Commentary on Political Economy

Saturday 17 February 2024

 

Ukraine : à Paris et à Berlin, Volodymyr Zelensky obtient un appui militaire inédit dans la guerre contre la Russie

Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron, lors de la signature de l’accord bilatéral entre la France et l’Ukraine, à Paris, le 16 février 2024.
Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron, lors de la signature de l’accord bilatéral entre la France et l’Ukraine, à Paris, le 16 février 2024. CYRIL BITTON / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

Une brève accolade dans la cour de l’Elysée, avant la promesse d’un soutien dans la durée face à l’agresseur russe. Bientôt deux ans après le début de l’invasion de l’Ukraine, son président, Volodymyr Zelensky, a été accueilli par son homologue français, Emmanuel Macron, vendredi 16 février en fin d’après-midi. Après plus d’une heure d’entretien, les deux hommes ont signé l’accord bilatéral de sécurité promis par Paris à Kiev lors du sommet de l’OTAN de Vilnius, en juillet 2023.

Au passage, M. Macron a durci le ton comme jamais contre le « régime du Kremlin », jugé responsable de la mort en prison de l’opposant Alexeï Navalny : « Aujourd’hui, la Russie de Vladimir Poutine est devenue un acteur méthodique de la déstabilisation du monde », a-t-il lancé, pour mieux promettre au dirigeant ukrainien de soutenir son pays aussi longtemps qu’il le faudra : « Nous sommes déterminés à faire échec à vos côtés à la Russie », a répété le chef de l’Etat français.

Au cœur de l’accord de sécurité signé pour dix ans en faveur de l’Ukraine figure une promesse d’appui d’une ampleur inédite : jusqu’à 3 milliards d’euros de soutien militaire prévus en 2024. Le locataire de l’Elysée cherche à répondre aux attentes de son homologue ukrainien, qui s’est félicité devant lui de cet engagement, mais aussi aux accusations de mollesse de certains de ses partenaires européens, lesquels reprochent à la France de ne pas en faire assez pour l’Ukraine.

Lire aussi le décryptage |

Discrétion

En guise de défense, Paris assure avoir déjà fourni 3,8 milliards d’euros d’aide militaire à Kiev en 2022 et 2023, un chiffre sensiblement supérieur aux estimations effectuées par les analystes, mais qui reste difficile à vérifier, aucun détail n’ayant été donné sur la nature des dépenses. Jusqu’ici, l’Elysée s’était toujours refusé à fournir un tel bilan, à la fois pour ne pas provoquer la Russie, mais aussi pour éviter de lui donner des informations opérationnelles.

Cette discrétion est-elle toujours de mise ? Un document diffusé par la présidence précise que la France a livré jusqu’ici à l’Ukraine 30 canons Caesar et 4 lance-roquettes unitaires, mais également 38 blindés de reconnaissance AMX-10 RC, 250 blindés de transport de troupes VAB, 17 postes de tir antichars Milan, 5 postes de tirs antiaériens Mistral, deux batteries sol-air Crotale, sans oublier « une centaine » de missiles de croisière Scalp.

Le Monde Application

En dépit de ces indications, l’écart demeure avec d’autres grands alliés européens de l’Ukraine, du moins à en croire l’Institut Kiel, qui compile, depuis le début du conflit, les aides apportées par chaque pays. Selon cette source, la contribution de la France se limiterait à 600 millions d’euros, contre 9,1 milliards d’euros pour le Royaume-Uni et 17,7 milliards d’euros pour l’Allemagne. Un classement que Paris conteste avec force, désormais chiffres à l’appui.

Différence d’appréciation

S’il assure vouloir défendre l’Ukraine aussi longtemps qu’il le faudra, Emmanuel Macron refuse néanmoins toujours de lui livrer des avions de chasse. En plus des F-16 promis par les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark et la Norvège, l’état-major de Kiev aimerait obtenir des Mirage 2000 D, un aéronef spécialisé dans l’attaque au sol, dont l’armée de l’air et de l’espace possède encore une soixantaine d’exemplaires.

Néanmoins, la France considère que les Ukrainiens n’ont pas les capacités de mettre en œuvre différents modèles d’avions de combat et doivent se concentrer sur le seul F-16. Une différence d’appréciation qui agace à Kiev. « Nous attendons de la France qu’elle nous fournisse de l’aviation », a encore répété le chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Boudanov, dans un entretien publié vendredi 16 février par Libération, estimant que « le gouvernement français, s’il en avait le souhait, pourrait fournir une aide plus importante ».

Aucune indication n’a non plus été donnée sur la façon dont la France financera l’enveloppe annoncée pour 2024, alors que le gouvernement doit encore trouver 10 milliards d’euros d’économies s’il veut tenir ses objectifs de réduction du déficit en 2024. La loi de programmation militaire (LPM) de juillet 2023, qui prévoit un investissement de 413 milliards d’euros dans l’outil de défense français sur la période 2024-2030, exclut qu’une partie de cette somme soit utilisée pour soutenir l’Ukraine.

« Afin de dégager les moyens nécessaires, il faut pouvoir solliciter la LPM », juge François Heisbourg, conseiller de l’Institut pour les études stratégiques, sis à Londres : « Il suffit d’une décision politique au sommet de l’Etat pour disposer de ces moyens budgétaires, même si les militaires doivent râler. » Selon lui, les Allemands ont su donner la priorité à l’aide militaire à l’Ukraine, en dépit de leurs règles anti-endettement. « Et l’industrie allemande a su augmenter les cadences, ce qui n’est pas le cas en France, en dépit des discours sur l’économie de guerre », note M. Heisbourg.

Lire aussi :

Quelques heures avant d’arriver à Paris, Volodymyr Zelensky s’est d’ailleurs rendu en Allemagne, pour signer un autre accord bilatéral. Le document est proche, dans sa philosophie, de celui signé par la France, à la différence près que Berlin s’engage à une aide supérieure à celle consentie par la France en 2024 (près de 8 milliards d’euros). Parmi les engagements pris figurent également la formation de soldats ukrainiens, une contribution au déminage du pays et une participation à la reconstruction de ses infrastructures, notamment en matière d’énergie et d’approvisionnement en eau.

« L’Ukraine n’a jamais signé de document plus précieux »

Parallèlement, Berlin a annoncé un nouveau paquet de livraisons d’armes pour un montant de 1,1 milliard d’euros. Parmi les équipements promis : dix-huit PzH-2000, un canon automoteur similaire au Caesar français, et dix-huit RCH-155, un autre modèle d’obusier. En revanche, aucune mention n’est faite des missiles de croisière Taurus, de fabrication germano-suédoise, que Kiev réclame à Berlin depuis des mois.

Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron, lors de la signature de l’accord bilatéral entre la France et l’Ukraine, à Paris, le 16 février 2024.
Volodymyr Zelensky et Emmanuel Macron, lors de la signature de l’accord bilatéral entre la France et l’Ukraine, à Paris, le 16 février 2024. CYRIL BITTON / DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

Il n’empêche, Volodymyr Zelensky a souligné que « l’Ukraine [n’avait] jamais signé de document plus précieux ». De tels mots de reconnaissance disent le chemin parcouru depuis les premiers mois de la guerre, quand l’Allemagne était vertement critiquée par l’Ukraine – en particulier par son ambassadeur alors en poste à Berlin, Andrij Melnyk, qui était allé jusqu’à traiter le chancelier Olaf Scholz de « boudin susceptible » – pour son manque de célérité à appuyer son pays face à la Russie. Ces tensions ont culminé début 2023, lorsque Berlin a rechigné pendant des semaines à avaliser la livraison de chars de combat Leopard 2, alors très attendus par Kiev pour mener sa contre-offensive, aujourd’hui dans l’impasse.

Depuis, le pays a considérablement renforcé son assistance à l’Ukraine, devenant le deuxième contributeur mondial derrière les Etats-Unis – dont le soutien est aujourd’hui bloqué par les élus républicains trumpistes. Soucieux d’en finir avec l’image d’une Allemagne frileuse, M. Scholz est même sorti il y a peu de sa réserve naturelle, n’hésitant pas lancer que « les livraisons d’armes promises par la majorité des Etats membres de l’Union européenne [étaient] très insuffisantes ». Une critique implicite adressée, entre autres, à la France.

Lire aussi l’entretien |

No comments:

Post a Comment