Commentary on Political Economy

Friday 16 February 2024

 

Guerre en Ukraine : « Il est temps de faire payer l’agresseur russe »

Ce qui est en jeu aujourd’hui en Ukraine, ce n’est pas uniquement la terre, ni même la survie d’une nation. C’est bien plus que cela. L’agression russe constitue la phase initiale d’une guerre mondiale des autocraties contre les démocraties visant à remplacer l’ordre fondé sur des règles par celui imposé par la puissance militaire. L’alliance des autocraties, qui comprend la Russie, la Biélorussie, l’Iran, la Corée du Nord et la Chine, teste l’efficacité de nouvelles armes sur le champ de bataille, échange et améliore les technologies militaires, tout en prenant note des craintes de l’Occident et de la sincérité de son engagement à défendre la liberté et la démocratie. Leurs régimes ne cessent de s’enraciner en détruisant l’opposition intérieure, comme vient de l’illustrer l’assassinat d’Alexeï Navalny en Russie. L’impunité engendrant toujours plus de violence.

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La Russie se prépare à des années de lutte en transformant son économie, qui devrait connaître une croissance de 2,6 % en 2024, en économie de guerre. Les objectifs des Russes n’ont pas changé : la paix ne les intéresse pas. En se concentrant sur la réduction de l’aide occidentale à l’Ukraine, ils espèrent conquérir notre pays. Or, l’occupation signifierait une escalade de crimes horribles, notamment des « camps de filtration », des charniers et la déportation d’enfants à l’échelle de la nation tout entière. La victoire de Moscou encouragerait de nouvelles ambitions expansionnistes visant à restaurer le grand Empire russe. La possibilité d’une guerre avec la Russie est de plus en plus évoquée aujourd’hui parmi les officiers militaires et de renseignement des Etats membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Pourtant, le pire peut encore être évité, et la victoire possible pour l’Ukraine. En 2022, de brillantes opérations terrestres avec peu d’armes modernes ont permis la libération de Kherson et certaines parties de la région de Kharkiv. En 2023, notre pays, sans aucune marine, a réussi à affaiblir et à repousser la flotte russe de la mer Noire, garantissant ainsi la liberté de navigation. Avec un approvisionnement suffisant et opportun en technologies modernes et une accélération de la production militaire, 2024 peut devenir une année de réussites.

Le mois de février marque le dixième anniversaire du début de la guerre avec la Russie (depuis « la révolution de la dignité », place Maïdan, à Kiev, en février 2014) et le deuxième anniversaire de l’invasion à grande échelle. Le moment est donc idéal pour évaluer ce qui doit être changé afin de parvenir à une paix véritable et durable en Europe. Compte tenu des obstacles actuels à un important programme d’aide des Etats-Unis de 60 milliards de dollars (près de 55,7 milliards d’euros), les Etats européens doivent intensifier leurs efforts et prendre l’initiative de soutenir la victoire de l’Ukraine.

Mesures plus audacieuses

Au cours des deux dernières années, le président français, Emmanuel Macron, et son gouvernement ont fait preuve de leadership en soutenant l’Ukraine. Cela s’est traduit par l’approbation du statut de candidat à l’Union européenne, qui a donné un puissant élan aux réformes de l’Etat de droit du pays, et par l’invitation de l’Ukraine à rejoindre l’OTAN. La décision du président Macron de nous accorder des chars légers modernes a déclenché la création d’une coalition de chars, tandis que les missiles Scalp livrés ont fourni des capacités indispensables à plus longue portée, essentielles pour perturber les chaînes d’approvisionnement russes. Mais la guerre étant loin d’être terminée et gagnée, des mesures plus audacieuses doivent être prises dès maintenant.

L’une des options pour alléger le fardeau des contribuables européens, surtout si l’aide américaine cesse complètement, est la confiscation des actifs de la Banque de Russie pour un montant total de 300 milliards de dollars. Les pays du G7 se sont engagés à ce que ces actifs gelés ne soient pas restitués à la Russie tant que celle-ci n’aura pas payé les réparations. Les pertes infligées par la Russie à l’Ukraine lors de la première année de guerre dépassent déjà 410 milliards de dollars et les dégâts continuent à se multiplier.

D’un point de vue juridique, la confiscation sera conforme au droit international et constituera une sanction légale et un acte de défense collective légitime. Exécuté de concert avec les autres Etats du G7, cela ne nuirait pas au système financier européen. Car l’euro, le dollar, la livre sterling et le yen représentent près de 90 % de toutes les réserves monétaires mondiales et il n’existe pas d’autre monnaie viable que les monnaies occidentales, le renminbi chinois ne répondant pas pleinement aux critères des monnaies de réserve.

Accroître la production militaire

Quant aux menaces russes contre les entreprises occidentales, le Kremlin a déjà commencé à exproprier de facto de nombreux actifs, notamment celui de Danone, via une prétendue « gestion temporaire ». Les pertes subies par les entreprises étrangères en Russie depuis le début de la guerre ont déjà dépassé les 100 milliards de dollars. Ces actions illégales du gouvernement russe n’ont aucun lien avec une éventuelle confiscation des actifs russes et, dans tous les cas, se poursuivront.

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L’argent confisqué devrait être utilisé pour accroître la production militaire afin de répondre aux besoins immédiats ukrainiens, de renforcer l’arsenal européen de dissuasion stratégique à long terme, mais aussi la stabilité macrofinancière, ainsi que le redressement et l’indemnisation des dommages de l’Ukraine. Alors que les Ukrainiens sont extrêmement reconnaissants pour chaque euro versé par les contribuables occidentaux, au dixième anniversaire de la guerre avec la Russie, il est temps de faire payer également l’agresseur. La confiscation est une question de décision politique dont les bénéfices stratégiques sont actuellement largement sous-estimés.

L’architecture de la sécurité et de la stabilité du continent serait fragile sans une Ukraine forte, résiliente et démocratique au sein de l’Union européenne et de l’OTAN. Aujourd’hui, dans le nouvel ordre mondial que la Russie tente d’imposer farouchement, la France et l’ensemble de l’Europe ne seront jamais en sécurité. Aussi, le choix entre la victoire ou la défaite de l’Ukraine est indubitablement clair.

Olena Halushka est cofondatrice de la fondation International Center for Ukrainian Victory, basée à Varsovie, et membre du conseil d’administration de l’ONG ukrainienne Centre d’action anticorruption.

Leonid Litra est chercheur au New Europe Center, à Kiev, et chercheur invité dans le cadre du programme Wider Europe du Conseil européen pour les relations internationales.

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