Commentary on Political Economy

Sunday 2 January 2022

« La percée chinoise en Afrique a des effets délétères »

Tribune. La Chine est devenue, depuis le début de la décennie 2010, le premier partenaire commercial et le premier bâtisseur d’Afrique. Mais aussi son premier bailleur. Le vice-ministre du commerce extérieur chinois, Qian Keming, a indiqué, selon le quotidien sénégalais Le Soleil du 29 novembre, que, de janvier à septembre 2021, le commerce Chine-Afrique a atteint 185,2 milliards de dollars (164,05 milliards d’euros environ), en hausse de 38,2 % en glissement annuel.


Le total des prêts octroyés par la Chine aux pays subsahariens entre 2003 et 2019 s’est élevé à 131 milliards de dollars avec, cependant, une chute des investissements avant même la pandémie de Covid-19. De 35 milliards de dollars en 2013, ces investissements ont chuté à 30 milliards en 2015, 25 milliards en 2019 et 7 milliards en 2020. Ils se sont principalement orientés vers les pays producteurs de pétrole, de gaz et de matières minérales.


En 2021, les entreprises chinoises publiques ou privées sont présentes dans tous les domaines, de l’exploitation forestière à la banque en passant par l’énergie. Cette percée, qui a largement contribué à la croissance qu’a connue le continent entre 2000 et 2013, a cependant des effets délétères.


Entre 2000 et 2018, cinquante pays africains sur cinquante-quatre ont emprunté à la Chine 132 milliards de dollars, dont 80 % à la Exim Bank of China et à la China Development Bank (CDB), sous des formes diverses. En 2018, la Chine détenait près de 21 % des encours de la dette publique externe du continent, une grande partie de ces prêts finançant des infrastructures à la pertinence contestable.


Des moratoires

La Chine est ainsi le premier bailleur bilatéral de Djibouti, dont elle détient 58 % de la dette extérieure, de l’Angola (58 %), du Zimbabwe (54 %), de la Guinée (46 %), du Cameroun (45 %), de la République démocratique du Congo (43 %), de l’Ethiopie (42 %), de l’Ouganda (42 %) ou du Kenya (38 %). Au Kenya, la dette envers la Chine atteint 7 milliards de dollars, dont 3,5 milliards pour la seule ligne ferroviaire Nairobi-Mombasa. Le projet d’une cession à bail du port de Mombasa à la Chine, évoqué après la menace d’un défaut de paiement de la dette, a été pointé du doigt par l’auditeur national du pays, avant d’être démenti en

décembre 2018 par le gouvernement sous la pression de l’opinion.


Dès 2020, plusieurs pays africains se sont tournés vers le gouvernement chinois pour demander un moratoire, voire une annulation, d’une part de leur dette. Ainsi, l’Angola, dont la dette chinoise atteint environ 20 milliards de dollars, et le Kenya ont obtenu un moratoire, respectivement de trois ans et de six mois.


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L’artisanat minier africain, massivement informel, est, quant à lui, de plus en plus concurrencé par de petites entreprises minières chinoises qui pratiquent l’exploitation semi-mécanisée. Cette situation a entraîné des violences localisées, le sentiment antichinois grandissant dans les milieux populaires.


Ces problèmes spécifiques de la « Chinafrique » démontrent que la Chine « communiste », qui s’est longtemps présentée comme absoute de tout péché colonial et comme le meilleur appui des pays en développement, ne se différencie en rien des vieilles nations occidentales.


Eugène Berg est essayiste et professeur au Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS, Paris). Dernier ouvrage paru : « De l’ordre européen à l’ordre mondial »

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