Commentary on Political Economy

Monday 24 April 2023

 




La régression démocratique de l’Inde

Instrumentalisation de la justice, révisionnisme, harcèlement des minorités… le premier ministre indien, Narendra Modi, ne cesse de renforcer sa dérive autocratique. En face, les pays qui prétendent défendre les valeurs démocratiques gardent le silence.

Publié aujourd’hui à 10h07 Temps de Lecture 2 min. Read in English

Lors du dernier sommet des démocraties organisé à Washington par le président Joe Biden, à la fin du mois de mars, le premier ministre indien, Narendra Modi, a présenté son pays comme une source d’inspiration et un modèle. La « mère de la démocratie », selon les mots du nationaliste hindou, se porte pourtant bien mal. Désormais classée parmi les « autocraties électorales » par l’institut indépendant suédois V-Dem spécialisé dans l’étude des régimes politiques, l’Inde multiplie les signaux inquiétants.

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La confirmation le 20 avril de sa condamnation pour diffamation devrait ainsi écarter le principal opposant au premier ministre, Rahul Gandhi, des élections générales prévues en 2024. Inéligible pour six ans, l’héritier de la prestigieuse dynastie politique est également sous la menace d’une peine de deux ans de prison pour avoir moqué Narendra Modi au cours d’une réunion électorale en 2019.

Il n’est pas le seul à être ainsi soumis aux foudres d’une justice critiquée pour son empressement à sévir contre les adversaires du pouvoir en place. Le numéro deux du gouvernement de Delhi, Manish Sisodia, peut en témoigner, tout comme son supérieur Arvind Kejriwal. Un temps fragilisé par les révélations concernant ses liens avec le milliardaire Gautam Adani, mis en cause pour des fraudes massives, le premier ministre indien a lancé la contre-attaque contre toutes les voix discordantes. Les opposants politiques ne sont pas les seuls concernés. Intellectuels, journalistes, organisations non gouvernementales, activistes sont la cible des agences gouvernementales.

Mise au pas des médias

Cette dérive autoritaire est renforcée par une offensive inquiétante lancée contre l’histoire du pays et par la volonté de redéfinir l’Inde en tant que nation purement hindoue. Au nom d’un allègement des programmes après deux ans de fermeture des écoles du fait de la pandémie de Covid-19, des pans entiers de l’histoire ont été effacés des manuels scolaires.

En dépit de leurs nombreux legs, les empereurs moghols, musulmans, qui ont régné sur une grande partie du sous-continent entre le XVIe et le XIXe siècle, ont disparu. Un dirigeant du parti au pouvoir a applaudi la mesure, affirmant que la place des musulmans n’est pas dans les livres d’histoire mais « dans une poubelle ».

Les émeutes particulièrement sanglantes du Gujarat, en 2002, qui avaient fait près de 2 000 morts, principalement des musulmans, ont également fait l’objet d’un coup de rabot. Le fait que Narendra Modi ait été alors à la tête de cet Etat, et vivement critiqué pour sa passivité, explique évidemment cette initiative.

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Un autre épisode lié à ce passé dramatique avait déjà illustré le raidissement du gouvernement indien. En janvier, il avait en effet bloqué un documentaire de la BBC consacré au rôle du premier ministre dans ces émeutes intracommunautaires, avant de lancer une enquête fiscale contre le radiodiffuseur britannique. C’est dans ce contexte que la justice indienne vient d’acquitter 69 hindous accusés du meurtre de 11 musulmans en février 2002 lors des pogroms du Gujarat.

Tentation de mise au pas des médias, harcèlement des opposants et des minorités, instrumentalisation de la justice, révisionnisme : le bilan de Narendra Modi parle de lui-même. Cela rend d’autant plus regrettable que les pays qui prétendent défendre les valeurs démocratiques préfèrent garder le silence pour ne pas contrarier un régime qui s’affirme dans la nouvelle donne géopolitique mondiale.

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Le Monde

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