Commentary on Political Economy

Thursday 20 January 2022

 L’Assemblée nationale française adopte la résolution sur le « génocide » ouïgour

L’ Assemblée nationale, le 14 janvier 2022.

L’ Assemblée nationale, le 14 janvier 2022. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Par 169 voix pour, et 1 contre, l’Assemblée nationale française a adopté jeudi 20 janvier lors d’un scrutin public une résolution dénonçant « le génocide » en cours des Ouïgours, la minorité musulmane du Xinjiang persécutée par le régime communiste en Chine. En 2021, cinq chambres parlementaires en Europe ont déjà voté de tels textes (Belgique, Pays-Bas, République tchèque, Lituanie et Royaume-Uni). Une motion du groupe conservateur a aussi rassemblé les différentes sensibilités de la Chambre des communes au Canada. Aux Etats-Unis, c’est l’exécutif lui-même qui a endossé le terme de génocide.


Recours au travail forcé, surveillance généralisée, tortures, violences sexuelles, viols systématisés, internements de masse, politiques de stérilisation massive et forcée, de sinisation, d’éradication de la culture et de l’identité ouïgoures, séparation des enfants de leurs familles… En listant ces crimes, la résolution indique : « Ces éléments, désormais largement documentés (…), témoignent d’une intention de détruire l’identité, les liens communautaires ouïgours, les possibilités de filiation et les liens entre générations, et plus généralement de détruire les Ouïgours, y compris biologiquement, en tant que groupe à part entière. Ces violences politiques extrêmes et systématiques, organisées et planifiées par l’Etat chinois, sont constitutives d’un génocide. » Pékin qualifie systématiquement comme fausses ces accusations portées contre sa politique au Xinjiang, menée sous le couvert de l’antiterrorisme.


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Présenté dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire des élus socialistes, le texte n’avait pas été ouvert à la signature des autres groupes. Mais celui de la majorité présidentielle, La République en marche (LRM), avait appelé ses membres et ses soutiens (MoDem et Agir ensemble), à se prononcer en sa faveur. L’Etat français n’est pas engagé dans cette démarche et la résolution est fragile juridiquement, fait-on valoir à LRM, mais il s’agit « en votant pour, symboliquement, de manifester un accord sur le fond et de s’inscrire dans le mouvement des autres parlements européens qui ont adopté de telles résolutions ». Lors du vote, le président du groupe Christophe Castaner a évoqué « l’honneur » de la représentation nationale et remercié les socialistes pour leur initiative, priant ceux qui critiquent les actes du gouvernement de « ne pas déplacer les responsabilités ». Ce vote « réaffirme le combat de la France dans le monde, pour la défense des libertés fondamentales et des droits des individus », a estimé aussi la députée Fiona Lazaar.


« Il faut savoir dire les choses »

Dans l’opposition, les communistes se sont abstenus. « La dénonciation d’un génocide et d’un crime contre l’humanité n’appartient pas au législateur », a déclaré le député Jean-Paul Lecoq au nom du groupe. « Beaucoup de forces ont intérêt à faire de la Chine un Etat sanguinaire pour préparer la guerre économique », a-t-il encore argué.


La France insoumise dit « soutenir les Ouïgours contre le régime chinois coupable de crimes contre l’humanité » mais elle s’est également abstenue en estimant qu’il demeure un débat parmi les ONG et les universitaires sur la caractérisation d’un génocide. « Il s’agit d’une question juridique et politique », a indiqué Clémentine Autain. « Des députés vont voter ce texte et continuer de soutenir un gouvernement qui prend le thé avec les responsables du massacre ».


A droite, chez Les Républicains, la députée Constance Le Grip a évoqué « un rendez-vous avec l’histoire » en menant le débat en faveur du texte. « Il y a des moments de mobilisation où il faut savoir dire les choses, et nous demandons que soit reconnu le caractère génocidaire du massacre des Ouïgours », explique-t-elle. « Cette faculté donnée au Parlement de porter des textes de nature diplomatique, pour lancer de véritables messages, voire des admonestations, est très importante », avait expliqué la veille Mme Le Grip au Monde. La députée a cosigné une autre proposition, transpartisane celle-ci, portée depuis plusieurs mois par la députée d’opposition Frédérique Dumas du groupe Liberté et territoires. Ce texte qui avait la préférence du Modem évoque plus prudemment un « risque sérieux de génocide ». Il sera discuté le 4 février et devrait être adopté lui aussi.


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Plusieurs victimes de la répression, mais aussi le chercheur allemand Adrian Zenz, qui a récemment débusqué des documents chinois prouvant l’intention génocidaire du régime de Xi Jinping, sont venus à Paris, le 17 janvier, témoigner lors d’une conférence de presse organisée par les députés socialistes. « Le texte n’est pas l’apanage d’un groupe politique. Jeudi, chacun sera face à sa conscience », avait assuré Olivier Faure, en rendant hommage au travail mené en faveur des droits humains par son collègue Raphaël Glucksmann, au Parlement européen. Le député Cédric Villani (non inscrit) a assuré que « rien ne se passera sans rapport de force » sur le dossier ouïgour. M. Villani a admis s’être rendu moult fois en Chine, où il a toujours « été bien accueilli » et rappelé que son laboratoire de mathématiques « avait un partenariat avec Huawei ». Mais, a-t-il plaidé, « il est temps d’agir ».


« Nommer les crimes en cours au Xinjiang n’est plus une question taboue. Les choses ont énormément changé en un an », se félicite aussi, depuis la Belgique, Samuel Cogolati, député écologiste, qui fut, dans son pays, à l’initiative du vote reconnaissant le génocide – le texte avait reçu l’approbation de tous les groupes politiques, à l’exception des communistes qui se sont abstenus. « Face à la Chine, il faut arrêter de penser que c’est David contre Goliath. L’important pour les Européens, maintenant, est de dire que les droits humains priment, et d’agir. »

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