Commentary on Political Economy

Friday 15 December 2023

RATLAND SPYING IN EUROPE 

Un officier du ministère de la sécurité de l’Etat

En 2022, en prévision des visites en Chine du chancelier allemand, Olaf Scholz, et du président Emmanuel Macron, Daniel Woo résume dans un texto son opération ­d’influence en Occident : « Nous aimerions rendre malades les Etats-Unis. » Contactés, l’espion et son contact n’ont pas répondu à nos multiples sollicitations. Le gouvernement belge, quant à lui, explique avoir été au courant de l’affaire, mais n’a pas souhaité faire davantage de commentaires.

Selon plusieurs sources parmi les services de renseignement occidentaux, qui disent connaître l’existence de cet agent, Daniel Woo travaillerait pour le ministère de la sécurité de l’Etat (MSE), le Guoanbu en chinois. Le vaste service, environ 200 000 employés selon une source issue du renseignement occidental, est structuré en dix-huit unités, des « bureaux » chargés de superviser les officiers sous couverture, du contre-espionnage ou de la surveillance des étudiants chinois à l’étranger.

Spécialisé dans le renseignement humain et le recrutement de contacts, le MSE ne déploie que très rarement ses officiers sur le terrain et préfère travailler à distance. « Ils rencontrent parfois leurs sources, mais presque exclusivement dans des pays tiers, en Asie », précise Paul Charon, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire, spécialiste du renseignement chinois et coauteur du rapport Les Opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien (Irsem, 2021).

En Occident, les risques d’arrestation sont trop importants pour y envoyer des agents du MSE. Selon des sources du renseignement occidental issues de quatre pays distincts, Daniel Woo opère pour le compte du Zhejiang State Security Department (ZSSD), une déclinaison du MSE dans la province du Zhejiang, au sud de Shanghaï. Constitué d’environ cinq mille officiers, le ZSSD est « l’entité la plus agressive envers l’Europe », explique l’une des sources.

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Le faux nom de l’agent chinois est repéré pour la première fois en Pologne. En mai 2016, l’élu prorusse Mateusz Piskorski, fondateur du micro-parti Zmiana, est arrêté par les autorités polonaises après des soupçons d’espionnage en faveur de Moscou. « Et possiblement de la Chine », renseigne la presse polonaise. Toujours selon les mêmes sources du renseignement occidental, l’agent à qui Piskorski a fourni des informations serait Daniel Woo.

Son nom apparaît une nouvelle fois sur le radar des services secrets européens, l’année suivante, à l’occasion d’une vaste opération de recrutement du ministère de la Sécurité de l’Etat chinois, organisée par le biais de l’application LinkedIn, notamment en Allemagne. Le ZSSD et d’autres sections du MSE ont envoyé des milliers de messages à l’aide de faux profils, dans l’espoir de recruter des sources occidentales. Cette opération finit par être révélée en 2019, après l’arrestation de Kevin Mallory, un agent de la CIA accusé d’avoir vendu des informations confidentielles aux renseignements chinois.

Pro-Assad, prorusse

A l’époque où Daniel Woo et Frank Creyelman s’échangent des centaines de textos, la carrière de l’élu belge, identifié publiquement comme pro-Assad et prorusse, semble derrière lui. Redevenu simple élu local à Malines, une ville moyenne au sud d’Anvers, il se vante malgré tout d’un large réseau dans les institutions européennes à Bruxelles, au Katanga, une province de la République démocratique du Congo riche en minerais, et même au Vatican.

En janvier 2021, Daniel Woo aimerait que sa source flamande se serve de ses nombreux contacts pour « attaquer la réputation » du chercheur Adrian Zenz. Cet universitaire allemand, connu pour avoir alerté et fourni des documents sur les violations des droits humains commises par le pouvoir chinois contre les Ouïgours, vient alors de dévoiler des preuves du travail forcé dans des champs de coton de centaines de milliers d’habitants du Xinjiang.

Pendant cette période, la recrue belge ­d’extrême droite doit aussi « développer des sources ». Des gens « comme Martin Selmayr », précise l’officier de renseignement, en mars 2022, en référence à l’ancien directeur de cabinet de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne de 2014 à 2019. « Martin était un coup de chance. C’est très difficile d’atteindre des gens si haut placés », répond Frank Creyelman, dans un message qui pourrait laisser entendre qu’il a déjà eu un échange avec lui. Contacté, Martin Selmayr nie tout contact avec les services secrets chinois, « à sa connaissance ».

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Le reste du temps, l’ancien élu d’extrême droite est souvent chargé de transmettre des éléments de langage en faveur de la Chine. En particulier par Steven Creyelman, son frère cadet, élu en 2019 au Parlement belge sous l’étiquette du VB. En juin 2022, Frank Creyelman prévient l’officier de renseignement que son frère prévoit d’évoquer la question des réfugiés prodémocratie de Hongkong à la Chambre des représentants. Un mois plus tard, selon la plate-forme en ligne répertoriant tous les échanges parlementaires en Belgique, devant les députés, Steven Creyelman dénonce les « violences d’inspiration politique contre le pouvoir chinois » des militants hongkongais.

En contrepartie de tout ce travail, Frank Creyelman est rémunéré par Daniel Woo. Ce dernier le paye en cryptomonnaie par le biais de Binance, la célèbre plate-forme chinoise. « Comment faire avec les crypto ? Je suis un ancien, moi ? », s’amuse l’ex-député, dans un texto écrit en 2022. Malgré leurs échanges très réguliers, les deux hommes se rencontrent peu. Et jamais sur le sol européen.

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Daniel Woo préfère inviter le Belge à Sanya, une station balnéaire du sud de la Chine ­prisée des officiers traitants chinois, à en croire une source du renseignement occidental. En décembre 2019, Frank Creyelman y passe quatre jours, tous frais payés par son contact chinois. Les textos rédigés à ce moment-là mentionnent un dîner entre les deux hommes, deux « amis » et « John », un « collègue » de Daniel Woo, sans donner plus de détails sur le rôle de ces personnes. « Nous sommes en compétition avec d’autres unités », décrit l’officier du ZSSD, en mai 2020. Soit plusieurs « Daniel Woo », tous actifs sur le continent européen.

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