Commentary on Political Economy

Sunday 16 January 2022

 

L’Allemagne est prête à s’engager pour l’Europe

Le juriste et ancien haut fonctionnaire estime que la nouvelle coalition au pouvoir à Berlin peut donner l’impulsion vers un Etat fédéral européen

Le nouveau gouvernement allemand s’apprête à suivre un calendrier européen d’une portée considérable. L’accord de coalition s’est en effet engagé à mener la transformation de l’Union européenne (UE) en un « Etat fédéral ». Cela signifierait rien de moins que l’émergence des Etats-Unis d’Europe. Le contraste avec la prudence de la politique d’Angela Merkel est saisissant. Les gouvernements précédents ont piloté avec succès l’UE au travers d’une série de crises, mais n’ont jamais proposé un calendrier proactif de réformes à long terme pour l’Europe.

Le nouveau chancelier, Olaf Scholz, avait entonné la mélodie du « moment hamiltonien » alors qu’il était encore ministre des finances de Mme Merkel, à propos du programme Next Generation EU (NGEU), volumineux budget de l’Union européenne conçu en réponse à l’effondrement économique provoqué par la pandémie. S’exprimant avec enthousiasme devant le Parlement allemand, il avait déclaré qu’il s’agissait de l’amorce d’une union budgétaire européenne – déclaration remarquable de la part d’un ministre allemand des finances, et très significative de la façon dont, en Allemagne, le débat n’est plus soumis à la domination des faucons qui, depuis plus d’une décennie, accusaient nos partenaires européens d’insouciance budgétaire. Cette évolution vient s’ajouter à une réorientation plus générale du débat allemand sur la politique économique qui, comme le montre le récent rapprochement entre les Verts et les libéraux du FPD favorables au marché, semble de plus en plus dépasser les vieilles oppositions marché-Etat, économie-écologie ou croissance-redistribution.

Même s’il se présente comme farouchement pro-UE, on ne doit toutefois pas s’attendre à ce que le nouveau gouvernement opère un virage à 180 degrés sur les politiques budgétaire et économique. M. Scholz n’a rien d’un casse-cou, et les libéraux se considèrent comme l’élément rigoureux de la coalition tripartite, qui préserve l’héritage ordolibéral traditionnel. Pourtant, avec ce mix inédit de volonté affirmée de réformes et de reste de prudence budgétaire, l’Allemagne pourrait être en mesure de façonner l’agenda européen et de renforcer l’axe franco-allemand autour de quatre priorités.

Premièrement, la réforme des règles budgétaires en cours offre l’occasion d’instaurer un nouvel équilibre entre soutenabilité de la dette et marge de manœuvre pour la stabilisation. M. Scholz s’est félicité de la flexibilité dont fait preuve le pacte de stabilité et de croissance, mais reconnaît en même temps la nécessité de règles budgétaires qui favorisent la croissance. En vérité, comme l’a récemment écrit un groupe d’économistes et de juristes européens, la soutenabilité budgétaire demeure essentielle, mais les règles sont devenues caduques dans un monde post-Covid-19 où les niveaux moyens d’endettement comme les différences de niveaux d’endettement entre Etats membres se sont accentués. D’ambitieuses réformes économiques sont juridiquement réalisables sans pour autant bouleverser les fondations du cadre juridique budgétaire. Il suffirait pour cela de renoncer à l’approche « taille unique » des règles budgétaires, d’accorder une plus grande priorité à la soutenabilité de la dette, et d’autoriser des objectifs différenciés de réduction de la dette. De telles réformes tiendraient compte de l’hétérogénéité des espaces budgétaires à travers l’Europe, tout en préservant la soutenabilité budgétaire.

En deuxième lieu, M. Scholz, en tant que cofondateur de NGEU, reste sensible aux risques non anticipés. Si NGEU est un dispositif temporaire et exceptionnel, la pandémie a montré que l’UE devait se doter d’une assurance contre les événements extrêmes comme les épisodes climatiques violents ou les chocs sanitaires. Plutôt que de mettre en place un mécanisme permanent de transfert, l’UE a besoin d’une capacité de réponse commune ne pouvant être activée que dans des circonstances exceptionnelles et prédéfinies. Un dispositif permanent de solidarité amortirait les chocs imprévus sans inciter à l’emballement budgétaire.

Alliance franco-allemande renouvelée

Troisièmement, M. Scholz devra revivifier l’alliance franco-allemande. Malgré toute la sympathie des Français à l’égard de Mme Merkel, cette alliance patine depuis le fameux discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne, que Berlin n’a jamais validé. L’un des champs possibles pour un nouveau partenariat pourrait être l’« autonomie stratégique » qu’Emmanuel Macron appelle bruyamment de ses vœux dans des domaines tels que la fourniture d’énergie, la défense ou la politique sanitaire.

La dépendance aux infrastructures numériques fournies et contrôlées hors d’Europe constitue un risque pour la cybersécurité européenne. Le gouvernement allemand envisage une initiative européenne d’investissement, mais il faudrait qu’elle finance, outre des projets d’infrastructures, des biens publics européens tels que la recherche ou la mise au point de vaccins. La compétitivité européenne n’est pas la somme d’économies nationales puissantes, elle résulte d’une mise en commun des forces là où il est possible de réaliser des économies d’échelle. Pour dynamiser le projet de biens publics européens, la France et l’Allemagne pourraient mettre en place un fonds commun qui soutiendrait les innovations majeures.

Quatrièmement, l’UE doit affirmer sa position vis-à-vis des pays tiers. La nouvelle administration allemande semble prête à abandonner l’obligation d’unanimité en matière de politiques européennes de sécurité et de défense. Elle souhaiterait même créer un poste de « ministre européen des affaires étrangères », qui, cessant d’être marginalisé, pourrait devenir une voix indépendante face aux Etats-Unis et à la Chine. Tout cela constitue autant de signes que l’Allemagne n’accepte plus le déclin de la puissance de l’UE sur la scène mondiale. Les politiques timorées des instances européennes ont été minées par l’inertie du processus de décision interne et l’opacité des compétences. L’UE devrait, par exemple, être capable de bloquer à la majorité qualifiée un investissement étranger, ou encore progresser sur la voie d’une représentation commune de la zone euro au FMI.

L’UE a su correctement gérer l’exceptionnelle crise actuelle. En s’appuyant sur une alliance franco-allemande renouvelée, elle devrait mettre à profit ce succès pour améliorer son cadre législatif.

(Traduit de l’anglais par Gilles Berton)

Armin Steinbach est professeur de droit et d’économie à HEC et chercheur à l’Institut Max-Planck, à Bonn. Il a également été, entre 2017 et 2021, chef des divisions chargées de la politique fiscale au ministère allemand des finances et de la politique économique au ministère de l’économie et de l’énergie

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