Commentary on Political Economy

Wednesday 19 January 2022

KILL ALL THE BUTCHERS OF BEIJING, STARTING WITH THE RAT XI!

 

Pékin accélère sa politique des retours forcés

Wang Jingyu, (à droite), arrêté à Dubaï après avoir quitté la Chine en mai 2021, et sa fiancée, Wu Huan, dans une maison sécurisée, en Ukraine, le 30 juin. AP

Alors que le nombre de demandeurs d’asile chinois augmente, la traque des opposants à l’étranger s’intensifie

Sa petite fille est née quelques jours après l’enlèvement de son mari Ahmad Talip dans un poste de police de Dubaï, aussitôt suivi de son transfert à Abou Dhabi puis de sa déportation en Chine. Depuis ce 25 février 2018 fatidique, « je n’ai aucune nouvelle de lui », confie Amannisa Abdullah, une trentenaire ouïgoure qui vit désormais en Turquie.

« Lors de son dernier appel, il m’a annoncé qu’ils le forçaient à rentrer. “Vous devez rentrer. Vous partez.” C’est tout ce qui lui a été dit. Je suis allée au poste de police où on m’a répété de ne pas m’inquiéter. Au bureau de l’ONU. A celui d’Interpol. Là, j’ai supplié, j’ai pleuré en criant qu’ils allaient le tuer en Chine. Les gardes m’ont ordonné de ne pas revenir si je ne voulais pas être moi aussi déportée. »

La Chine accélère la traque de ses ressortissants. Les seules données officielles font état de 10 000 « fugitifs » ramenés de 120 pays depuis mi-2014. Selon Safeguard Defenders, qui publie un rapport d’enquête mardi 18 janvier, ce nombre n’est que « la face émergée de l’iceberg ». Surtout, « pour une vaste majorité des cibles, les retours procèdent de méthodes coercitives employant des moyens illégaux, souligne cette ONG suédoise. Le plus surprenant est que la Chine ne dissimule plus cette pratique clandestine. Elle a officiellement rendu publique la nécessité d’employer parfois des pratiques relevant de retours involontaires. »

Opération « Chasse au renard »

Tout a commencé par l’opération « Chasse au renard », lancée en 2014 pour ramener en Chine des nationaux accusés de corruption. Depuis 2015, elle fait partie d’un plan beaucoup plus large, « Sky Net ». Les donneurs d’ordre en sont le ministère de la sécurité publique, la commission centrale d’inspection disciplinaire (CCID) du Parti communiste chinois (PCC), et le parquet général. Ces acteurs œuvrent désormais sous l’autorité d’un organe non judiciaire, la « commission de supervision nationale », créée en 2018 par le président Xi Jinping.

Dans la gibecière des « chasseurs » glorifiés dans la presse d’Etat figurent les clients habituels de l’extradition légale, entrepreneurs corrompus, criminels et trafiquants. Mais il faut y ajouter des fonctionnaires en disgrâce, de simples critiques du PCC, et des activistes – opposants hongkongais, représentants des minorités ouïgoure et tibétaine, fidèles de l’église Falun Gong. Ils sont surtout recherchés aux Etats-Unis, en Australie, aux Emirats arabes unis et en Asie du Sud-Est.

Les retours forcés sont parfois spectaculaires. En 2017, le milliardaire Xiao Jianhua, citoyen du Canada, fut ainsi sorti par six hommes non identifiés d’un hôtel de luxe du pays, en chaise roulante et la tête cachée sous une couverture.

« Avec ces retours involontaires, la République populaire envoie le message suivant : aucun endroit n’est sûr ; fuir à l’étranger ne vous sauvera pas, il n’y a pas d’échappatoire », souligne l’ONG Safeguard Defenders. Le contexte est celui d’une forte augmentation du nombre des Chinois demandeurs d’asile à l’étranger depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping en 2012 : + 700 % selon les Nations unies, avec 110 000 demandeurs pour l’année 2020.

« Persuader [quelqu’un] de revenir est un travail idéologique et politique », dit la loi chinoise. La persuasion (quanfan) aurait permis de convaincre les trois quarts des « fugitifs » placés sur la liste des cent criminels les plus recherchés par des notices d’Interpol, en 2015. Mais la loi, comme l’a découvert Safeguard Defenders, mentionne aussi les « méthodes irrégulières », sous la forme d’un demi-aveu : « En pratique, le kidnapping, le piégeage et la capture sont rarement utilisés. »

Menaces, pression, kidnapping

Trois principales méthodes de coercition viennent ainsi contourner le cadre légal : les menaces de représailles contre les familles restées en Chine, la pression directe sur la cible par des agents chinois envoyés dans son pays de résidence, et le kidnapping pur et simple.

Des moyens complémentaires sont mobilisés : des cyberattaques, des entraves à l’obtention des documents d’immigration avec le concours des pays d’accueil, un détournement des notices rouges d’Interpol. Les données manquent sur ce dernier sujet, rappelle l’ONG, car très peu de notices sont publiques. Ces retours, de l’ordre d’une trentaine par an jusqu’en 2015, seraient passés à environ 600 en 2016, et « probablement plus de 1 200 par an ensuite ». Un ingénieur ouïgour, Yidiresi Aishan, a été arrêté dans ce cadre en juillet 2021 au Maroc, où il est toujours détenu et sous le coup d’une extradition.

Parfois le « fugitif » se voit proposer un deal : « On vous laisse tranquille à condition que vous espionniez la diaspora. » C’est ce dont témoigne Nigare Yusup, la femme du réfugié ouïgour Huseyin Imintohti, enlevé de Turquie en 2017 vers les Emirats arabes unis où il a disparu. Il n’est pas le seul dans cette situation, a déjà mis au jour Chen Yu-Jie, professeure assistante à l’Academia Sinica, à Taïwan.

L’ONG a scruté 80 affaires dans dix-huit pays pour son nouveau rapport. Les cas de pression sur des proches sont très nombreux. Pour s’être interrogé fin 2020 sur des sujets sensibles (les heurts à la frontière entre la Chine et l’Inde, ou le mouvement pro démocratie de Hongkong), Wang Jingyu a vu sa famille harcelée par la police de Chongqing à partir de début 2021. Ses parents ont perdu leur travail. Ce jeune homme de 21 ans, demandeur d’asile aux Pays-Bas, témoigne : « Un officier m’a envoyé un message disant que si je ne revenais pas dans les trois jours, il arriverait malheur à mes parents. D’autres membres de ma famille ont été persécutés par la police. Ils sont même allés à l’école primaire de mon petit-cousin pour lui dire que j’étais un traître et qu’il devrait m’appeler avec le téléphone de sa mère pour me dire de rentrer. »

L’envoi d’agents chinois, lui, est très utilisé en Asie du Sud-Est. Dès 2015, le site de la CCID mentionnait lui-même « plus de trente groupes envoyés en Thaïlande, Philippines, Malaisie, Vietnam, Laos, Birmanie, Indonésie et autres pays, qui ont attrapé 229 fugitifs ». En France, sans en avertir les autorités et hors du traité bilatéral d’extradition existant, de tels émissaires étaient venus en 2017 saisir Zheng Ning, ex-numéro deux du groupe chinois Zhongyin, l’un des leaders mondiaux du tissage de cachemire.

Dans la traque de Xu Ji, directeur du développement de la ville de Wuhan accusé de corruption, le régime a employé dix personnes aux Etats-Unis entre 2015 et 2018, dont Hu Ji, le chef d’équipe, parti de Wuhan, Zhu Feng, sorte de coordonnateur pour les opérations au New Jersey, ou encore Michael McMahon, un détective privé arrêté fin 2019 par le procureur de New York. Des poursuites sont en cours contre neuf « agents étrangers ». Ce qui n’empêche pas les Etats-Unis de coopérer avec la Chine dans d’autres cas.

« Nous devons protéger les personnes vulnérables sous peine de voir la Chine saper notre Etat de droit, en Europe, s’inquiète le sénateur tchèque Pavel Fischer, membre de l’Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC). Nous avons signé de bonne foi des accords d’extradition, avec Hongkong par exemple, qui sont devenus des trappes meurtrières. »

Complicité de certains pays

Quant aux enlèvements, Safeguard Defenders en a documenté vingt-deux dont dix-huit réussis (sept en Thaïlande, cinq aux Emirats arabes unis). Pris en 2015 à Bangkok, le dessinateur Jiang Yefei, accusé de subversion, serait toujours en prison à Chongqinq.

Tang Zhishun, lui, a dû attendre août 2021 pour retrouver sa famille aux Etats-Unis. Cet activiste, qui avait bataillé contre la démolition de sa maison à Pékin en 2004, a été kidnappé onze ans plus tard en Birmanie avec Xing Qinxian et de Bao Zhuxuan, jeune fils de l’avocat défenseur des droits de l’homme Wang Yu, alors en prison avec son épouse. Main dans la main, policiers chinois et birmans ont conduit Tang de force à la frontière – il restera jusqu’en 2016 en résidence surveillée en Chine.

Les Etats du Golfe prêtent particulièrement main-forte à Pékin. « En Arabie saoudite, plus de 1 000 Ouïgours sont en danger, et beaucoup sont tellement terrifiés qu’ils ne parlent même plus au téléphone », assure au Monde Ayub Abdullah, activiste réfugié en Norvège. « Le moyen de pression est le non-renouvellement de leur titre de séjour. Au moins soixante-neuf vivent avec des documents déjà expirés et deux d’entre eux sont menacés de façon imminente, à Djedda. »

Les polices égyptienne et émiratie ont arrêté et renvoyé de nombreux Ouïgours illégalement, rappelle l’ONG suédoise. En mai 2021, après des mois de pressions sur sa famille, le jeune Wang Jingyu a été arrêté à Dubaï pour « critique de l’islam ». Il a refusé de signer le document en arabe qu’il ne pouvait lire et qui aurait couvert son enlèvement vers la Chine. La mobilisation des médias occidentaux a fait le reste, et l’a conduit en Europe.

Le mari d’Amannisa, lui non plus « n’avait rien signé », assure son épouse. Mais cela n’a pas suffi. « Pars en Turquie », lui a-t-il ordonné lors de leur dernier échange en février 2018. « Le monde n’exerce pas assez de pression sur la Chine », estime aujourd’hui Amannisa, qui ne se « sent pas en sécurité ».

Ayub Abdullah confirme que la traque n’a pas faibli durant la pandémie de Covid-19 : « Il n’y a pas eu de pause. Depuis mars 2020, nous avons compté des arrestations en Turquie, au Maroc et en Arabie saoudite. » La Chine, malgré la fermeture de ses frontières, « continue d’envoyer des agents dans ces pays, et parmi les Ouïgours à l’étranger, la suspicion règne, car on ne sait plus qui est un espion et qui ne l’est pas », assure-t-il.

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