Commentary on Political Economy

Thursday 21 September 2023

COWARDLY AND NUMB WEST EUROPEANS WATCH ANOTHER GENOCIDE AT THEIR DOORSTEP

La capitulation du Haut-Karabakh après le coup de force de l’Azerbaïdjan, un tournant historique

Les autorités de l’enclave séparatiste ont signé, mercredi, un accord de cessez-le-feu dans lequel elles acceptent de déposer les armes après l’offensive éclair, la veille, de Bakou. Les Arméniens dénoncent, eux, un « nettoyage ethnique ».


Par Emmanuel Grynszpan et Faustine Vincent

Publié aujourd’hui à 03h00, modifié à 10h27 

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Une civile blessée aidée par des soldats de maintien de la paix russes après le lancement d’une opération militaire des forces azerbaïdjanaises dans le Haut-Karabakh, sur une capture d’écran d’une vidéo publiée le 20 septembre 2023. MINISTÈRE RUSSE DE LA DÉFENSE VIA REUTERS

Après plus de trente ans de conflit, l’Azerbaïdjan a fait plier par la force les autorités autoproclamées du Haut-Karabakh. Un accord de cessez-le-feu a été signé, mercredi 20 septembre, sous l’égide de la Russie, mettant fin à l’offensive à grande échelle lancée la veille par les forces de Bakou sur l’enclave disputée.


Selon ce document, les responsables séparatistes acceptent de déposer les armes et d’entamer des négociations sur la réintégration de ce territoire à l’Azerbaïdjan. Un tournant historique, qui marque la victoire de Bakou pour le contrôle de cette petite région montagneuse du Caucase, située sur son territoire mais peuplée en majorité d’Arméniens.


Dans le détail, le texte prévoit « le retrait des unités et des militaires restants des forces armées de l’Arménie (…), la dissolution et le désarmement complet des formations armées de l’Armée de défense du Haut-Karabakh ». Il précise que la tenue d’un premier cycle de négociations sur la garantie des droits et de la sécurité des habitants de l’enclave se tiendra entre les deux parties, jeudi 21 septembre dans la ville azerbaïdjanaise de Yevlakh.


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L’Azerbaïdjan a « rétabli sa souveraineté » dans le Haut-Karabakh, a triomphé, mercredi, Ilham Aliev lors d’une allocution télévisée ; le président azerbaïdjanais a ajouté que son armée avait « détruit la plupart » des forces et des équipements des séparatistes arméniens, et que ceux-ci avaient « commencé » à rendre les armes.


Aucune scène de liesse n’était visible pour autant dans les rues de Bakou, mercredi, selon plusieurs personnes contactées sur place. « Il n’y a pas de célébration pour l’instant, les gens attendent le résultat des pourparlers de demain [jeudi] », explique un défenseur des droits de l’homme qui préfère rester anonyme.


Pour Bakou, une « nette victoire militaire »

Les négociations sur la garantie des droits et de la sécurité des Arméniens de l’enclave, autoproclamée indépendante en 1991, se tiendront « en petit comité », affirme Elchin Amirbayov, le représentant spécial du président de l’Azerbaïdjan ; la délégation sera dirigée par Ramin Mammadov, un député originaire du Karabakh. Côté arménien, « deux ou trois personnes sont attendues, précise M. Amirbayov. Il ne s’agira pas de membres du gouvernement fantoche, car nous n’avons pas l’intention de lui accorder la moindre légitimité. Leur sécurité sera probablement assurée par les Russes, mais ce sera un dialogue bilatéral auquel les Russes ne prendront pas part. »


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Moscou, soucieux de ne pas perdre son influence dans la région malgré son affaiblissement dû à la guerre en Ukraine, ne l’entend pas de cette oreille. « Ces négociations se dérouleront avec la médiation de la direction du contingent russe de maintien de la paix », a affirmé Vladimir Poutine, selon un communiqué du Kremlin. Quelque 2 000 soldats russes d’interposition sont déployés dans le Haut-Karabakh depuis la fin de la deuxième guerre dans l’enclave, disputée en 2020.


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En France, Emmanuel Macron a appelé Ilham Aliev à « donner des garanties sur les droits et la sécurité des habitants ». Le président français avait appelé à une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, censée se tenir jeudi, selon plusieurs sources diplomatiques. L’Azerbaïdjan a jugé « inefficace et préjudiciable » une telle réunion, mais précisé qu’il serait prêt à y exprimer « ses opinions et ses inquiétudes légitimes ».


Selon Richard Giragosian, directeur du centre de recherche Regional Studies Center, à Erevan, l’accord de cessez-le-feu offre à Bakou une « nette victoire militaire », mais « la manière dont le processus de désarmement sera mis en œuvre n’est pas claire, car il n’y a pas de détails ou de plans concernant les personnes qui [le] mèneront ».


L’Azerbaïdjan est déterminé à reprendre le contrôle de toute la région depuis sa victoire lors de la guerre de quarante-quatre jours dans le Haut-Karabakh, en 2020. Après le cessez-le-feu qui a mis fin à ce conflit, signé le 9 novembre 2020 sous l’égide de Moscou, le pays a régulièrement mené des offensives près de la frontière arménienne. A partir de décembre 2022, il a opté pour la stratégie d’étranglement des 120 000 Arméniens de l’enclave – selon les chiffres officiels, moitié moins selon l’Azerbaïdjan –, en organisant un blocus sur le corridor de Latchine, la seule route reliant l’Arménie au Haut-Karabakh.


Stratégie de la terreur

Après neuf mois de blocage, qui ont provoqué de graves pénuries de nourriture et de médicaments, Bakou leur a asséné le coup de grâce en lançant, mardi, une offensive militaire éclair, sans précédent depuis 2020. Les Arméniens de l’enclave, acculés face à la supériorité militaire écrasante des forces azerbaïdjanaises, ont capitulé en vingt-quatre heures. Selon le ministère azerbaïdjanais de la défense, Bakou a également fait des avancées sur le terrain en prenant le contrôle de « 90 postes ou bases militaires arméniennes ». Les frappes ont fait au moins 200 morts et 400 blessés arméniens, affirment les séparatistes, et au moins deux victimes côté azerbaïdjanais. Des soldats du contingent russe sont également morts dans le bombardement de leur véhicule, a indiqué dans un communiqué, mercredi, le ministère russe de la défense, sans en préciser le nombre.


« En termes d’objectifs militaires, le but de l’Azerbaïdjan était simple et direct : créer et consolider un nouvel environnement d’insécurité pour la population arménienne du Haut-Karabakh, explique Richard Giragosian, à Erevan. Bakou cherche à conquérir le Haut-Karabakh en encourageant et en provoquant un exode des Arméniens » de ce petit territoire, qu’ils considèrent comme le berceau de leur patrie.



Cette stratégie de la terreur semble fonctionner. Des photos diffusées mardi sur les réseaux sociaux montraient des centaines de personnes massées devant l’aéroport de Stepanakert, principale ville et capitale du Haut-Karabakh, dans l’espoir d’être évacuées par les soldats russes d’interposition, bien qu’aucun avion ne décolle plus depuis des décennies.


Au sein de la population, la peur se mêle à la colère, selon les témoignages recueillis par Le Monde au sein de l’enclave, fermée à la presse depuis près de trois ans. « La situation est terrible, confie par téléphone Anna Musayelyan, professeure à Stepanakert. Psychologiquement, nous sommes morts. » Ce qu’elle redoutait le plus s’est produit. « L’Azerbaïdjan a pu intégrer l’Artsakh [nom donné par les Arméniens au Haut-Karabakh] sous son contrôle. On ne sait pas si c’est possible de sortir d’ici, l’ennemi est partout », s’inquiète-t-elle.


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Pour les habitants, l’avenir semble plus incertain que jamais. « Je ne sais pas ce qui va nous arriver, explique Lilith, une juriste de 25 ans à Stepanakert, qui préfère témoigner sous le couvert de l’anonymat. Je ressens une dévastation totale. On perd notre patrie, et on n’a aucune garantie pour nos vies. C’est ignoble. On espère rester en vie et partir. » Plus de 10 000 personnes, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées ont d’ores et déjà été évacuées, ont déclaré les autorités séparatistes.


Les Arméniens dénoncent un « nettoyage ethnique »

En Arménie, la population accuse elle aussi le coup. « C’est le début de la fin de l’Arménie, lâche Gagik Hakobyan, professeur à Erevan. Ça me fait mal pour tous ces gens qui vont encore subir des humiliations, et qui ont tout perdu. » Comme la plupart de ses concitoyens, il est convaincu que l’Azerbaïdjan ne s’arrêtera pas là. « C’était une première étape, un test. Le monde entier passe les atrocités de l’Azerbaïdjan sous silence, s’indigne-t-il. En Europe, vous avez du mal à comprendre qu’il s’agit d’un génocide. »


La victoire de l’Azerbaïdjan « crée un dangereux précédent qui semble justifier le recours à la force plutôt qu’à la diplomatie », analyse Richard Giragosian. Non seulement ce pays « défie clairement la Russie et humilie les soldats de la paix russes déployés dans le Haut-Karabakh », mais il « défie également l’Occident et sape les valeurs occidentales en cherchant une issue militaire à un conflit essentiellement diplomatique ».



Fait notable, l’Arménie, premier soutien du Haut-Karabakh, assure qu’elle n’a « pas participé » à la rédaction de l’accord de mercredi sur le cessez-le-feu. Le premier ministre, Nikol Pachinian, peut ainsi rejeter plus aisément les accusations de capitulation, en soulignant que l’accord a été conclu par les Arméniens du Karabakh eux-mêmes.


Plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Erevan, mercredi soir, pour le deuxième jour de suite, devant le siège du gouvernement afin de réclamer la démission du chef du gouvernement. M. Pachinian, critiqué pour n’avoir pas envoyé d’aide au Haut-Karabakh lors de l’offensive, a dénoncé des appels à « un coup d’Etat ». Il a par ailleurs affirmé que l’Arménie n’avait plus d’unités militaires dans le Haut-Karabakh depuis août 2021, bien que Bakou soutienne le contraire.



Une manifestation à Erevan, devant le siège du gouvernement, contre l’inaction du gouvernement et en soutien aux Arméniens du Haut-Karabakh, le 20 mars 2023. IRAKLI GEDENIDZE / REUTERS

L’Azerbaïdjan a déclaré vouloir une « réintégration pacifique » du Haut-Karabakh. Les Arméniens dénoncent, eux, un « nettoyage ethnique ». Moscou, censé assurer la sécurité des Arméniens, a affiché son indifférence, mercredi, en assurant qu’il n’y avait « aucune raison de parler de nettoyage ethnique ». « Nous sommes convaincus que tous les droits et la sécurité de la population arménienne du Karabakh doivent être garantis. Bien entendu, le Karabakh est une affaire intérieure de l’Azerbaïdjan », a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. Plus isolés que jamais, encerclés par leurs ennemis, les Arméniens du Haut-Karabakh ont aujourd’hui la sensation d’un saut dans le vide. 

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