Commentary on Political Economy

Tuesday 5 September 2023

 



Défendre le fragile équilibre de la laïcité

On ne saurait résumer l’interdiction de l’abaya à une simple manœuvre de diversion de l’exécutif destinée à masquer les difficultés que connaît le système scolaire. L’idée laïque mérite d’être soutenue comme la garantie de libertés concrètes pour tous.

Publié aujourd’hui à 11h00 Temps de Lecture 2 min. Read in English

Simple accessoire vestimentaire ou vecteur de l’islamisme ? Protection de la liberté religieuse ou du vivre-ensemble ? Instrumentalisation politique ou sujet de société central ? Depuis que, voici trente-quatre ans, trois élèves ont été exclues d’un collège de Creil (Oise) pour avoir porté un foulard islamique, ces questions n’ont cessé d’agiter la France. Les voilà à nouveau au centre du débat public depuis que, le 27 août, le ministre de l’éducation nationale, Gabriel Attal, a annoncé l’interdiction de l’abaya, cette longue robe couvrant le corps portée par certaines élèves musulmanes. La note de service qu’il a adressée aux chefs d’établissement indique que son port entre dans le champ de la loi de 2004 selon laquelle « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit » dans les établissements scolaires publics.

Deux raisons essentielles avaient pesé, en 2003, dans le choix de la commission Stasi, réunie sur le sujet par le président Chirac, de prôner l’adoption d’un texte législatif : les témoignages de jeunes musulmanes demandant la protection d’une loi contre les pressions religieuses, et le constat de l’utilisation du foulard islamique comme instrument d’influence géopolitique.

Deux décennies plus tard, ces deux réalités n’ont fait que se confirmer : tentatives de religieux d’imposer leurs normes dans certains quartiers, usage intensif des réseaux sociaux. Après la terrible série d’attentats des années 2012-2016, l’assassinat de Samuel Paty, en 2020, a rappelé tragiquement la place centrale de l’institution scolaire dans la stratégie des islamistes. Au fil de ces événements, la question de la laïcité est devenue un instrument politique de plus en plus clivant.

Prendre ses responsabilités

Aujourd’hui, pourtant, on ne saurait résumer l’interdiction de l’abaya à une simple manœuvre de diversion de l’exécutif destinée à masquer les difficultés que connaît le système scolaire. Réclamée par nombre d’acteurs de l’éducation demandeurs d’une norme nationale, justifiée par la recrudescence des « atteintes à la laïcité », la mesure est certes une manière pour le nouveau ministre d’entrer en scène. Mais c’est aussi une façon pour lui de prendre ses responsabilités.

Le Conseil d’Etat, saisi par des opposants à l’interdiction, jugera de sa conformité à la loi de 2004 qui a été rédigée pour englober de nouvelles tenues « ostensiblement » religieuses, mais aussi pour respecter le principe de la Convention européenne des droits de l’homme selon lequel la liberté de religion ne peut être restreinte que pour des motifs liés à la « protection de l’ordre (…) ou des droits et libertés d’autrui ».

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Le souci de préserver ce fragile équilibre et celui de protéger tant les élèves que les professeurs contre les pressions et les querelles religieuses devraient guider les responsables politiques, en particulier ceux de gauche, dont la laïcité a longtemps été un marqueur central. N’y a-t-il pas contradiction entre le fait, pour certains, de nier le caractère religieux – pourtant revendiqué – de l’abaya et l’accusation d’« islamophobie » portée par les mêmes contre son interdiction ? L’idée laïque mérite d’être plus largement enseignée comme une conquête historique plutôt que comme un totem abstrait. Elle mérite aussi d’être défendue, certainement pas comme une source de discrimination, mais comme la garantie de libertés concrètes pour tous, en particulier celle des femmes comme des hommes de choisir et de vivre leur identité de façon autonome.

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