d’artillerie, mais l’Estonie, elle, a vu sa proposition d’envoyer des obusiers gelée par l’Allemagne. Ces pièces, qui proviennent à l’origine de l’ex-RDA, ont ensuite transité par la Finlande : Tallinn ne peut donc les exporter sans l’accord d’Helsinki et de Berlin.


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Attitude rétive de l’Allemagne

L’attitude rétive de l’Allemagne à fournir des moyens militaires supplémentaires à l’Ukraine lui a valu d’être accusée, à Kiev, de complicité avec « l’agresseur ». Et la décision de Berlin, annoncée mercredi, d’envoyer malgré tout quelque 5 000 casques n’a pas calmé les critiques. « C’est une blague absolue, s’est emporté le maire de Kiev, Vitali Klitschko. Qu’est-ce que l’Allemagne va envoyer ensuite en soutien ? Des oreillers ? »


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A ce stade, le Royaume-Uni est le seul pays européen à avoir formellement expédié des équipements militaires, de l’armement léger, des armes antichars et des dragueurs de mines. Du matériel dont on ignore s’il correspond à des cessions ou à de simples contrats honorés, et présentés d’emblée comme « d’autodéfense ». De quoi ressusciter un vieux débat : en 2015, à la suite des hésitations de l’administration Obama sur la livraison d’armes offensives à Kiev, était apparue la notion inédite d’« armes létales défensives ». Celles-ci devaient permettre aux forces loyalistes ukrainiennes de se défendre, tout en répondant au feu.


L’Ukraine ne publie pas de liste des armes qui lui sont livrées. En revanche, elle n’oublie pas de remercier les pays contributeurs. Le 17 janvier, le ministre de la défense, Oleksii Reznikov, a ainsi salué avec enthousiasme la décision de Londres. Les Etats-Unis restent, néanmoins, le principal bailleur occidental de l’Ukraine sur le plan militaire, avec plus de 2,5 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) clairement fléchés depuis 2014 pour de « l’assistance sécuritaire ». Le 22 janvier, Washington a annoncé l’arrivée d’un premier avion-cargo avec, à bord, 90 tonnes « d’aide létale, y compris des munitions pour la ligne de front de défense de l’Ukraine », afin de « renforcer ses défenses face à l’agression croissante russe », selon un communiqué de l’ambassade américaine à Kiev.


Prudence française

Et la France ? A l’Elysée, lundi soir, on indiquait que l’Ukraine n’avait pas directement demandé des armes. En Ukraine, on assure pourtant avoir introduit une requête auprès de Paris à travers une « commission stratégique de défense » réunissant les deux pays, ainsi que par la voie diplomatique.


Comme d’autres pays, la France ne veut en réalité pas forcément afficher en grand son éventuel soutien en matière d’équipement militaire. « On est assez prudents sur les effets induits de la communication sur ce genre de sujet », concède une source proche du dossier. D’autant que ce soutien ne relève pas d’une aide en tant que telle, mais de contrats de vente ou de cessions d’armements qui, selon cette source, doivent passer par le circuit habituel de contrôle des exportations d’armement. Or, malgré le contexte actuel, Paris ne compte pas relâcher sa « vigilance habituelle » sur les contrats, indique la même source.


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Différents dossiers sont cependant à l’étude dans le cadre de demandes, pas forcément récentes, des autorités ukrainiennes. Depuis 2014, ces dernières modernisent une armée longtemps calquée sur le modèle et la doctrine russes. Le pays consacre aujourd’hui 4,1 % de son PIB à la défense, bien au-delà de la norme fixée à l’OTAN. Ses forces armées souffrent toutefois encore de lacunes majeures dans divers domaines, comme la défense aérienne et antimissile, les systèmes de guerre électronique, ou encore les équipements pour la marine.


Un patrouilleur français, fabriqué par la société Ocea, a par exemple été mis à l’eau début décembre 2021. C’est le premier d’une série de vingt, dans le cadre d’un contrat signé entre Paris et Kiev, en 2019. Il devrait rejoindre Odessa d’ici au printemps.


Une autre marque de soutien de la France passe par l’envoi en mer Noire, d’ici à avril, d’une partie de l’escorte aérienne et maritime du porte-avions Charles-de-Gaulle, qui doit repartir en mission début février. Dans le cadre de l’OTAN, Paris propose par ailleurs de renforcer les forces déjà présentes en Roumanie, comme l’a annoncé le chef de l’Etat lors de ses vœux aux armées, le 19 janvier. Jeudi, la ministre des armées, Florence Parly, était à Bucarest à ce sujet.


Renforcement de l’armée ukrainienne

L’Union européenne (UE), enfin, tente de ne pas apparaître trop en retrait sur son soutien à Kiev, même si le Coarm, groupement de contrôle des exportations d’armes conventionnelles, juge toujours que l’Ukraine reste une « destination sensible » qui doit, comme dix autres pays – dont la Russie –, faire l’objet d’une surveillance étroite.


Dans le cadre d’un nouveau dispositif devenu opérationnel en 2021, la Facilité européenne de paix (FEP), elle, a débloqué, en décembre 2021, 31 millions d’euros à destination de Kiev. Mais alors que cet instrument peut permettre l’envoi de matériel létal, l’UE n’évoque que des capacités de « résilience » (aide médicale, déminage…) ou des moyens « cyber », dont la nature n’est pas spécifiée.


Une réflexion est aussi en cours sur le déploiement d’une mission d’assistance et de formation de l’UE auprès de l’armée ukrainienne. L’OTAN a, pour sa part, déjà installé un centre d’entraînement à Lviv, dans l’ouest du pays.


Pour Kiev, l’intérêt d’une aide militaire occidentale est double. Elle sert d’abord à dissuader la Russie en augmentant le coût d’une nouvelle agression. « Plus l’armée ukrainienne est préparée, plus Poutine va réfléchir à deux fois avant d’envahir le pays », estime Alyona Getmanchouk, directrice du centre de réflexion New Europe Center. C’est également un argument politique : l’Ukraine peut montrer qu’elle n’est pas seule. « Plus encore que d’armes, nous avons besoin de ce soutien international », estime Yurii Kochevenko, directeur du Centre international de lutte contre la propagande russe, à Kiev.

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